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La Libye menacée par ses milices

8 avril 2012, 00:00

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La Libye menacée par ses milices

La trêve va-t-elle durer dans l’ouest de la Libye ? Après trois jours d’affrontements entre milices et groupes armés, un cessez-le-feu précaire était toujours respecté à Zouara, à 100 kilomètres de Tripoli, sur la route qui mène à la frontière tunisienne, écrit  Luc Mathieu dans Libération.fr. Analyse.

Le nouveau régime manque d’autorité pour venir à bout des affrontements armés entre clans, affirme l’auteur. Avant de citer  William Lawrence, spécialiste de la Libye pour International Crisis Group (ICG), qui prévient  que  les combats peuvent recommencer à tout moment. Il suffit d’une nouvelle étincelle, dit-il.

Les hostilités avaient débuté mardi lorsqu’une vingtaine d’ex-rebelles de Zouara ont été arrêtés par des habitants des villes voisines de Jamil et Regdaline. Les deux camps se haïssent : les combattants de Zouara sont amazighs (berbères) et ont lutté contre les forces kadhafistes durant la rébellion. Les habitants de Jamil et Regdaline sont arabes et ont soutenu le régime du Guide. Comme à l’été dernier, lorsque les rebelles s’approchaient de Tripoli, les combats ont été violents, mobilisant chars, mitrailleuses lourdes et lance-roquettes. Une première intervention du Conseil national de transition (CNT) avait permis de faire libérer les ex-rebelles, mais les affrontements ont repris quelques heures plus tard. Au total, 18 personnes ont été tuées et environ 250 autres blessées durant les trois jours de combats.

Luttes tribales

 «Le problème est que le CNT ne contrôle rien depuis la fin de la révolution. Le nouveau régime n’a pas l’autorité nécessaire pour régler les conflits. Le plus souvent, ce sont les notables locaux qui parviennent à des solutions négociées. Le calme revient alors, au moins de manière temporaire», explique William Lawrence. Six mois après la mort de Kadhafi, les affrontements, comme à Zouara, sont presque quotidiens. Ils éclatent après un meurtre, le vol d’une voiture ou la prise de contrôle d’une route ou d’un poste-frontière par une milice. Ils illustrent aussi bien la faiblesse de l’armée du nouveau régime que le chaos dans lequel sombre la Libye postkadhafiste.

Le sud du pays apparaît au bord de la rupture. A la fin mars, des combats ont fait 147 morts et près de 400 blessés à Sebha, la grande ville de la région. Signe de la résurgence des luttes tribales, que Kadhafi avait étouffées avant de les utiliser pour asseoir son pouvoir, ils ont opposé des Toubous (Libyens d’origine africaine) à des tribus arabes. Après une semaine de combats, les Toubous ont demandé l’intervention des Nations unies et de l’Union européenne, dénonçant un «nettoyage ethnique». Si l’expression est exagérée, plus de 400 personnes, dont une vingtaine de blessés, se sont bien réfugiées à Dirkou, dans le nord du Niger, après avoir fui les combats, selon l’ONU. Les affrontements entre Toubous et tribus arabes sont récurrents dans l’oasis de Koufra (sud-est), depuis la fin 2011.

«Le CNT est d’autant plus inquiet que les Toubous sont présents non seulement en Libye, mais aussi au Tchad et au Niger. Vu la quantité d’armes qui circulent dans cette région depuis le soulèvement contre Kadhafi, la situation peut facilement dégénérer s’ils décident de se regrouper et de mener des actions communes à Koufra ou Sebha», explique un consultant du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR).

Puissance des milices d’ex-rebelles

Dans les montagnes du djebel Nefoussa (nord-ouest), le CNT n’est pas confronté à des luttes tribales, mais à la puissance des milices d’ex-rebelles. Celle de Zintan, l’une des plus importantes durant la rébellion, détient aujourd’hui Saïf al-Islam, fils et ex-dauphin de Muammar al-Kadhafi. La Cour pénale internationale (CPI) a redemandé, mercredi, qu’il lui soit livré. Les dirigeants de Zintan n’ont pas répondu. Selon la CPI, Saïf al-Islam a été «agressé physiquement» durant sa détention. A l’isolement, changeant apparemment souvent de lieu de détention, il n’a pas été autorisé à choisir un avocat. «Les miliciens de Zintan n’ont aucune intention de transférer Saïf al-Islam à Tripoli pour qu’il y soit jugé. Et encore moins de le donner à la CPI. Ils le considèrent comme un pion et l’un de leurs meilleurs atouts pour négocier et s’assurer de leur position au sein du nouveau régime. Le CNT le sait parfaitement, ses membres n’exercent même plus de pression pour récupérer Saïf al-Islam, ils préfèrent temporiser», poursuit le consultant du HCR.

Pour tenter de se forger une autorité, le gouvernement misait sur l’élection de l’Assemblée constituante, prévue en juin. «Ce délai ne sera pas tenu. La question est désormais de savoir si elle pourra même se tenir avant le ramadan []qui débutera vers le 20 juillet, ndlr] mais cela semble peu probable», explique William Lawrence. Un constat partagé par les autorités.

«L’instabilité pourrait influencer la décision d’organiser des élections dans les délais», a reconnu le porte-parole du gouvernement, Nasser al-Manaa, avant de demander aux Libyens d’éviter de recourir à la force.

Selon un sondage réalisé cet hiver par l’université d’Oxford (Royaume-Uni), 16% des Libyens se disent prêts à utiliser la violence à des fins politiques. Et 35% souhaitent que le pays soit gouverné par un homme fort. «Cela ne signifie pas que la population veut le retour au pouvoir d’un dictateur, explique William Lawrence. Mais cela montre clairement qu’elle n’en peut plus de l’absence de sécurité.»

Source : Lun Mathieu, Libration.fr