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Mali : l’Afghanistan au Nord du Burkina
Le Nord du Mali est-il susceptible de devenir l’Afghanistan de l’Afrique ? L’actualité de ces derniers jours - menaces contre le président Hollande et les otages français, résolution au conseil de sécurité des Nations unies - souligne combien ce pays charnière entre le Sahara et le Sahel est susceptible de peser sur la sécurité en Afrique de l’Ouest.
Le président français, François Hollande, «met sa vie en danger» en favorisant une intervention militaire contre les groupes islamistes armés qui contrôlent l’Azawad, la partie berbère du Mali, a affirmé, le samedi 13 octobre, un responsable d’un de ces groupes. La veille, le conseil de sécurité de l’ONU avait adopté une résolution, déposée par la France, donnant 45 jours aux pays ouest-africains voisins pour présenter un plan en vue de déloger les djihadistes. Comment ce pays de très haute tradition culturelle en est-il venu à être l’Afghanistan de l’islamisme africain ?
Une des nombreuses créations territoriales arbitraires de la colonisation, le Mali peut être perçu comme l’emboîtement, un peu en équerre, d’une zone de population subsaharienne et d’une zone arabo-berbère. Si le Mali est, aujourd’hui, musulman à 90%, il n’en était pas encore ainsi au début du XIXe siècle. Comme admirablement décrit par la romancière Maryse Condé dans Ségou, son récit historique axé sur les mutations du monde bambara, les quelque 80 ans précédant l’implantation des États coloniaux en Afrique furent aussi, pour les royaumes des bords du fleuve Niger, une suite de guerres pour la suprématie. Alors que les premiers explorateurs blancs - symbolisés par Mungo Park dans le roman - évoquent la menace d’arrivées plus nombreuses des leurs, alors que la traite transatlantique commence à déstructurer des clans entiers, les guerres entre bambaras, peuls, toucouleurs, haoussas provoquent le déclin du grand royaume animiste de Ségou, les noirs musulmans imposant leur suprématie à l’ordre ancien.
Pendant ces guerres précolononiales, l’empire peul du Macina - qui va finir par s’étendre de l’actuel Sénégal au Nigeria - conquiert, en 1825, la ville de Tombouctou, à l’extrême Nord du Sahel, sur le fleuve Niger. On situe au Ve siècle la création de cette ville, par les Touareg qui en firent une de leurs citadelles tout en y favorisant l’essor d’une intense vie intellectuelle. Cela permit la création de riches bibliothèques et, au xve siècle, celle de la mosquée de Sankoré et de son université.
«Les trois grandes mosquées de Tombouctou, restaurées par l’imam Al-Aqib au XVIe siècle, témoignent de l’âge d’or de la capitale intellectuelle et spirituelle de la fin de la dynastie Askia. Elles ont joué un rôle essentiel dans la diffusion de l’islam en Afrique à une époque ancienne», peut-on lire sur le site du patrimoine mondial de l’Unesco auquel sont inscrits les mosquées et mausolées de Tombouctou. Fin juin et début juillet, des combattants appartenant à l’école de pensée condamnant le culte des saints détruisit sept mausolées anciens de Tombouctou. Dans cette volonté de détruire accompagnée de proclamation de la grandeur de Dieu se se jouait un vieux conflit, celui opposant le rigorisme wahhabite à la conception mystique des pratiques religieuses musulmanes, le soufisme.
Outre Tombouctou, les islamistes ont également pris la ville de Gao. Fondée au VIIe siècle, au temps de l’empire Songhai, également sur les courbes du Niger, Gao fut, comme Tombouctou, une importante halte caravanière. Et ce sont ces deux verrous stratégiques que tiennent aujourd’hui le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) et le mouvement salafiste Ançar Din, les deux en lien avec Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).
L’État malien est, aujourd’hui, très affaibli. Le 22 mars 2012, une mutinerie militaire déposa le président élu à moins de six semaines de l’expiration de son mandat, le pouvoir étant finalement remis au président de l’Assemblée nationale, Diancounda Traoré. L’éminent scientifique Cheikh Modibo Diarra, assume, quant à lui, le poste de Premier ministre. Dans ces conditions de transition, les titulaires du pouvoir n’ayant qu’une légitimité démocratique très aléatoire, un rôle important incombe à l’organisation régionale, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
L’armée malienne, quant à elle, serait aujourd’hui incapable de reconquérir la partie Nord du Mali, au fait quelque neuf dixièmes du pays, aux mains soit des islamistes - pour un bon nombre d’anciens mercenaires en Libye passés, avec leurs armes, au Mali -, soit des Nordistes autonomistes du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), l’organisation politique des Touareg non islamistes. Après l’adoption de la résolution de l’ONU, le MNLA a émis un communiqué, se réjouissant de la volonté de la communauté internationale de faire partir les terroristes mais regrettant que son existence ne soit pas mentionnée. Ce qui amènerait le MNLA à se défendre au besoin.
On peut lire, dans ce dernier communiqué du MNLA : « Dans sa résolution 2071 du 12 octobre 2012, le Conseil de Sécurité des Nations Unies s’est déclaré favorable “à ce qu’une force armée internationale prête son concours aux forces armées maliennes en vue de la reconquête des régions occupées du nord du Mali”. Le MNLA salue cette décision dans la mesure où elle vise les groupes terroristes qui tyrannisent les populations de l’Azawad. Néanmoins, nous nous inquiétons, qu’usant du mot « reconquête », la résolution contienne une part d’ambiguïté. Elle pourrait en effet signifier la remise totale du contrôle des régions de l’Azawad aux autorités de Bamako, sans tenir compte des aspirations légitimes de la population de cette région. D’autre part, à aucun moment, la résolution ne met en évidence l’existence du MNLA. Nous avons donc des raisons de craindre qu’une offensive militaire, faute d’une identification claire de l’ennemi, ne nous mette, contre notre volonté, sur une position défensive ».
Que va-t-il finalement se passer ? Le désœuvrement des jeunes va-t-il les pousser à prendre les armes ? Quels pays de la région sahélienne le Mali et la CEDEAO entraîneront-ils dans ce conflit ? Quels sont les risques d’enlisement ? Après avoir hâté le retrait des troupes françaises d’Afghanistan, quel rôle François Hollande et sa majorité accepteront-ils d’accorder à la France dans cette guerre ? Aux frontières, entre autres, de l’Algérie et de la Mauritanie. Susceptible de provoquer aussi des actes de terrorisme sur le territoire français.
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