Publicité

Kadress Pillay: «J’ai trop généralisé en mettant tous les Blancs dans le même panier»

25 janvier 2014, 09:54

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Kadress Pillay: «J’ai trop généralisé en mettant tous les Blancs dans le même panier»

 

Il y a 15 mois, il tançait les «Blancs [qui] doivent apprendre à partager». Aujourd’hui, Kadress Pillay est plus nuancé. Il aborde aussi le 9-Year Schooling , une réforme qu’il juge «mal partie», règle ses comptes avec la «petite bourgeoisie», fait la leçon au père Labour et réquisitionne, pour finir, son propre paternel.
 

Il y a un peu plus d’un an, vous disiez à l’express dimanche que « les Blancs ne contribuent pas assez à la lutte contre la pauvreté. Ils doivent apprendre à partager». Regrettez-vous ces propos ?

Absolument pas ! Et je précise que cela n’avait rien de raciste.

 

Pourquoi cette précision ?

Parce que des amis m’ont fait des reproches : « Kadress, on ne savait pas que tu étais anti-Blancs. » Je ne le suis pas, évidemment. Je leur ai expliqué, ils ont compris.

 

C’est qui « ils » ?

(Il cite des noms) Ce sont des personnes que je connais bien. D’autres que je ne connaissais pas m’ont contacté suite à cette interview, Arnaud Lagesse par exemple. Il m’a dit : « J’ai lu ce que vous avez dit, j’apprécie votre franchise, mais vous semblez ignorer ce que nous faisons chez GML. » Il m’a invité, j’y suis allé et c’est vrai que GML fait beaucoup en matière de social.

 

Vous avez donc dit une grosse bêtise ?

Non, j’ai juste trop généralisé en mettant tous les Blancs dans le même panier. Certains ont de belles initiatives, d’autres moins, mais dans l’ensemble, la communauté blanche du secteur privé ne fait pas assez pour lutter contre la pauvreté. De l’argent, il y en a à Maurice, les Porsche se vendent comme des gato pima. Mais nous avons aussi une culture de l’égoïsme qui se transmet de père en fi ls, car nos grandes compagnies sont des entreprises familiales. Ces familles sont les produits d’un système égoïste qui consiste à gérer des profits pour les possédants. Je n’ai rien contre les hommes, le jeune Hector Espitalier-Noël (NdlR, le CEO d’ENL), par exemple, est quelqu’un de très bien, si je frappe à sa porte il donne. C’est le système qui me dérange, car il fonctionne à l’égoïsme et contamine les esprits, les décisions et les comportements.

 

Et vous, avez-vous contaminé M. Bunwaree ?

Contaminé ?

 

Le 9-Year Schooling, est-ce vraiment une idée à vous comme on l’entend partout ?

J’ai effectivement proposé ce système en 1998, quand j’étais ministre de l’Education. Mon masterplan recommandait la création de 60 Middle Schools pour accueillir les élèves des Form I à III. L’objectif était de desserrer l’étau d’un système ultra-sélectif, et donc ultrastressant, qui laissait sur le carreau un tiers des enfants. Pour relâcher la pression, j’ai donc proposé la création de Middle Schools où l’on entrait automatiquement après le CPE, qui n’était donc plus un examen de sélection.

 

M. Bunwaree, lui, veut abolir le CPE…

Sauf qu’il n’a pas expliqué comment il allait s’y prendre.

 

Vous n’avez pas un petit tuyau ? 

Il m’a dit qu’il donnerait tous les détails une fois que son projet serait totalement ficelé.

 

Pourquoi le vôtre n’a-t-il pas abouti ?

Le gouvernement n’était pas prêt pour une réforme aussi radicale, il était soumis à trop de pressions. L’upper middle class ne voulait pas du 9-Year Schooling, or ces gens-là avaient l’écoute du pouvoir, ils ont tout fait pour que mon plan échoue. Pourtant, ce n’est pas faute de l’avoir défendu. J’ai animé pas moins de 26 réunions d’explications à travers l’île. Certaines ont été tumultueuses. Au collège Royal de Curepipe, j’ai failli être passé à tabac. Le Premier ministre m’avait déconseillé d’y aller, je ne l’ai pas écouté... Aujourd’hui, avec le recul, je me dis que ce projet m’a coûté mon ministère. En 2000, je n’ai pas eu de ticket. En 2010, j’ai perdu dans un fief petit-bourgeois (NdlR, la circonscription n° 18, Belle- Rose/Quatre-Bornes). C’est peut-être une coïncidence… Au fond de moi, je suis convaincu que la petite bourgeoisie ne m’a jamais pardonné.

 

La réforme Bunwaree, la trouvez-vous bien partie ?

Non, j’ai un peu peur. Dans l’opinion publique, c’est mal parti. Les gens me confient leurs réticences, M. Bunwaree aura à mener une rude bataille. Sa réforme, comme la mienne, risque de se heurter à l’égoïsme petitbourgeois. La compétition ne pose pas de problèmes aux privilégiés, au contraire, ils s’y complaisent. (À voix basse) Je vois bien ce qui se passe près de chez moi, au Queen Elizabeth College ou au collège Lorette de Rose-Hill, le système actuel arrange les parents, ils y trouvent leur compte. Et puis, je vois venir un autre macadam avec l’admission sur la base de la régionalisation. Si j’ai bien compris, les élèves des Middle Schools iront dans des collèges existants, où une aile leur sera dédiée. La première année, les parents vont s’étrangler : « Mon fils a eu 5 A+ et vous voulez qu’il aille à côté !? », il faut s’attendre à des levées de boucliers. Réussir une telle réforme lors d’une année électorale me paraît difficile.

 

En parlant d’année électorale, un ex-ministre « copié » est-il un futur ministre ?

Pas du tout ! Je suis un idéaliste, je ne me retrouve pas dans la façon de faire de la politique aujourd’hui.

 

Est-ce une façon habile de dire que personne ne veut de vous pour 2015 ?

Je suis membre du Parti travailliste. Un beau jour, le Premier ministre pourrait bien me dire : « Kadress, j’ai besoin de toi. »

 

Que lui répondrez-vous ?

Ramgoolam – l’homme, pas le politicien – est quelqu’un de très bien. Si je peux l’aider, je le ferai, mais cela dépendra de son projet de société. Pour l’instant, je suis bien à la National Empowerment Foundation (NEF), je fais mon travail avec beaucoup d’amour.

 

Un amour à mi-temps…

Je suis censé être un parttime chairman, mais je passetout mon temps à la NEF.On ne combat pas la pauvretéà mi-temps.

 

Qu’avez-vous pensé de la récente initiative du diocèse de Port-Louis qui a vertement critiqué votre politique de logements sociaux ?

Dire que 30 m2 est insuffisant pour loger une famille, c’est ne rien connaître à la détresse des gens qui ne possèdent pas de maison digne de ce nom. Durant dix ans de ma vie, j’ai vécu dans 30 m2 totalement délabrés avec mes six frères et soeur, cela ne m’a pas empêché de devenir ce que je suis, et ça, je l’ai dit au père Labour. S’il veut me faire la leçon, je peux la lui faire aussi.

 

Les programmes de lutte contre la pauvreté existent depuis 20 ans à Maurice. Malgré les milliards dépensés, des milliers de personnes vivent encore dans une misère absolue. Pourquoi ?

On s’est trompé de cible. La misère se loge d’abord dans les esprits, c’est là qu’il faut la déraciner. On ne sort pas un individu de la pauvreté sans lui donner une raison de vivre, sans l’aider à retrouver l’estime de lui-même. Les démunis ne croient plus en rien, et surtout plus en eux, la priorité est de leur faire prendre conscience qu’une meilleure vie est possible. C’est un travail de longue haleine qui demande des ressources que nous n’avons pas. Chaque family worker de la NEF est responsable de trois cents familles, le combat est disproportionné.

 

De quoi avez-vous besoin ?

La NEF dispose de Rs 400 millions par an, il faudrait le double pour être pleinement efficace. Si le budget national ne peut pas nous aider, qu’on mette à notre disposition les Rs 400 millions du Fonds CSR, nous avons besoin de cet argent.

 

Est-ce vraiment une bonne idée ? Le privé n’estil pas plus efficace que vous en matière de lutte contre la pauvreté ?

Non, le secteur privé mène un combat très partiel. Je peux le prouver, j’ai les bilans détaillés, il suffit de comparer nos actions pour s’apercevoir que la NEF est plus efficace.

 

Ces dix dernières années, l’économie du pays a connu une croissance moyenne de 4% par an. Pourquoi est-ce que cela ne se traduit pas par une réduction de la pauvreté ?

Créer des richesses est une chose, les redistribuer en est une autre. L’île Maurice est ce qu’elle est, notre économie crée des inégalités qui sont ellesmêmes source de pauvreté. Il n’y a qu’à voir le grand écart des rémunérations : dans certaines entreprises un dirigeant peut toucher deux cents fois le salaire d’un employé (NdlR, cela signifi e qu’il faut 16 ans à l’employé pour gagner un mois de salaire du dirigeant). Cette disparité est choquante et inacceptable. Limiter les écarts de salaires favoriserait une société plus égalitaire.

 

La pauvreté étant intimement liée à la question de l’emploi, êtes-vous optimiste sur ce plan ?

Oui. Du travail, il y en a et il y en aura, le problème n’est pas là, ce sont les candidats qui manquent, les Mauriciens refusent de faire certains jobs. Prenez le textile : quand je propose à un chômeur une place dans une usine, la réponse est « non, pas question de travailler de nuit ». Même à Rs 450 par jour, la personne préfère rester chez elle et attendre un soutien de l’État.

 

Parlons de vous pour terminer. Vous avez eu un parcours politique des plus tortueux…

(Il coupe) Mais pas du tout !

 

On déroule votre CV ? Reculez… dans l’ordre : MSM, PTr, MR, MMM et re-PTr…

(Agacé) Le MMM, j’éclipse, je n’ai pas été membre de ce parti, j’ai juste donné un coup de main à mon camarade Kushiram pour les élections de 2005. Le MSM, c’était un concours de circonstances, Ramgoolam et Jugnauth étaient en alliance, le ticket est venu du MSM. Ma famille politique, c’est le Parti travailliste.

 

Ne serait-ce pas plutôt le parti Girouettiste ?

(Outré) Quelle imbécillité ! Quelle étiquette ridicule ! Je suis un battant, je vais appeler ma femme, elle va vous dire, elle.

 

Elle va nous dire que vous êtes un indécis ou un opportuniste?

(Il pique une colère) Là, vous m’insultez... Vous réalisez ce que vous dites !? Vous réalisez que j’ai quitté mes privilèges de directeur de l’Audit pour aller faire de la politique ? Personne n’a fait ça dans ce pays, personne ! Allez-y, donnezmoi un nom, un seul ! J’ai fait l’Histoire, les gens ne le disent pas assez...

 

Bah voyons…

(Il ne décolère pas) J’étaisau top niveau de la fonctionpublique, monsieur. Ledirecteur de l’Audit estun intouchable dans laConstitution, le saviezvous? J’ai fait une croix sur 24 années de service pourcontribuer directement à lavie publique de mon pays,c’est de l’opportunisme ça ?Ma mère a pleuré commeune enfant quand je lui ai annoncé ma décision.

 

On se quitte fâchés ?

(Il se détend) Naaan !Regardez mon sourire, c’estjuste que votre questionne m’a pas plu. Allez direà mon père – il a 98 ans –que son fils est un indécis etun opportuniste, il va vousinsulter ! (Éclat de rire).

 

Appelez-le, on va s’amuser…

Il habite chez ma soeur, allons-y…