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Jocelyne Minerve : « Le MMM a été piégé dans un schéma classique »

23 mars 2010, 11:12

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Jocelyne Minerve a été, pendant des années, un membre en vue du Mouvement militant mauricien (MMM), parti qu’elle délaisse après les émeutes de février 1999 pour lancer la mouvance «Nouvo Lizur». Dans l’entretien qu’elle nous accorde, elle livre ses réflexions sur les choix et les actions de son ancien parti. Mais surtout, elle décline les grands axes de réflexion qui devraient animer le monde politique mauricien.

En tant qu’ancienne militante, était-il nécessaire, selon vous, au MMM d’entamer des négociations avec le Parti travailliste (PTr) ?

N’étant plus du sérail, je suis incapable d’expliquer quelle est la stratégie du MMM, si stratégie il y a. Ces dernières semaines, le principal parti de la majorité et le principal parti de l’opposition se sont retrouvés pour savoir s’ils peuvent prendre le pouvoir ensemble. Aussi, je me demande, que ce soit pour le PTr ou le MMM, si l’essentiel se limite à s’accommoder entre soi, à copiner, à faire des arrangements en vue de gagner une élection. Est-ce la priorité des prétendants au pouvoir? Est-ce la priorité avant de faire un bilan de ce qui a été fait sur le plan du programme gouvernemental pour le PTr ? Est-ce la priorité pour le MMM avant de faire un état des lieux et une analyse rigoureuse des promesses électorales tenues ou non tenues ? Est-ce qu’on s’est posé des questions sur le respect de la démocratie ou des institutions ces cinq dernières années ? Ce sont des questions qui auraient dû les inquiéter fondamentalement.

Que signifient ces négociations pour vous ?

C’est faire preuve de désinvolture. C’est comme si le champ politique se réduisait à un partage de tickets, de circonscriptions et d’éventuels privilèges dans le dos de l’électorat surtout quand on sait ce que le pays a traversé ces cinq dernières années. Pour les politiques, le pays reste
 divisé entre les affidés qui obéissent religieusement et les ignorants qui ne seraient même pas capables d’une réflexion sur l’avenir de leur île. Parfois, je me demande si l’électorat est conscient de ses droits.

Pour ce qui est des partis politiques, s’il n’y a pas de devoir d’audit politique, économique, culturel et social, où nous dirigeons-nous? A quelle comédie sommes nous condamnés? C’est comme si les leaders des partis se disaient que, de toute façon, le peuple suivra. Parallèlement, il est vrai que nous avons renoncé aux droits que garantit la démocratie représentative. Cela explique qu’il n’y a eu aucun souci de dialogue social de la part de nos dirigeants ces cinq dernières années. Ils ne s’embarrassent nullement de venir nous expliquer pourquoi ils ont changé d’orientation lorsqu’ils font quelque chose de différent que ce qui avait été proposé lors de la dernière campagne législative.

Le MMM ne s’est-il pas fait piéger lors des négociations avec le PTr ?

Cela me rappelle des épisodes vécus lorsque j’étais encore à ce parti. Le leader est un chef pratiquement autocratique. Cela est aussi vrai pour les autres partis traditionnels.

Dans les négociations d’alliance, c’est toujours après coup qu’on a un feedback, ce qu’on veut bien nous dire. Les chefs des partis sont omnipotents.

Le plus important à savoir, c’est que dès qu’il y a des négociations d’alliance, cela veut dire que des partis regardent dans la même direction pour gouverner de la même manière et avec les mêmes moyens. Sur le fond, ils sont tous d’accord. Ils ne réalisent pas ou alors ils font semblant de ne pas réaliser qu’il y a beaucoup plus important.

Reste aussi à savoir si l’électorat se laissera gagner par les discours sur les pseudo-programmes. Ou alors prendra-t-il du recul et procédera-t-il à une analyse, à un bilan ? Accepterons-nous le rôle de moutons de Panurge?

Où est l’intelligentsia qui nous sortira de l’apathie intellectuelle dans laquelle on nous pousse? Les partis, eux, font dans le conformisme. Depuis les années 1930, il y a une remise en question du libéralisme pur. Depuis, c’est devenu le néolibéralisme. Aujourd’hui, malgré la crise, il n’y a aucune interrogation sur le système. Pire, il n’y a pas de prise en compte des dégâts que ce système cause. Où est aujourd’hui le MMM? Ce parti qui invitait à l’époque des gens comme Samir Amin (ndlr: professeur d’économie politique du développement) pour réfléchir au développement endogène…

Quel regard jetez-vous justement sur le MMM d’aujourd’hui?

Un regard de regret. Ce qui devait être un parti qui allait faire la politique autrement a été piégé dans un schéma classique. Moi, je crois que la population est capable de dégager un nouvel imaginaire social. Qu’il y a un potentiel de créativité et de désir de vivre-ensemble chez cette population. Mais il n’y a pas de démarche pour canaliser toutes ces énergies. La politique, c’est s’engager pour changer les choses en mieux, surtout dans un monde fait d’imprévus. Or, on n’est plus dans cette perspective. Il n’y a pas de réflexions sur les réels enjeux.

Quels seraient les enjeux auxquels on devrait s’intéresser, selon vous ?

Il faudrait s’arrêter pour tout revoir. Il y a une crise mondiale, avec une crise du libéralisme pur. Il y a aussi la crise alimentaire et la crise énergétique. Pourtant, on a l’impression que, pour nos dirigeants politiques, tout se résume à gagner. Personne ne s’interroge quant à la façon dont nous pensons à notre vivre-ensemble face aux défis présents et à venir.

Maurice ne sera pas éternellement protégée dans sa bulle face au changement climatique. Qui nous en parle?

Qui nous demande où nous voulons aller? Il nous faut une société civile éclairée et lucide. Nous gagnerons tous à responsabiliser les citoyens dans leur compréhension des enjeux. Sinon, la démocratie serait un vain mot.

La politique devrait être un mouvement de pensée en vue d’un vivre-ensemble et une analyse continue de ce qui est fait.

 

Nazim ESOOF