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Jocelyn Grégoire: «La compensation pécuniaire aux descendants d’esclaves est un non-sens»
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Jocelyn Grégoire: «La compensation pécuniaire aux descendants d’esclaves est un non-sens»
En cette semaine du Festival International Kreol, le père Jocelyn Grégoire évoque sa conception de la créolité et décline les axes de travail de sa fédération. Tout en assurant que le créole doit se prendre en charge, il rappelle qu’à cause du retard pris par les créoles, il leur faut une pleine intégration dans la société mauricienne. Et cela passe par une attention particulière.
Le père Grégoire identifie, d’emblée, la cause créole comme chaque injustice que la communauté créole a connue. Il revient sur le fait que le terme de «population générale» ne reflète pas la réalité sociale, culturelle, économique et identitaire des créoles. «Or, le créole fait partie de l’arc-en-ciel mauricien et la créolité touche l’universel», insiste-t-il.
Même si la créolité n’est pas un concept purement mauricien, il n’en demeure pas moins qu’elle a une valeur ethnique qui détermine la communauté créole et qu’elle lui accorde une légitimité, une reconnaissance identitaire. «Il s’agit de reconnaître que l’ethnie créole est une identité en soi. La culture est, elle, une manière de vivre propre qui contribue avec d’autres identités à faire la société mauricienne», explique Jocelyn Grégoire. Dressant le portrait du créole dans la société mauricienne, passée et actuelle, il réitère le fait que cette communauté est celle qui a subi un retard dans son évolution à cause du lourd passif de l’esclavage. Aujourd’hui encore, c’est elle qui enregistre le taux d’échec le plus élevé aux examens de fin de cycle primaire. Politiquement, elle serait également la communauté la plus sous-représentée. Sur le plan économique, elle compte, selon le prêtre, le plus grand nombre de sans-logis aussi bien qu’au plan social, le taux le plus élevé de toxicomanes, de prostituées et de personnes atteintes du VIH/Sida. Autant de raisons qui amènent le père Grégoire à plaider pour une attention particulière à l’égard de cette population.
Mais quelle prise en charge de la cause créole. Serait-elle politique? Religieuse? Sociale? Les échecs passés invitent à la vigilance, voire à la méfiance. «La cause créole, ce n’est pas le propre de l’Eglise catholique et des créoles. Il y a une inclination à penser que l’Eglise s’occupe des créoles et que l’Etat s’occupe des autres. On dit aussi que l’Eglise a de l’argent et que c’est la raison pour laquelle elle doit s’occuper des créoles. Mais n’est-ce pas à l’Etat de s’occuper de tout le monde? Je ne dis pas que l’Etat a occulté intentionnellement la question créole mais je note qu’il y a la perception que le fait que les créoles, ayant voté contre l’indépendance, subissent toujours les conséquences de ce choix. On est sanctionné pour avoir exercé un droit libre. Aujourd’hui, il y a encore la perception que, parce qu’ils n’ont pas voté pour l’Alliance sociale aux dernières législatives, les créoles sont à nouveau victimisés. Si cette perception existe, ce serait très grave», fait ressortir longuement Jocelyn Grégoire.
Selon le père Grégoire, il y avait, pour les créoles, un retard, des injustices à rattraper. «Dans la famille mauricienne, le créole est le dernier né. Avec le retard qu’il a accumulé, il ne peut être traité comme tout le monde», affirme-t-il. La problématique prend une autre dimension dès qu’on juxtapose la culture créole à côté des cultures millénaires que véhiculent les hindous, les musulmans ou les communautés franco-mauricienne et sino-mauricienne. Le créole est, lui, né de l’esclavage. A Maurice, la culture créole a moins d’un siècle d’existence. C’est ce qui explique aussi que l’affirmation culturelle créole avance à tâtons.
Qu’en est-il de ce mauricianisme qui repose sur le principe d’une intégration de tous les groupes ethniques? «Noyer l’identité propre d’un groupe au sein d’un mauricianisme utopique ne peut fonctionner qu’à la surface. Le créole n’est pas là que pour taper la ravane et amuser les touristes», répond, à ce chapitre, le prêtre.
Le discours de Jocelyn Grégoire repose sur la nécessité d’une affirmation culturelle et ethnique des créoles. Il prend, cependant, également appui sur la nécessité d’un soutien institutionnel aux créoles. Comment réconcilier ce discours à double pendant? Comment aider sans assister? Comment valoriser sans donner le sentiment d’un quelconque misérabilisme? La réponse pourrait bien se trouver dans le brassage culturel. Il y a toujours un point de rencontre entre ce qui semble avoir toujours existé et ce qui vient de naître. C’est la conviction du père Grégoire. Il y a, en ce sens, note-t-il, des interpellations et des interrogations réciproques. «Mais j’ai l’impression qu’on ne donne pas sa chance à cette expérience nouvelle», tempère-t-il.
Une expérience face à laquelle le créole fait preuve d’une certaine ouverture d’esprit. Au père Grégoire de relever que le créole se signale par son hospitalité, sa tolérance. «Chez la famille créole, on marie sa fille plus facilement avec une personne d’une autre communauté. L’inverse est beaucoup plus difficile. Le métissage profite de la capacité d’ouverture du créole. C’est d’ailleurs pour cela qu’on parle du créole-chinois, du créole-madras ou du créole-hindou…», rappelle Jocelyn Grégoire.
Il y a cette ouverture. Néanmoins, il y a une certaine facilité à assimiler le créole à un rebelle. Cette perception existera aussi longtemps qu’on n’aura pas compris l’esclavage et la stigmatisation qui s’en est suivie. «Il y a des associations qu’il importe d’éviter. Le créole n’avait pas le choix, à la différence d’un travailleur engagé. On ne peut pas mélanger engagisme et esclavage. Celui-ci est un échec de l’humanité. C’est pourquoi, notre combat a toujours été un combat en faveur de la liberté», fait ressortir notre interlocuteur.
Ce n’est pas pour autant qu’il faut développer une attitude de geignard. Ou encore se cacher derrière l’histoire pour se poser en victime. Il est question de transcender cette mentalité. «Si aujourd’hui, on est victime, alors on est victime de soi-même, du manque d’estime de soi, d’une certaine attitude de complaisance pour attirer la pitié… D’où pour moi, le non-sens d’une revendication de compensation pécuniaire pour les descendants d’esclaves. Cela ne fait pas avancer la cause créole. Une éventuelle compensation ne rachètera pas ma liberté. On ne met pas de prix sur ma liberté», souligne, avec force, le prêtre.
Les temps ont changé mais des réflexes demeurent. Le créole, venant d’un ailleurs, continue toujours à penser que le paradis est ailleurs. De Maurice, il veut toujours partir. Il a souvent le sentiment qu’il n’est pas encore chez lui. «Il y a un travail à effectuer au niveau de la reconstruction psychologique et sociologique du créole par rapport au terroir. On ne peut pas non plus traiter nos descendants esclavagistes comme nos coupables. On ne peut plus chercher un coupable pour montrer du doigt. Hier, c’était les blancs. Aujourd’hui, c’est le gouvernement. Cela ne marche pas de cette manière. Le fait est qu’aujourd’hui, il y a beaucoup plus de gens qui veulent le bien du créole que son mal», précise Jocelyn Grégoire.
C’est le message du père Grégoire. L’homme, aujourd’hui, intrigue. Le discours est réfléchi. Mais il y a une certaine polysémie qui prête à des interprétations diverses. A ce jour encore, son combat pour la cause créole n’est pas celui de tous les créoles. Mais son mouvement s’appelle la Fédération des créoles mauriciens. Il ne désespère pas de pouvoir fédérer…
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