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La franc-maçonnerie en pleine lumière avec Brinda Venkaya Reichert, Doctorante à l’université Michel-de-Montaigne - Bordeaux-III

19 août 2013, 11:45

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La franc-maçonnerie en pleine lumière avec Brinda Venkaya Reichert, Doctorante à l’université Michel-de-Montaigne - Bordeaux-III

Brinda Venkaya Reichert, 38 ans, prépare une thèse de doctorat sur la franc-maçonnerie dans l’île Maurice du XIXe siècle. Tête chercheuse au royaume des vénérables, on la regarde un peu comme un ovni. Interview géométrique, ambiance équerre et compas.

 

Vous avez longtemps hésité avant d’accepter cet entretien. Pourquoi ?

 

Parce que c’est très compliqué de parler de ses recherches quand on est doctorant. Ma thèse est un peu mon bébé, j’ai peur de l’abîmer. Et puis, la franc-maçonnerie est un sujet sensible, surtout pour une femme. C’est la première fois que j’en parle à un journaliste.

 

Comment une ancienne journaliste et prof d’anglais est-elle amenée à s’intéresser à la franc-maçonnerie ?

 

Je me cherche. Je travaille depuis longtemps sur les identités, je m’intéresse à tout ce qui nous construit. Petit à petit, j’en suis arrivée aux identités que l’on tait, aux non-dits, aux tabous et, de fil en aiguille, à la franc-maçonnerie.

 

Son rôle dans l’île Maurice du XIXe siècle, c’est ce que vous cherchez…

 

Voilà. En quoi la franc-maçonnerie a-t-elle influencé la société coloniale tout entière, et plus tard la période pré-indépendance. Je me suis donné quatre ans, je suis à mi-parcours.

 

Ce parcours passe donc par Maurice ?

 

Pas cette fois-ci, je suis venue en vacances (elle vit à Bordeaux, dansle sud de la France, NdlR). L’essentiel de mes recherches se fait en France et en Angleterre, dans les archives des obédiences (fédération deloges, NdlR).

 

Vous n’avez pas rencontré des dirigeants de loges mauriciennes ?

 

Pas encore, je le ferai plus tard. Nous sommes déjà en contact régulier, par mail ou par téléphone.

 

Dans le royaume très masculinde l’équerre et du compas, êtes-vousla bienvenue ?

 

Cela dépend des obédiences. Certaines sont plus bienveillantes que d’autres. Une femme qui s’intéresse à la franc-maçonnerie, certains trouvent cela étrange, ça pose question.

 

Et que répondez-vous ?

 

Que je suis une femme libre qui s’intéresse à ce qui lui plaît.

 

Commençons par le début. 1778, l’acte de naissance officiel de la franc-maçonnerie à Maurice…

 

Auparavant, des loges existaient mais elles étaient « irrégulières ». En 1778, le Grand Orient de France décide de les régulariser. Trois officiers de la marine française sont envoyés à Port-Louis, où ils créent la loge de la Triple Espérance (cette loge qui existe toujours initiera un certain Sir Seewoosagur Ramgoolam,NdlR). Trente ans plus tard, les Britanniques prennent possession de l’île. Un maçon français, l’ingénieur Lislet-Geoffroy, remet les clés des fortifications à un maçon anglais, le gouverneur Farquhar : l’image est hautement symbolique (large sourire).

 

 

Au-delà du symbole, quel était le paysage maçonnique de l’époque ?

 

À l’arrivée des Britanniques, le Grand Orient de France est la seule obédience. Ses loges sont extrêmement dynamiques. Farquhar rejoint d’ailleurs La Triple Espérance, tout comme Lord Moyra, le vice-roi des Indes. C’était une façon de dire aux Français : « Nous venons en paix. » Cette fraternité était cultivée dans les bals, au théâtre, aux courses. Maurice était à l’époque un laboratoire maçonnique.

 

Cette « union sacrée » a-t-elle duré ?

En 1814, la Grande Loge unie d’Angleterre s’implante. Les Britanniques ne veulent pas « casser l’outil », la fraternité maçonnique tient bon. Mais plus on avance, plus elle s’effrite. Les réalités du siècle font naître des clivages. Et en 1877, après le schisme, tout vole en éclats.

 

Quel genre de clivage ?

 

Sur l’abolition de l’esclavage, par exemple. Les francs-maçons français, propriétaires terriens, voulaient conserver leurs esclaves. Les francs-maçons anglais, eux, n’en avaient pas. Conclusion : il n’y avait pas un regard de la franc-maçonnerie sur l’esclavage, mais les regards des hommes en fonction de leurs intérêts du moment. Les obédiences maçonniques ont façonné la société mauricienne en contribuant à sa cohésion, mais aussi à ses divisions.

 

Durant la première partie du siècle, la cohésion prime…

 

C’est vrai. L’oligarchie coloniale, les religions et la franc-maçonnerie font plutôt bon ménage. En 1854, l’Église catholique mène une fronde antimaçonnique, les maçons sont privés des sacrements, la belle entente prend fin. Le clergé s’est senti menacé par l’influence grandissante de la franc-maçonnerie. Une influence culturelle, sociale et politique. La franc-maçonnerie était devenue une institution parmi d’autres. Elle faisait partie du paysage colonial.

 

Avait-elle aussi mauvaise presse qu’aujourd’hui ?

 

Sa réputation était bien meilleure. Les journaux annonçaient même les grandes tenues (les réunions de loges,NdlR). Les francs-maçons ne se cachaient pas, leur contribution était visible dans la cité. Quand une catastrophe survenait, les donateursétaient souvent des maçons. LaTriple Espérance avait même crééune Caisse de Secours qui subvenait aux besoins des pauvres.

 

Pouvait-on parler d’administration parallèle ?

 

Non, ce serait aller trop loin. Il s’agissait d’une institution qui réunissait des hommes d’influence. Qui était franc-maçon à l’époque ? Côté britannique, vous aviez les chefs de la colonie et les hauts gradés de l’armée. Côté français, les propriétaires terriens et quelques métis influents. C’était surtout des notables. Leur influence venait d’abord de leur statut social. Je me suis amusée à éplucher les listes des loges, tous les people de l’époque y étaient ! (sourire)

 

De quoi ces « people » parlaient-ils ?

 

(Ironique) Vous savez ce qu’on dit : en loge, on ne parle ni de religion, ni de politique.

 

Et vous croyez ce qu’on dit ?

 

Bien sûr que non. Si on ne parlait pas de politique et de religion au XIXe siècle, on ne parlait de rien.

 

Au cours de vos recherches, quel aspect vous a le plus heurtée ?

 

(Hésitante) Le manque d’humanisme m’a surpris. La façon dont des maçons ont traité d’autres maçons. La franc-maçonnerie a connu des périodes troubles.

 

C’est-à-dire ?

 

L’héritière du Siècle des Lumières n’a pas toujours été en adéquation avec ses valeurs. Des documents sur l’esclavage, sur la propriété privée, sur la place des métis ou sur celle des travailleurs engagés font froid dans le dos. Dans les archives de la Bibliothèque nationale de France, j’ai découvert une étude anthropologique sur Lislet-Geoffroy, qui évoque son « intelligence malgré un faciès de nègre »

 

La discrétion maçonnique a-t-elle joué des tours à l’Histoire ?

 

Oui. Par exemple, peu de Portlouisiens savent que la première pierre de la cathédrale Saint-Louis a été posée selon des rites maçonniques. Idem pour la dernière pierre des docks. Les salons de la Triple Espérance ont accueilli les premières élections municipales… et également les bals les plus courus du pays. La Triple Espérance était un lieu en vogue, c’était le Suffren de l’époque. La vitrine de la franc-maçonnerie, c’était ça. Forcément, le regard des « profanes » était moins suspicieux qu’aujourd’hui. On voyait la franc-maçonnerie comme une sorte de rite mondain entre gens de bonne famille. L’idée d’un « complot francmaçon » n’était pas encore à la mode.

Pensez-vous qu’aujourd’hui, les pouvoirs prêtés à la franc-maçonnerie sont plus fantasmés que réels ?

 

Oui. Dès qu’un problème surgit, on l’attribue à un pouvoir maçonnique caché. La franc-maçonnerie affairiste existe, mais les notions de complot et de société secrète sont ancrées dans l’air du temps. Cette lecture est souvent biaisée, pour ne pas dire ridicule. Mon travail de chercheur consiste aussi à démystifier ces croyances.

 

Bon, vous ne pensiez quand même pas y échapper ?

 

(Elle recule dans son siège) Je me demandais quand ça allait venir…

 

Êtes-vous franc-maçonne ?

 

(Silence)...

Êtes-vous initiée ?

 

Je ne répondrai pas à cette question.

 

Pourquoi ?

 

Je suis une chercheuse qui a pour objet de recherche la franc-maçonnerie. Le reste n’a aucun intérêt.

 

Être franche et maçonne n’est donc pas compatible ?

 

Je suis franche, pas maçonne. Je suis dehors, je n’ai pas frappé à la porte.

 

Pas encore ?

 

Je frapperai au bon moment.


Repères

• 1975. Naissance à Curepipe.

• 1986-1993. Queen Elizabeth College.

• 1995-1996. Journaliste à 5-Plus.

• 1998-2003. Professeur d’anglais au collège Saint-Esprit.

• 2005. DEA sur l’anglicanisme colonial (La Réunion).

• 2009-2010. Lecturer en anglais et communication business à l’Institut Charles Telfair.

• Depuis 2011. Prépare un doctorat sur la franc-maçonnerie à Maurice (Bordeaux).