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Le Tour du Web : Charlie Hebdo - Notre chère liberté d’expression est-elle vraiment sans limites ?

24 septembre 2012, 00:00

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Il y avait eu les attaques contre des postes diplomatiques américains, entraînant la mort d’un ambassadeur au consulat de Benghazi. Après cette première vague de colère, comment fallait-il apprécier la décision de l’hebdomadaire français Charlie Hebdo de publier, dans son édition du mercredi 19 septembre, des caricatures du prophète de l’islam, Muhammad ? Qui porterait la responsabilité si, après la prière du vendredi, des établissements ou des ressortissants français étaient attaqués ? Derrière ces questions de bon sens, cette autre qui nous taraude : peut-on imposer des limites à la liberté d’expression ?

Ceux que l’on attendait le moins - le plus vif symbole de la révolte libertaire de mai 68 en France et un chroniqueur d’habitude peu retenu - se sont interrogés sur la nécessité de publier ces caricatures. « Moi, je les trouve cons », a répondu Daniel Cohn-Bendit, au sujet des animateurs de Charlie Hebdo, à l’occasion d’un entretien à la chaine BFMTV

 La veille, chez Michel Denisot, sur le plateau du Grand Journal de Canal+, les téléspectateurs avaient été pris à témoin d’une divergence de vues très marquée entre Eric Zemmour et son complice habituel, Eric Naulleau

Interrogé, sur la responsabilité des médias, Zemmour sort un propos très convenu et prévisible : « La responsabilité, c’est celle de dire ce qu’on pense, le plus intelligemment possible… on démolit l’église catholique tous les deux jours, personne ne s’émeut… moi, je suis désolé, on a le droit de désacraliser…» Mais voilà qu’intervient Naulleau : «…Pas d’accord, le droit à la caricature doit s’accompagner du sens de la responsabilité… mettons les choses au pire, admettons que certains de nos compatriotes, soit en France, soit à l’étranger, soient blessés []…] est-ce que publier ces caricatures fait vraiment avancer la liberté d’expression ? Non et, en plus, du moment que c’est l’islam tout est permis…»

Vu d’ailleurs

Dans son édition du 22 septembre, le New York Times publie un Op-Ed de Roger Cohen, de Londres. L’auteur écrit : «L’Occident a un intérêt stratégique de taille qui consiste à soutenir les transitions qui offre à la jeunesse du monde arabe des chances. Mais l’Occident ne le fera pas en bradant ses propres valeurs. Le film américain de niveau porno qui a provoqué les troubles était pitoyable. La violence meurtrière qui a suivi fut criminelle. Charlie Hebdo avait un point éditorial en voulant se moquer du fondamentalisme religieux qui a produit ces tueries il a choisi de le faire à travers des caricatures de Muhammad».

En France, pour ce qui est de la presse quotidienne, La Croix déplore que «pour afficher sa noble résistance aux extrémismes», Charlie Hebdo ait pu «blesser de simples croyants et ruiner les efforts de ceux qui tentent de faire vivre []en France] un islam respectueux des lois de la République». Le quotidien de référence, Le Monde, dans son éditorial, estime que « les caricatures incriminées sont de mauvais goût, voire affligeantes. Elles sont surtout publiées à un moment qui va contribuer sciemment à mettre de l’huile sur le feu ». Libération, en revanche, dans une grande tirade, laisse entrevoir qu’il n’est pas encore prêt à prendre la mesure de la responsabilité globale d’un titre. «En appeler au sens des responsabilités des dessinateurs, écrit Libé, leur demander d’y réfléchir à plusieurs fois avant de publier, les exhorter à prendre en compte le contexte géopolitique comme s’ils étaient porte-parole du Quai d’Orsay, c’est mettre le doigt dans un engrenage dont le premier cran est l’autocensure et le dernier la capitulation».

Se démarquant, notamment de ses confrères de la presse quotidienne dite nationale, le directeur du Nouvel Observateur, Laurent Joffrin, propose une vraie réflexion, prenant acte de la complexité des enjeux. «En caricaturant Mahomet, nos confrères se retrouvent aux côtés de fanatiques islamophobes. Et font des islamistes les premiers défenseurs de l’Islam», note d’emblée l’éditorialiste. Il explique, par la suite, que le film islamophobe «n’émane pas de partisans de la libre expression mais au contraire d’autres fanatiques – des extrémistes coptes et évangélistes en l’occurrence – décidés à provoquer l’ire d’une religion concurrente par un film stupide et grossier». Charlie Hebdo se retrouve ainsi «en compagnie de personnages frustes et dogmatiques auxquels il apporte, en quelque sorte, son soutien».

Abordant la question de la responsabilité, Laurent Joffrin écrit : «Il est permis de réfléchir, tout de même, aux conséquences tactiques de la publication des dessins anti-Mahomet. L’intérêt bien compris des démocrates, en France et dans les pays musulmans, c’est bien de distinguer et de séparer les croyants pacifiques et tolérants des fanatiques minoritaires de l’Islam politique. Les caricatures du prophète ont évidemment l’effet inverse. En choquant la grande majorité des fidèles, elles placent les islamistes en défenseurs courageux et zélés de la religion musulmane, qui expriment, certes de manière contestable, mais vigoureuse, la sensibilité outragée de la masse des croyants. Les dessins servent leur propagande ».

Comprendre

Nul ne prétendra que les quelques éditorialistes français cités ci-dessus ne partagent pas les mêmes grandes valeurs fondamentales de la presse indépendante dans un État de droit. Mais certains ont, peut-être, mieux compris que d’autres les conséquences du rétrécissement de la planète, de l’information online, mieux saisi les limites du multiculturalisme, mieux appréhendé les requêtes de l’interculturel. Et ces prises de conscience peuvent être particulièrement difficiles dans un pays qui arrivait aisément à se convaincre que son modèle laïc, son rapport aux religions et son choix prioritaire de libertés avaient pour vocation d’être universels.

Le rapport entre le Nord et le Sud, entre l’Occident et le reste du monde, entre les démocraties laïques et les société à dominante religieuse, entre les pratiques rituelles soft et les croyances dogmatiques, de nombreux rapports demandent à être redéfinis. Celui entre la liberté d’expression des démocrates à l’occidentale et les sacrilèges absolus des religions commence à l’être. Dans le quotidien Le Monde, le philosophe Abdennour Bidar s’interroge quant aux moyens d’aider le monde musulman à sortir d’une «orthodoxie de masse» pour entrer «dans un rapport critique au religieux».

«Toutes les théories de l’Occident sur le désenchantement du monde, la sécularisation politique du religieux, la mort du sacré ou de Dieu, écrit Bidar, sont puissantes, mais s’avèrent insuffisantes et trop partielles. Elles ont un premier défaut, qui a été de “vouloir fabriquer de l’universel toutes seules”, à partir des seules ressources de l’Occident. Elles sont restées ainsi ignorantes de ce qui se joue ailleurs dans le monde, et de ce qui venant d’autres horizons intellectuels et culturels aurait pu donner à ce projet de sortie de la religion une vitalité plus durable».

 A ce niveau de pensée, on n’est plus dans la caricature. On revient à Daniel Cohn-Bendit invitant à combattre tous les intégrismes : « Tout intégrisme est con, que ce soit l’intégrisme chrétien, l’intégrisme juif, l’intégrisme laïc ou l’intégrisme musulman».

Puis cette information, en date du samedi 22 septembre : Christine Boutin, présidente, en France, du Parti Chrétien-démocrate (PCD), a indiqué avoir déposé une plainte contre Charlie Hebdo pour «mise en danger de la vie d’autrui» après la publication des caricatures contestées…