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José Rose, porte-parole de l’Association socioculturelle rastafari (ASR) : « La dépénalisation du gandia n’est pas mon combat »

2 décembre 2013, 11:31

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José Rose, porte-parole de l’Association socioculturelle rastafari (ASR) : « La dépénalisation du gandia n’est pas mon combat »

Surprise : l’un des rastas les plus respectés du pays n’est pas un « légalisateur » en herbe. Une Rasta Personal Law, voilà ce que réclame Ras José. « Les autres n’ont qu’à aller défendre leur cause ». Interview chanvre à part.

 

Pourquoi devient-on rasta ?

 

Pour entrer en résistance. Pour retrouver sa culture ancestrale. Devenir rasta, c’est lutter contre l’acculturation héritée du système colonial. C’est une réponse aux humiliations, au déracinement, à la perte d’identité. C’est refuser l’endoctrinement des églises chrétiennes complices de l’esclavage. C’est savoir que Dieu est noir. C’est tout cela, devenir rasta. Et là, Jah t’appelle [Jah est le Dieu« vivant » des rastas, ndlr].

 

Dieu a-t-il toujours été noir ?

 

Non, j’ai été catholique, j’ai accepté un Jésus-Christ blanc. Jusqu’au jour où j’ai compris que ma religion m’avait abandonné, comme elle a abandonné tous les descendants d’esclaves de ce pays.

 

Le rastafarisme est-il une religion ?

 

C’est aussi un mode de vie, une culture et une philosophie. Réfléchis, apprends, garde ton esprit libre : c’est la base de la pensée rasta. Un rasta ne sera jamais un mouton.

 

Des esprits libres… et enfumés. Pourquoi cet usage sacramental de la ganja ?

 

Pour nous, c’est une herbe sacrée qui permet l’accès au divin. Elle fait partie intégrante de nos rites. Avec la ganja, le rasta s’expérimente lui-même comme dieu, il se fond avec son Créateur.

 

La « ganjattitude » est-elle seulement une pratique religieuse ?

Non. C’est aussi thérapeutique et spirituelle. L’herbe est une clé qui permet de s’ouvrir à soi-même.

 

Pour le non-initié, c’estune cigarette qui fait rire.Cet usage festif vousdérange-t-il ?

 

Le blasphème me dérange, comme le fait de boire de l’alcool ou de prendre des drogues avec du gandia.

 

Le gandia n’est pas une drogue ?

 

Non. C’est tellement plus sérieux.

 

Que vous inspire le débat sur sa dépénalisation ?

 

Ce n’est pas mon combat, je ne réclame pas la dépénalisation du gandia.

 

Vous avez beaucoup fumé aujourd’hui ?

 

(Rire) Pourquoi ? Ma position vous étonne ?

 

Je pensais que tous les rastas étaient des légalisateurs en herbe…

 

Ce que mon association réclame, c’est le droit, pour les rastas, de cultiver et de consommer de l’herbe pour la pratique de nos rituels. Je dis bien pour les rastas, pour ma communauté, pas pour l’île Maurice en entier. Les autres n’ont qu’à aller défendre leur cause. Se nou kipe mor dans kaso, pa zot.

 

Vous pensez quoi de la manifestation de lundi ?

 

Je n’y étais pas et ceux qui l’ont organisée n’ont pas consulté notre association. Nous aurions agi différemment. Sans provocation.

 

Vous réclamez une Rasta Personal Law, en somme ?

 

On peut le dire comme ça. La ganja est un élément important de notre culture. Pour la vivre, nous nous mettons hors la loi. Nou dir gouvernman,trouv enn solision pou nou. Et cette solution, c’est d’établir un droit, pour toute personne de foi rasta, de fumer et de cultiver sa ganja sans encourir de sanction. En Inde, les sâdhus fument librement. A Maurice, les hindous utilisent le gandia dans certains rituels religieux, on les laisse tranquilles. Nous, on nous jette en prison, on nous stigmatise. A 57 ans, j’aimerais pouvoir me balader tranquillement dans la rue avec ma femme et mes petits-enfants.

 

Qu’est-ce qui vous en empêche ?

 

Si l’ADSU est dans les parages, j’ai droit à une fouille devant tout le monde, c’est systématique. Cette frayeur m’accompagne partout, je l’ai intériorisée. Même à l’étranger je ne suis pas tranquille. Un jour, à Amsterdam, j’avais les yeux partout. Mon ami a éclaté de rire : « José, trankil, pena l’ADSU dans coffee shop ! » (rire).

 

La prison, vous avez testé ?

 

Deux fois. C’était il y a 30 ans. J’ai fait trois mois à Beau-Bassin, enchaîné. Zotremet mwa dan leta lesclavaz,li ti mari tromatizan… Tout ça pourquoi ? Parce que Babylone [Chez les rastas, ce mot désignetoute forme de répression etd’autorité institutionnelle, ndlr] a décidé que je ne devais pas fumer. Je fume depuis l’âge de 15 ans. La ganja n’a pas fait de moi un sadique, un fou ou un mort. Par contre, la cigarette et l’alcool tuent des milliers de Mauriciens chaque année...

 

L’ADSU vous laisse tranquille à Sable-Noire ?

 

Oui. Ils savent que l’on fume mais ils ne viennent pas nous embêter, ils respectent.

 

Vous plantez ou vous achetez ?

 

C’est mystique ça…

 

Mystique ou secret ?

 

Vous êtes de l’ADSU ?

 

Je suis plus curieux qu’eux…

 

C’est trop dangereux pour moi d’en parler ouvertement.

 

Où vivent vos « frères » et combien sont-ils ?

 

Nous sommes environ 20 000 rastas répartis dans toute l’île. Ladan, mo pa kone komie kivre pratikan e komie pe fer la mod.Comme dans tous les mouvements, il y a des imposteurs. De jeunes chanteurs jouent au rasta pour faire du business, bann ki tourn-tourn zot nat divanla glas. Des drogués au brownsugar portent deslocks. Ces gens-là n’ont pas la moindre notion de rastafarisme.

 

En 80 ans d’existence, le mouvement rasta a élaboré très peu de dogmes. Les préceptes varient-ils selon les individus et les communautés ?

 

Oui. La plupart des rastas évitent l’alcool, la viande, la violence et laissent pousser leurs cheveux ; mais chaque individu est libre d’élaborer ses propres règles, puisqu’il est en prise directe avec son créateur.

 

Evitez-vous aussi la politique ?

 

Nou pa fer la politik, me nou vey zot de pre.

 

Est-ce que vous votez ?

 

A l’époque oui, quand je croyais encore au mauricianisme. La dernière fois que j’ai voté, c’était en 1982. J’étais un militant MMM.

 

Vous vivez de quoi ?

 

(Longue expiration) Je travaille sur des chantiers. L’étanchéité, la peinture. Seki mo gagne, mo fer. Nou, rasta,nou koumsa.

 

Comment vivez-vous le regard de la société mauricienne?

 

Ce regard a changé. Pendant longtemps, les rastas étaient considérés comme des citoyens de seconde zone, bann droge, bann malang. Du rastafarisme, on retenait le folklore, les clichés, fim gandia,ekout reggae, gard nat. Internet a changé beaucoup de choses. Les gens découvrent notre philosophie et s’y intéressent. Il m’arrive encore de ressentir du mépris dans le regard d’autrui, mais de plus en plus de gens nous respectent.

 

Quels sont les derniers préjugés qui collent aux locks ?

 

Trouver du travail, c’est difficile. Les dreadlocks font peur à certains Blancs, pour eux t’es forcément un mauvais ouvrier. Mais encore une fois, ce n’est pas généralisé et ça s’améliore. Sauf en prison : si tu refuses de couper tes nattes, tu finis au cachot. Le sikh, lui, on le laisse tranquille.

 

Toutes les religions à Maurice ont leur lieu de culte. Pas le rastasfarisme…

 

Un Nyabinghi Tabernacle est en construction à Chamarel.Ce sera le premier lieu deculte africain après 450 ansde présence à Maurice…

 

Le mythe « du retour en Afrique » structure le rastafarisme. Pensez-vous que trop d’Afrique dérange à Maurice ?

 

Sans doute. Pourtant, Maurice fait partie de l’Union africaine, je me sens africain. Mais l’Afrique a été gommée de nos cerveaux. J’aime m’habiller à l’africaine, mais il n’y a aucun magasin qui vend ce type de vêtements. Mes ancêtres viennent du Mozambique, mais aucune radio ne me fait découvrir cette musique. L’école n’explique rien à nos enfants sur leurs origines africaines. Les Créoles sont dans l’oubli, dans le déni de leur africanité. Nous, les rastas, nous allons les réafricaniser.

 

Certains ne savent plus parler que le français, comme s’ils avaient honte de leurs origines. Remarquez, quand on voit ce que propose le ministère de la Culture, il y a de quoi avoir honte. (Il se lève et se met enpétard) Ces gens-là massacrent ma culture ! Des femmes qui se trémoussent à moitié nue sur une scène, c’est ça ma culture ? Faux. Ça, c’est la culture de l’indécence et de l’insulte.

 

Seriez-vous plus heureux si vous viviez sur le continent africain ?

 

(Grand sourire) Ah oui ! A Maurice, je vis l’Afrique comme une expérience intérieure, je ne la respire pas à l’extérieur. Je suis allé trois fois à Shashamane [lieuconsidéré comme la « Mecque desrastas », en Ethiopie, ndlr]. J’ai même demandé la nationalité éthiopienne.

 

La doctrine rastafari opère un renversement de la hiérarchie coloniale en proclamant la supériorité du Noir sur le Blanc. C’est ce que vous pensez ?

 

Cette doctrine est très discutée, nombre de rastas préfèrent la théorie d’égalité des races.

 

Et vous ?

 

Je ne suis ni du côté des Noirs, ni du côté des Blancs, mais du côté de Dieu. Jah Rastafari.