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Jocelyn Grégoire, président de la Fédération Créole Mauricien (FCM) : « Je réfléchis à la création d’un parti politique »
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Jocelyn Grégoire, président de la Fédération Créole Mauricien (FCM) : « Je réfléchis à la création d’un parti politique »
Après une cure d’abstinence médiatique, le père Jocelyn Grégoire est réapparu le vendredi 4 octobre. En mode confettis, pour annoncer les festivités des six ans de son mouvement. Ce qu’il n’a pas dit, c’est que ses longs mois de silence ont nourri des projets… dont certains pour le moins inattendus.
Finalement, elle était où cette foutue-clé ?
Quelle clé ?
Celle de la sacristie où vous étiez enfermé…
C’est mon silence qui vous fait dire cela ?
Un silence de moine, ça ne vous ressemblait pas…
J’avais besoin de cette retraite pour savoir où aller. Me retrouver. Faire le point.
Et vendredi, bim, vous rompez le jeûne verbal…
Parce qu’on a cru que j’étais mort ! (Sourire) L’autre jour, quelqu’un m’a demandé si la FCM existait encore, il était temps de briser le silence. D’autant que les discriminations envers les créoles sont reparties de plus belle. Ces derniers temps, j’avais plutôt l’impression qu’on avançait, notamment au niveau des recrutements dans la fonction publique, dans la police, les hôpitaux ou les municipalités. Et soudainement, voilà qu’on fait marche-arrière, le pays retombe dans ses travers.
Qu’est-ce qui vous fait direcela ?
« Mon Père, mo finn aplay, mo pann gagne » : désormais,j’entends ça tous les jours. Lesgens viennent me voir avecleur diplôme, leur dossier decandidature et leur frustration.Nous, on pousse les créoles àfaire de l’éducation une prioritéabsolue, et tout ça pourquoi ? Pour les entendre direque les portes sont fermées.L’autre jour, un ingénieur sansemploi est venu me voir, il étaità bout.
Le sempiternel refrain du « bann-la-inn-bez-nou » ?
Je souhaite juste que chacun ait sa chance. Les créoles représentent 25 à 30% de la population, mais ils occupent moins de 3% des emplois dans la fonction publique, ce n’est pas normal. Qu’on me démontre que j’ai tort, que l’on publie les noms des personnes recrutées pour travailler au nouveau terminal de Plaisance. Quand le ministre Abu Kassenally méprise les squatteurs Rodriguais de Cité-La-Cure, la même logique est à l’oeuvre. Ces gens-là, dit-il, ne sont pas son problème. Eh bien, c’est justement ça le problème ! Les Rodriguais, monsieur Kassenally, ne sont pas moins Mauriciens que vous. Je suis fatigué d’entendre ça, je suis épuisé de voir les droits des créoles piétinés. Pour exister et nous faire respecter, il faut faire du bruit comme un chien enragé.
Êtes-vous un chien enragé?
Je peux le devenir. Je suis prêt à mordre tous ceux qui ferment les yeux sur l’injustice, que ce soit des hommes politiques ou des hommes d’Eglise.
Admettons que vous ayez raison sur le regain des discriminations. A qui ou à quoi l’attribuer ?
Nous avons été moins vigilants, on a baissé la garde. Résultat, les promesses ne se concrétisent pas. Un exemple : le gouvernement s’était engagé à aider les habitants de Bambous. Un projet touristique a été validé et un terrain devait être mis à disposition. On l’attend toujours. J’ai été voir le ministre Faugoo à plusieurs reprises, ça n’a servi à rien. Ah ça, pour les tasses de thé et les zolicoze, ils sont forts nos ministres ! Parfois, j’ai l’impression qu’ils nous prennent pour des imbéciles. L’année dernière, le Premier ministre m’avait donné sa parole. Il s’était engagé à ce que les créoles aient un centre culturel, au même titre que les Chinois ou les hindous. Un site a été identifié dans les Plaines-Wilhems et puis plus rien, aucune nouvelle malgré nos relances. Que faut-il faire ? Je ne sais plus. Je vais finir par tomber malade à force d’ingurgiter tout ce thé dans les ministères.
Vous fricotez donc toujours avec les politiques ?
Je n’ai rencontré personne depuis mon retour, il y a deux mois.
Allez-vous solliciter des rencontres ?
Certainement. C’était le but de ma sortie de vendredi, je ne m’en cache pas, j’ai voulu attirer l’attention des politiques. Je suis là, entamons le dialogue, c’était le message. Avec Paul Bérenger, on se verra bientôt, on s’est parlé au téléphone, il a été ouvert et accueillant. Le Premier ministre, lui, c’est plus difficile de le rencontrer.
Et M. Duval, ça ne vous dit rien ?
Non.
Qu’avez-vous à leur dire, aux leaders politiques ?
La même chose que ce que je dirai lors de notre rassemblement du 3 novembre, au Saint Mary’s College. Je veux que l’on aborde la discrimination à l’embauche, les promesses non tenues, la galère des éleveurs de porcs, ce n’est pas les sujets qui manquent. Il y a aussi la réforme électorale. Le cancer, à la base, c’est le découpage des circonscriptions. Si l’on n’y touche pas, il n’y a pas de réforme.
Ce parti politique, vous le créez quand ?
(Pensif) Figurez-vous que j’y songe désormais… (Silence) Je réfléchis à la création d’un parti qui mènerait sa barque en marge de la fédération. Mais c’est trop tôt pour en parler.
Ou trop tard pour vous taire…
(Silence)…
Si vous avez l’éternité devant vous, pensez un peu aux autres…
(Il hésite puis se lance) L’idée, c’est de créer un courant politique parallèlement à la fédération. La FCM doit conserver sa vocation de départ, c’est-à-dire l’empowerment et la lutte contre la pauvreté. A côté, j’aimerais voir naître une deuxième entité, politique celle-là, qui fonctionnerait indépendamment de la fédération.
Un courant politique dirigé par vous ?
Certainement pas, ce serait mentir aux gens depuis six ans. J’ai besoin de dialoguer avec les politiques, mais ma place n’est pas dans un parti, elle est à la fédération, là où des choses aussi vont bouger. Je souhaite que la FCM devienne la FMM, la Fédération des minorités mauriciennes. L’objectif est de s’ouvrir aux musulmans, aux Chinois, aux Blancs, aux Tamouls, à toutes les minorités, y compris les minorités hindoues, les laissés- pour-compte, les basses castes. Il ne faut pas croire que les hindous sont épargnés par les discriminations. Souvent, des gens m’interpellent : « Mon Père,sa ki oun dir lor radio lor kreol, livre osi pou mwa, mo apel Prakash,mo enn ti nasyon… ». Voilà le langage, voilà pourquoi une Fédération des minorités est pertinente.
Réunir « la famille créole », votre leitmotiv de départ, n’est donc plus un objectif ?
Si, ça le restera. Mais ça ne sera peut-être plus l’unique objectif. L’incapacité des créoles à se fédérer a tué l’espérance, c’est le grand drame de cette communauté. Les hindous, les musulmans, les Chinois ou les Blancs ont une certaine unité. Les créoles, eux, sont en permanence à couteaux tirés. Nous sommes des handicapés de la solidarité, des infirmes de l’entraide. Et vous savez pourquoi ? Parce que nous manquons de role modelslocaux. Les sources d’inspiration des créoles, c’est Martin Luther King, Malcom X, des gens qui viennent d’ailleurs.
Pensez-vous être une source d’inspiration ?
Oui, avec d’autres. L’évêque de Port-Louis incarne le leadership spirituel. Moi, je suis le surmoi des créoles, une sorte de guide moral. Celui qui dit : « Debout, prends-toi en main ».Je titille les consciences : « Hé,fais bien attention, l’éducation c’estimportant. Tu veux réussir ? Persévère.».
Vous vous voyez donc en chef de famille élargie ?
Oui.
Quel genre ? Plutôt Corleone en soutane, Gaëtan Duval ou Krit Manohur ?
(Rire) Corleone en soutane... mais pourquoi Krit Manohur ?
Parce que pour beaucoup de gens, la FCM, c’est « Voice of Hindu » en dreadlocks…
Notre vision n’est pas sectaire. Les valeurs que nous défendons, l’équité, la justice, sont universelles. Quand j’évoque la place des créoles dans la fonction publique, je ne réclame aucune faveur, juste une répartition équitable du gâteau national.
Le discours immaculé du « psychothéraprêtre », c’est bien joli mais de moins en moins de gens adhèrent. Vous le sentez ?
Je sens que l’effervescence des débuts s’est essoufflée, oui, mais c’est normal. En 2007, c’était tout nouveau tout beau. Six ans plus tard, je n’ai pas un sentiment d’échec, bien au contraire, l’effervescence s’est transformée en prise de conscience. Les créoles réapprennent à rêver. Rêver seul, ça ne sert à rien, c’est juste un rêve, une utopie. Rêver à plusieurs, rêver ensemble, là c’est intéressant parce que c’est le début du changement.
Il y a deux ans, vous disiez à propos de la fédération : « Une purge est nécessaire, nous avons trop de brebis galeuses ». Les brebis sont-elles parties ?
Je l’espère.
Vous n’en êtes pas sûr ?
On est sûr de rien avec l’humain, mais je pense que le mouvement est assaini.
Maintenant qu’il y a prescription, c’était qui les brebis ?
Je préfère ne pas répondre, laissons ça derrière.
Laissons quoi ?
Mes erreurs passées. La fédération s’est frottée trop près de la politique, ça a été un échec et j’en suis en grande partie responsable. J’ai eu tort de m’entourer de gens qui avaient un agenda politique. Mario Flore, Benjamin Moutou, Gaetan
Jacquette, Edley Chimon, Danielle Turner, Jean-Marie Richard… Ils voulaient tous avoir une aura politique. Je me suis fait manipuler par ces gens-là, ça n’arrivera plus.
Les fameuses brebis, c’était ceux ?
(Du bout des lèvres) Oui.
Résumons : vous dites que la fédération a pris ses distances de la politique, tout en annonçant la création d’un parti et en sollicitant des rencontres avec les leaders travaillistes et MMM. Vous comptez la soigner cette schizophrénie ?
(Rire) C’est gentil de vous inquiéter de ma santé mentale, mais je ne suis pas devenu schizophrène. Je ne fuis pas la politique, je veux juste que la fédération ne perde pas de vue sa feuille de route, qu’elle se concentre sur l’empowerment. D’où cette idée de créer un courant politique en marge de la fédération. Le raisonnement, c’est de se dire qu’il vaut mieux deux entités étanches plutôt qu’une seule qui est poreuse. Dialoguer avec Ramgoolam et Bérenger, c’est nécessaire. Evidemment que ces rencontres sont politiques. Mais plaider la cause des créoles auprès des décideurs, ce n’est pas la même démarche que d’aller « vendre » la fédération au parti le plus offrant, ce que certains ont essayé de faire.
En parlant de vente qui capote, vous connaissez bien Maurice Allet, l’un des acteurs du « Varmagate ». Est-il venu se confesser ?
Non, pas encore.
Et vous, que détesteriez- vous avoir à confesser ?
(Pensif) J’aurais bien quelque chose, mais… (Ils’interrompt) Non, c’est à moi. Etaler cette histoire au grand jour me ferait beaucoup de mal, ce serait un viol de ma personnalité, alors permettez-moi de garder mon secret.
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