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Jocelyn Chan Low : «Le spectacle offert par nos politiques décourage les jeunes»

19 juillet 2011, 10:13

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Jocelyn Chan Low, nouveau doyen de la faculté de sciences sociales à l’université de Maurice (UoM), évoque l’évolution de cet établissement tertiaire. Il s’arrête aussi sur cette jeunesse qui risque d’être confrontée à de graves problèmes de chômage car ne s’investissant que dans la filière académique. Le chargé de cours en histoire met également en rapport la jeunesse contemporaine avec la chose politique.

Vous rejoignez l’UoM en 1990. Comment était-ce à l’époque ?

L’UoM était un developmental university en ce temps-là. Il y avait très peu de licences qui étaient proposées et l’université répondait aux besoins du pays par des cours très terre à terre. Depuis, l’offre s’est diversifiée. Aujourd’hui, les étudiants peuvent y faire une maîtrise ou un doctorat. Autre fait : la demande de places a considérablement augmenté car le coût des études à l’étranger est quelque peu prohibitif. En bref, il y a eu une démocratisation de l’accès.

Mais cette démocratisation a entraîné de nouvelles contraintes…

En effet. Nous faisons face à un problème d’espace. Elargir l’accès implique aussi un souci de qualité dans le recrutement. On retrouve une différence de niveau dans certaines classes. On peut aussi redouter un relâchement des étudiants ou encore une agitation estudiantine à l’avenir. Il faut un changement qualitatif au niveau de l’économie pour pouvoir absorber les diplômés. Les étudiants sont inquiets pour leur avenir. Certains me disent que pratiquement tous les jeunes de leur localité vont à l’université. Alors qu’on sait qu’il y a un manque de main-d’œuvre qualifiée pour les métiers. On absorbe des étudiants dans la filière académique alors que certains auraient plus à gagner en empruntant une filière technique.

Que préconisez-vous ?

Il faudrait revaloriser la filière professionnelle et qu’elle soit placée sous la tutelle du ministère de l’Education tertiaire. Une école de formation supérieure s’avère nécessaire. Si on continue dans la même voie, bonjour les dégâts !

Justement, parlons de cette jeunesse. Vous avez pu côtoyer plusieurs générations d’étudiants. Quel est votre regard sur son évolution ?

Il y a eu des changements. La génération juste après l’indépendance était assez exceptionnelle. C’était une jeunesse contestataire, issue du babyboom de l’après-guerre. On vivait dans des familles élargies où on apprenait la solidarité. On avait un idéal, on voulait changer le monde. Les temps ont changé. Désormais, on vit dans des familles nucléaires. L’enfant est devenu le centre de l’univers sur qui reposent les espoirs de la famille. Il y a la technologie qui apporte une plus grande circulation d’informations, pas nécessairement bonnes. Le peer group est plus envahissant. Les enfants se détachent trop vite de leurs parents. Souvent entre l’âge de 10 et 12 ans. On ne leur a pas donné d’idéal. Ils sont devenus plus individualistes à cause de la société de consommation. Pour beaucoup, ce qu’ils veulent c’est une place au soleil à n’importe quel prix. Mais il y a beaucoup qui désirent étudier et réussir. Il faut juste empêcher que la petite minorité décadente ne devienne la norme.

Il y a aussi un vrai désintérêt chez les jeunes pour la chose politique ?

La politique, c’est faire don de soi à la cité. Le but n’est pas de devenir un prédateur. C’est le débat d’idées avant tout. C’est un fait que le poids des jeunes est moindre dans notre société actuellement. Puis il y a ces alliances, faites à gauche et à droite, les allégations de corruption ou de sectarisme, vraies ou fausses. C’est le spectacle affligeant offert par nos politiques qui décourage les jeunes à y entrer. Mais en même temps, c’est un peu paradoxal. Car le nombre d’étudiants en Sciences Politiques augmente. Ils sont nombreux à participer à certaines causes.

Cette relative désaffection de la chose politique serait-elle due au fait qu’elle ne se renouvelle pas ?

Regardez les alliances pour les dernières élections. D’un côté, on a les fils de SSR, SAJ et SGD. De l’autre, on a Reza Uteem, fils de Cassam Uteem. Cela donne une perception que les partis politiques sont la chasse gardée de certaines familles. Et étonnamment, ceux qui dénonçaient cela disait que Paul Bérenger devait être remplacé par Emmanuel. Les partis sont les otages des leaders qui détiennent le pouvoir. Le plus important, c’est le renouvellement des idées. Mais on est toujours dans l’ethnopolitique. Les manifestes électoraux sont toujours présentés quelques jours avant le scrutin. Et bien souvent, les idées sont les mêmes. C’est une farce.

Vivons-nous dans une société de classe, de caste ou de «cash» ?

Difficile à dire. Une société est très complexe. A Maurice, les castes ont été reconstituées. Une analyse sérieuse permettra certainement de montrer que cela a été fabriqué. Elles ont certes une incidence importante sur la politique, mais cela tend à diminuer avec la mobilité sociale et la convergence de notre mode de vie.

Propos recueillis par Michel CHUI CHUN LAM