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Krishna Luchoomun: «Il faudrait une réforme radicale du système électoral»

20 avril 2010, 14:26

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Prof de peinture au département des Beaux-Arts au «Mahatma Gandhi Institute», le peintre Krishna Luchoomun est l’un des Mauriciens qui se sont portés candidats sans dévoiler leur Appartenance ethnique. Il nous explique sa démarche et commente l’actualité politique durant cette période de campagne électorale.

¦ Vous êtes un de ceux qui ont répondu à l’appel lancé par «Rezistans ek Alternativ», qui demandait que l’on se porte candidat sans révéler son appartenance ethnique. Qu’est-ce qui a motivé votre décision ?

Généralement, je me tiens très à l’écart de la chose politique. Ce n’est pas quelque chose qui m’inspire véritablement. Dans ce cas précis, un ami m’a approché et m’a suggéré de me porter candidat. J’ai accepté après réflexion, sachant pertinemment bien que ma candidature serait rejetée de toutes les manières. Je me suis, en conséquence, porté candidat en indépendant, sans adhérer à aucune formation politique. C’était une occasion de m’exprimer en tant que citoyen mauricien. Je me considère Mauricien à 100 %. Je suis contre tout ce qui s’appelle «nou bann» et «zot bann». Pour moi, c’est un geste patriotique et citoyen.

¦ Qu’est-ce que vous avez voulu dénoncer avec cette candidature rejetée ?

Un système électoral qui n’est pas approprié pour notre pays, alors que nous sommes dans le troisième millénaire. C’est un système archaïque qui n’apporte pas l’unité au sein de la population. Bien au contraire, il ne fait que diviser la population. C’est, en même temps, un système qui fait le jeu de certains politiques. Peutêtre que s’il y avait plus de citoyens qui répondaient à l’appel de Rezistans ek Alternativ, on aurait pu constituer une force susceptible de faire changer les choses et ébranler le système.

¦ Il y a une campagne électorale en cours. Qu’est-ce qu’elle vous inspire ?

Elle me fait peur pour l’avenir de mon pays. C’est, comme d’habitude, une campagne communale, où chacun veut se poser en leader de sa communauté respective. D’autre part, je constate qu’on ne met l’accent que sur l’économie et le matériel. L’économie est importante. Mais il y a aussi l’humain. J’estime qu’on ne met pas suffisamment d’accent le développement humain. Enfin, je prends note du fait qu’aucun parti n’a publié son programme. Cela veut tout dire. C’est traiter avec un certain dédain la population. On n’a pas développé sa vision pour le pays. A la place, on assiste à des attaques personnelles.

J’aurais aussi aimé qu’on débatte de la question éducative. L’éducation est, aujourd’hui, devenue un exercice de bachotage et une affaire purement académique. Le système académique mauricien tue la créativité. Les enfants ne font qu’apprendre par cœur pour être premiers. Par la suite, ils deviennent des adultes qui ne savent pas apprécier un livre, un fi lm ou la vie tout court. Il nous faut un système éducatif où les gens pourront apprécier la vie.

¦ Quels sont, selon vous, les grands défis que le pays doit relever au cours des cinq prochaines années ?

Il faudrait une réforme radicale du système électoral, afin que Maurice devienne vraiment une île pour tous les Mauriciens, et qu’on cesse de parler des citoyens de ce pays comme symboles de telle ou telle communauté. Si on n’arrive pas rapidement à cela, il y a des risques de dérapages. Je ne suis pas alarmiste. Mais je constate que, lorsqu’on veut parler du vivre-ensemble des Mauriciens, on fait souvent ressortir qu’ils sont tolérants. Ce n’est pas de tolérance dont on a besoin. La tolérance a d’ailleurs ses limites. Il faut qu’il y ait un pont entre tous les Mauriciens. Un Mauricien, c’est un individu. Ce n’est pas un membre d’une communauté. Il faut de l’amour entre les gens. Je pense aussi qu’on doit mettre en pratique le projet Maurice île Durable (MID). Mais il ne faut pas que MID reste seulement un slogan pour l’environnement. Il y a en MID toute une dimension sociale et culturelle. MID, c’est une façon de nous unir. C’est autant d’efforts à entreprendre pour définir une vie qui s’articule autour d’un projet écologique et un mode de vie sain. Cela dit, j’estime que la durabilité de l’île n’est pas fondée uniquement sur l’environnement. L’entente entre les personnes d’origines diverses est cruciale. Il y a un véritable vivre-ensemble à développer. Je pense aussi que dans l’île Maurice de demain, les centres culturels dédiés n’ont nullement leur place.

¦ Pourquoi ?

Ces centres sont une source de division. Ils enferment les gens dans des ghettos culturels. C’est un cloisonnement communautaire qui n’apporte aucune ouverture.

¦ En tant qu’artiste, êtes-vous satisfait de la place qu’on accorde à la culture et à l’art à Maurice ?

La culture et l’art, ce sont des moyens de réunir la population mauricienne. Dans l’île Maurice de demain, je souhaiterais voir un sino-mauricien jouant du tabla, un hindou pratiquant la danse chinoise… Il faut que tout le monde se sente libre de pratiquer n’importe quelle forme d’expression artistique et culturelle, de quelque tradition et civilisation que ce soit.

¦ Est-ce qu’il existe suffisamment de créativité pour atteindre cet objectif ?

C’est le cloisonnement qui ne permet pas la créativité. Cela dépend aussi de l’importance que l’Etat accorde à l’art. Il faut donner plus de moyens pour plus de créativité.

¦ La créativité ne dépend pas pourtant de moyens matériels…

En effet. Mais, en même temps, il faut des lieux où les artistes pourront s’exprimer. Où des hommes de théâtre pourront interpréter leurs pièces, des compositeurs faire connaître leurs créations, des plasticiens exposer leurs oeuvres… En art, les échanges sont importants. Actuellement, chacun travaille de son côté. Et puis, dans le monde de l’art, il faut beaucoup voyager, rencontrer des gens d’autres horizons, d’autres sensibilités. C’est ce qui permet de développer sa créativité.

¦ Comment jugez-vous l’action du gouvernement dans le domaine artistique ces cinq dernières années ?

En fait, de tout temps, on a eu des ministres des Arts et de la Culture qui n’ont fait qu’exposer leurs intentions. Dans le concret, il ne s’est pas passé grand-chose. Ce sont les artistes qui se sont soutenus entre eux. Beaucoup de nos ministres des Arts et de la Culture ne croient même pas dans les discours qu’ils ont prononcés.

Propos recueillis par Nazim ESOOF

Nazim ESOOF