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L’affaire est entendue
De gustibus et coloribus non est disputandum : la formule est au moins aussi vieille que l’antiquité romaine. Les goûts et les couleurs ne se discutent pas et nous nous garderons bien de trouver raison aux préférences de Dick pour le bomli, de Tom pour la pipengaille ou de Harry pour le saucisson d’âne. Chaque individu entretient un rapport intime et mémoriel avec les saveurs, les odeurs, les mélodies qui, le mieux, le définissent. L’affaire est entendue : nul ne peut légitimement affirmer que la vieille rouge est meilleure que la licorne ou le cordonnier. C’est une question de goût, parfois de contexte. Sans doute les prix du marché, la réputation des produits permettent-ils de suggérer que la viande de boeuf de Kobe, que les éleveurs japonais produisent avec des soins infinis, est supérieure à l’agglomération de bas- morceaux hachés qui se retrouvent dans la plupart des hamburgers du commerce. L’affaire est entendue : pour repousser le mauvais cholestérol, pour absorber davantage d’actine et de myosine par repas carné, pour l’éducation du goût aussi, il est sans doute mieux de proposer aux enfants une grillade de topside de buffalo indien peu coûteux, plutôt qu’un douteux steak haché entre deux tranches d’indice glycémique élevé…
L’affaire est entendue, les ruminants, dont les bovins, sont aussi gros producteurs de méthane. Un seul bovidé produit environ 65 kg de méthane par an une vache laitière, qui mange beaucoup, produit presque le double. Avec 1,3 milliard de têtes sur la planète, cela représente environ 37% des émissions mondiales de méthane, ce dernier produisant un effet de serre 23 fois plus élevé que le dioxyde de carbone. Selon un rapport de 2006 de l’Organisation mondiale pour l’agriculture et l’alimentation, l’élevage contribue plus, mondialement, à l’effet de serre que les transports. La croissance de la demande mondiale de viande et de produits laitiers aura pour effet, en 2050, le doublement, par rapport à 2008, de la concentration de méthane dans l’air. L’affaire est entendue, consommer moins de produits carnés mais aussi moins de lait, de yaourts, de glaces, de fromage, de chocolat devient un enjeu citoyen, une forme de responsabilité planétaire.
L’affaire est entendue, il existe, à travers le monde, à Maurice même, des contemporains, des concitoyens plus sensibilisés que d’autres aux risques pour la nature d’une alimentation à forte intensité de protéines animales. Il existe même des savoir- faire, des recettes végétariennes, voire végétaliennes, à même de surprendre le carnivore de culture, de lui paraître enfin savoureuses, voire d’exploiter avantageusement des substituts végétaux. Pour la sécurité alimentaire, dans 40 ans, d’une planète de 9 milliards d’habitants, pour le retour à un équilibre depuis assez longtemps compromis, la culture qui s’imposera à la cuisine et autour de la table sera un atout majeur pour notre survie à tous, au moins celle de nos enfants et petits-enfants. Et on imagine quelle formidable mission de solidarité citoyenne pourrait se donner les membres de Iskcon : publication de livres de recettes, journées portes ouvertes, visites dans des quartiers, ouverture à travers l’île de plusieurs restaurants Govinda, etc. Quand on est porteur d’une conviction et riche d’un savoir, quoi de plus beau que de les partager, que de les faire découvrir à ceux qui y sont étrangers ?
Mais à Maurice partage-t-on ? N’eston pas davantage face à des gens qui, d’un bord à l’autre, ne songent qu’à marquer leur territoire ? Et pourtant, à l’abri de surenchères publiques, aux caisses d’hypermarchés, l’aliment permis de l’un flirte avec l’interdit de l’autre, leurs eaux de décongélation se mêlant parfois. Il n’y a qu’à Phoenix, semble-t-il, que les vapeurs de cuisson font naître la conscience écologique. Toujours ça de gagné sur Albion.
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