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Kee Chong Li Kwong Wing : «Le gouvernement dispose de plus de Rs 10 milliards pour financer le PRB»
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Kee Chong Li Kwong Wing : «Le gouvernement dispose de plus de Rs 10 milliards pour financer le PRB»
? A trois mois de la présentation du budget 2013, quelle évaluation faites-vous de l’économie de Maurice ?
L’évolution de l’économie de Maurice, au cours de ces derniers mois, demeure à tous les égards négative et confirme donc les graves appréhensions du grand public qui est déjà criblé par la récente rafale d’augmentations des prix alimentaires et des matériaux de construction.
Cette évolution – qui vient d’être confirmée par les derniers rapports de Statistics Mauritius – contredit tous les «talking drums» et les «upbeat chest-stumpings» du ministre des Finances, depuis sa nomination en tant que Grand Argentier. Les faits sont visiblement têtus : la croissance a encore é té ré visé e à la baisse, passant de 4 % à 3,5 % pour 2012, contre la récente estimation de 3,4% du MCB Focus, avec des risques de réduction à moins de 3 %.
Sur le plan sectoriel, nous pré voyons une stagnation au niveau des secteurs du sucre et du textile. De plus, il y a eu une baisse d’arrivé es touristiques (-0,5 %) alors que les recettes sont plombées à Rs 42,5 milliards au lieu de Rs 43,2 milliards initialement prévues. Je relève également une contraction de la croissance dans le secteur de la construction, une régression dans les activités de petits commerces ainsi qu’un repli de croissance dans le secteur financier et les Tics. Sans oublier le business climate empreint de morosité qui nous place dans le rang des pays les plus pessimistes du monde, soit en neuvième position. Alors, nous comprenons bien pourquoi l’investissement privé baissera de 3,3 % cette année, le taux de l’épargne nationale reculera de 2,7 % et l’investissement dans les é quipements et autres machines sera en mode stand-by.
? Vous semblez dire que tous les indicateurs sont en rouge et que les principaux secteurs souffrent d’une baisse de croissance ?
S’il y a une croissance, elle concerne le chômage et la dette nationale. Le premier franchira la barre de 8 % alors que la dette nationale approchera la zone dangereuse de 60 % du Produit intérieur brut (PIB). Dans la même foulée, il y a la balance des paiements qui est entré e dans le rouge après des années de surplus, le déficit du compte-courant qui dépassera les
13 % quand la cote d’alerte est de 5 %, et le déficit commercial qui a dé jà dé passé les 25 %. Parallèlement, le coût de la vie prendra l’ascenseur avec la relance de l’inflation importé e, sans compter la dépréciation de la roupie qui risque de s’accélérer avec les atermoiements répété s du ministre des Finances à l’égard de la Banque centrale, pour intervenir massivement sur le marché des changes.
Voilà le triste bilan où nous mène notre meilleur ministre des Finances de l’Afrique, avec son premier budget dont la mise en application, dit-il, a dé jà atteint les 75 % à mi-mandat. Je me demande ce qu’il adviendra lorsqu’il sera à 100 % d’exécution ? Il ne faut pas être prophète de malheur pour imaginer le scénario compromettant. Le rêve de Pravind Jugnauth qui est d’atteindre Rs 3 milliards de PIB en 2020 est fortement compromis, pour ne pas dire tourné au cauchemar !
? Face à la dégradation de la conjoncture économique internationale, estimez-vous que le ministre des Finances a suffisamment de marge de manoeuvre pour soulager économiquement la population ?
La dégradation économique mondiale perdure déjà depuis quatre ans. Il ne s’agit pas d’une catastrophe qui vous tombe sur la tête maintenant. Ce gouvernement est au pouvoir depuis les sept dernières années et n’a pas vu venir la crise. Il pré tend avoir pris des mesures courageuses pour rendre l’économie plus résiliente face aux effets de cette crise. Or, nous constatons tous comment l’économie du pays est fragile et vulnérable face aux chocs économiques des pays de la zone euro et aux incertitudes des pays fournisseurs de pétrole du Moyen-Orient. Le budget-confetti 2012 n’a fait aucune réforme structurelle qui aurait pu doper la productivité et assurer les investissements à long terme dans l’éducation et la formation des compétences, la recherche et l’innovation, ainsi que la diversification des produits et des marchés d’exportations. Ce qui aurait boosté la relance économique d’une façon durable et inclusive.
? Ce qui n’a pas été le cas… ?
Evidemment. Et il ne faut pas être surpris qu’en juin 2012, le gouvernement n’ait dépensé que Rs 3,5 milliards, soit 24 % de la somme budgétisé e de Rs 14,3 milliards é tant destiné e aux projets de développement. Cela a été une pratique courante de ce gouvernement, marquée par les effets d’annonce concernant la sous utilisation du budget d’investissement à cause des projets mal conçus.
Il faut faire ressortir que de 2006 à 2011, le budget d’investissement de ce gouvernement a été de 2,6 % du PIB en moyenne par an, contre un taux annuel de 4,1 % du précédent gouvernement MMM-MSM pour la période de 2000 à 2005. Ce qui nous fait un montant de Rs 21 milliards d’investissements de moins durant ces années de supposément grande reforme du gouvernement actuel.
Celui-ci n’a jamais vraiment investi ou planifié dans le long terme. Il s’est contenté de «bat-bater» , de « muddling through» . Et c’est la raison pour laquelle nous enregistrons, aujourd’hui, de mauvais résultats économiques à un moment où la véritable crise nous frappera durement. Nous n’avons jamais réalisé de worst case scenario, se contentant d’une approche piece meal, de quick fixes et d’une administration ad hoc. Le gouvernement a non seulement fait d’énormes capital underspendings, mais il a aussi tondu les consommateurs et les petits contribuables pendant des années, à travers l’imposition de toutes sortes de taxes indirectes et autres charges sur les produits de consommation courante, les permis et patentes, les jeux, en attendant le péage et la garbage tax. De ce fait, d’é normes économies et revenus provenant des contribuables ont é té accumulés, à tel point que le gouvernement éprouve de la honte pour intégrer ce surplus d’argent dans le budget. Il le distribue aujourd’hui dans différents Special Funds hors du budget.
La somme accumulée se chiffre à Rs 13,3 milliards, incluant le gigantesque National Resilience Fund. Je note que très peu de dépenses ont pu être effectuées de ces Special Funds. De ce fait, le gouvernement disposera de plus de Rs 10 milliards pour le budget 2013. Ce montant est suffi sant pour financer les recommandations salariales du Pay Research Bureau (PRB) pour une augmentation salariale moyenne de plus 25 %, une allocation de formation de Rs 6,000 par mois pour les jeunes de moins de 20 ans et une réduction de la Taxe à valeur ajouté e (TVA).
Une estimation préliminaire montre que le défi cit budgétaire ne dé passerait pas le taux de 3,8 % estimé en 2011, en dépit de ces mesures. A condition toutefois qu’il n’y ait pas de colourable accounting comme cela a é té le cas dans le passé où des fonds non utilisé s ont été ré alloué s comme des transferts de fonds extrabudgétaires et comptabilisés comme des dé penses. Cette pratique a l’effet de faire gonfler le déficit budgétaire. De telles astuces comptables ont é té critiquées par le Fonds monétaire international (FMI). Nous mettons en garde le gouvernement qui songerait à avoir une nouvelle fois recours à cette pratique, compte tenu du fait que la population croule sous des dettes, l’inflation et le chômage.
? Quels devraient être les principaux axes guidant le prochain exercice budgétaire ?
Il n’y a pas mille solutions. Il faut éliminer les gaspillages, assurer une meilleure gestion de nos ressources, mais aussi engager des ré formes structurelles profondes par rapport à la concentration et la cartellisation de l’économie. Parallèlement, il faut créer de nouveaux pôles de croissance, tout en diversifiant nos marchés d’exportation et développer un cadre holistique pour inciter la population à améliorer la productivité à tous les niveaux. J’insiste sur le fait qu’il faille ré former le système éducatif, en mettant un accent particulier sur la capacity building, l’innovation et la connaissance. Nous ne pouvons pas dépendre sur des mesures temporaires. Il faut penser grand et positionner l’économie dans une perspective à long terme dans les pays de la région, afin de bénéficier d’une croissance durable. Pour y parvenir, nous avons besoin d’une véritable
Planning Commission susceptible d’effectuer des analyses en profondeur tant à l’échelle macroéconomique que microéconomique. Et ce, afin d’établir les contours d’une vision dynamique du pays ré pondant aux aspirations de ses habitants. Pourtant, nous devrons continuer nos efforts de consolidation fiscale. Les dépenses publiques courantes
par rapport au PIB continuent à grimper pour être à 22 % du PIB. Si nous excluons les one-off items tels que les donations, les revenus fiscaux sont restés stagnants à 20 % du PIB. De ce fait, nous avons un déséquilibre structurel fiscal qui n’est pas financièrement soutenable dans le temps. « Cut waste» devrait être le leitmotiv de la gestion budgétaire.
? Quels sont les principaux défis auxquels fait face l’économie du pays ?
L’économie a, jusqu’à pré sent, é té trop dépendante des solutions à court terme ou des coups de chance. Ce qui se profile à l’horizon est une longue période de turbulence et de crise globale. Nous avons besoin de nouveaux visionnaires, de nouveaux gestionnaires qui soient capables d’assumer de nouvelles responsabilités au sein de la Mauritius Inc. « It’s a sick scelerosed clique that is rotting the whole system» . Le problème est que le temps presse, d’où l’urgence d’avoir du sang nouveau dans le corps directoire du pays. Et ce, dans le but de renouveler la classe dirigeante et reconstruire l’économie du pays.
Nous sacrifierons une génération entière si nous n’arrivons pas à penser out of the box des formules du FMI et de la Banque mondiale. Il faut dé gager des actions urgentes et concerté es pour faire face aux effets d’une croissance en berne et d’un climat des affaires qui sombre. Cela à travers des mesures pour relancer les investissements publics et privé s. Une plus grande collaboration entre l’industrie et la société civile est nécessaire pour transformer la gouvernance des entreprises et ré inventer le modèle économique susceptible de créer rapidement des gains d’efficience, en vue d’obtenir une croissance potentiellement élevée.
? Estimez-vous que l’objectif de croissance de 3,4%, estimée par plusieurs instances locales et internationales pour 2012, sera atteint ?
Même si le taux de croissance économique n’est pas encore en territoire négatif, l’économie s’est, elle, développée en dessous de sa capacité, soit au-dessus de 4 % quand la moyenne pendant des décennies a é té de 5,5 %. Ce qui est un taux insuffisant pour affronter les défis d’une transition difficile en vue d’atteindre un niveau é levé de revenus.
Heureusement que les secteurs lié s à l’Integrated Resort Scheme, au foncier, aux Tics et au seafood hub - qui ont tous été créé s sous le précédent gouvernement MMM-MSM - ont maintenu un certain dynamisme économique. Cependant, j’observe que même sur la base de ces pôles de croissance, il y a des risques que le secteur privé soit confronté à un essoufflement, en raison du faible niveau d’investissement et d’épargne nationale.
La MCCI ainsi que la MCB ont tiré la sonnette d’alarme sur un atterrissage difficile de l’économie. Si on se réfère aujourd’hui aux maigres résultats du secteur du Tourisme et de l’Intégration sociale suite au passage du Grand Argentier à ces deux ministères, il y a fort à parier qu’il ne parviendra même pas à réaliser un taux révisé à la baisse de 3,4 %.
Propos recueillis par Villen Anganan
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