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Lilian Thuram (ex footballeur français)«Que chaque enfant ait des étoiles de toutes les couleurs pour ne pas avoir de préjugés sur des personnes de couleur noire»
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Lilian Thuram (ex footballeur français)«Que chaque enfant ait des étoiles de toutes les couleurs pour ne pas avoir de préjugés sur des personnes de couleur noire»
«Que chaque enfant ait des étoiles de toutes les couleurs pour ne pas avoir de préjugés sur des personnes de couleur noire», c’est le message que reflète le livre intitulé «Mes étoiles noires», écrit par l’ancien footballeur Lilian Thuram, rencontré au Salon international du livre, Confluences, jeudi 7 mars.
Lilian Thuram, enfant, aimait-il lire ?
– En fait, ça dépend des livres. J’ai toujours lu quand j’étais enfant mais sans m’en rendre compte car je lisais beaucoup de bandes dessinées.
Moi je me souviens très bien que quand j’étais joueur de foot à l’AS Monaco, je lisais souvent Picsou.
Quand on partait au vert, je l’avais toujours avec moi dans l’avion, et les autres se moquaient de moi en disant «attends mais il a quel âge lui ?» J’adorais aussi les romans photos qui traînaient à la maison.
Et aujourd’hui ?
– En grandissant, je me suis rapproché de livres un peu historiques, qui me permettaient de comprendre la société antillaise, de me comprendre moi-même et ma propre famille. J’aime beaucoup aujourd’hui les livres sur la philosophie.
Par exemple, j’ai beaucoup aimé ce que disait votre Premier ministre (NdlR: lors du discours d’ouverture du Salon du livre Confluences): il faut lire dans plusieurs directions pour avoir une certaine ouverture d’esprit.
Lilian Thuram, vous êtes aujourd’hui écrivain. La transition du football au monde du livre a été naturelle pour vous ?
- Je ne sais pas si c’est vraiment une transition. Comme je vous l’ai dit, j’ai toujours aimé lire quand j’étais joueur de foot. Ce qui est très intéressant avec les livres c’est que vous pouvez emmagasiner beaucoup de connaissances sans être obligatoirement dans une fac ou une grande école. Après, le fait d’écrire ça me permet de questionner la société sur un sujet qui est important pour moi : est- ce que c’est normal que la grande majorité des personnes, lorsqu’elles entendent parler de l’histoire des populations noires, commencent par l’esclavage ? Peut- être qu’il faut changer les choses. Peut-être qu’il faut que chaque enfant ait des étoiles de toutes les couleurs pour ne pas avoir de préjugés sur des personnes de couleur noire et qui sortent des hiérarchies historiques.
Dans votre ouvrage, «Mes étoiles noires», paru en 2010, vous parlez de grandes figures noires, qui sont restées dans l’ombre ou qui sont sur les devants de la scène. C’est avant tout un devoir de mémoire ?
- C’est un questionnement à la société. C’est-à-dire est- ce que ça ne serait pas mieux si chacun d’entre nous a des étoiles de toutes les couleurs ? Je pense que oui. Et depuis la sortie du livre en 2010 je dois avouer que je rencontre énormément de personnes qui me disent «Monsieur Thuram, j’ai lu votre livre. Ça m’a fait énormément de bien». Peu importe la couleur de ces personnes.
Vous êtes président de la fondation Education contre le racisme. Ça change quand même de tacler des adversaires sur un terrain…
- L’idée quand j’étais joueur de foot ça a toujours été d’essayer de donner le meilleur de moi-même. Je dirais qu’aujourd’hui avec cette fondation nous essayons de tirer ce qu’il y a de mieux dans chaque être humain.
Car encore une fois le racisme est un conditionnement historique qui vous amène à hiérarchiser les gens selon leur couleur de peau. Réfléchir à tout ça, c’est réfléchir comment devenir meilleur quelque part.
Vos prises de positions sur l’actualité en tant qu’ancien footballeur dérangent souvent. Etes-vous le poil à gratter du football français ?
- (Il se redresse et prend un air sérieux) Ca dérange qui ?
Vos anciens coéquipiers, par exemple… -
(rires) Je sais. Tout d’abord je pense que lorsqu’on prend partie, il ne faut pas s’attendre à faire l’unanimité.
Cela peut déranger certaines personnes, comme ça peut faire plaisir à d’autres. L’important est d’être en accord avec soi-même et dans une démarche honnête. Lorsque, par exemple, je dénonce ce que voulait faire la fédération française sur les quotas de joueurs, pour moi c’était juste de le dénoncer. Vouloir discriminer des enfants selon leur couleur de peau ne doit pas être accepté dans une société. Soit on dénonce, soit on se tait ! Mais je pense que, en règle générale, quand vous vous taisez, vous cautionnez. Je pense qu’il faut inviter les enfants à dénoncer les injustices de la société.
Dans l’actualité footballistique on a entendu récemment des cris de singe et on a vu des bananes gonflables brandies contre les joueurs de couleur dans le derby de Milan. Comment réagissez devant tant de bêtises ?
- Pourquoi dire que c’est de la bêtise ? Souvent on dit ces gens-là sont bêtes». Mais non, c’est du racisme. Comme je le dis souvent, on ne naît pas raciste, on le devient.
Parce que notre culture est raciste. Et c’est partout pareil dans le monde.
Moi, je suis des Antilles, on hiérarchise les gens selon la couleur de leur peau. Il y a de grandes chances qu’à Maurice ce soit la même chose.
Donc il faut réfléchir à ça. Pourquoi vient-on toujours aux bruits de singes, aux bananes, parce que l’histoire a construit cette infériorité des personnes de couleur noire. C’est-à-dire on a classifié les gens et les personnes de couleur noire étaient le chaînon manquant entre le singe et l’homme blanc. Ce n’est pas anodin.
Ce n’est pas le bruit du chien ou du chat qu’ils font… Le but de ma fondation est justement d’apporter l’éducation, comprendre que derrière ce que nous vivons aujourd’hui il y a une histoire. Il faut avoir le courage de se confronter à cette histoire pour comprendre la société d’aujourd’hui et pouvoir dépasser les problématiques qui existent.
Vous avez défendu les couleurs de Parme et de la Juve a changé. L’Italie est- elle plus raciste aujourd’hui ?
- Je ne pense pas qu’on puisse dire aujourd’hui que l’Italie est devenue plus raciste. Quand j’étais joueur de foot, il y avait déjà ce type de manifestations. Mais encore une fois vous savez le football n’est que le reflet de la société. Le racisme existe en France, il existe ici, il existe aux Antilles. Parce qu’il y a une histoire du racisme. Il faut simplement prendre conscience que l’égalité selon la couleur de la personne est quelque chose de très récent. Ce n’est pas du jour au lendemain que les choses vont s’effacer. Pour vraiment réfléchir intelligemment, il faut comprendre l’histoire.
Parlons de l’équipe de France. Le respect du maillot bleu existe-t-il encore ou c’est une simple vue de l’esprit ?
- Ecoutez, ça dépend des joueurs. Je pense que la majorité des joueurs en équipe de France ont à cœur de jouer pour l’équipe de France, sont fiers d’y jouer. Malheureusement, c’est vrai que certains individus se sont écartés de ce respect. Mais l’important est que ça revient petit à petit.
Parce que l’équipe de France a un impact très fort, surtout chez les plus jeunes. Voilà pourquoi il faut insister sur ce respect et l’amour du maillot.
N’avez-vous pas été un peu dur en 2010 avec Patrice Evra, après l’épisode de la grève du bus à Knysna, lorsque vous avez déclaré qu’il méritait d’être radié des Bleus à vie ?
- Ça dépend de ce que vous entendez par dur. Moi je ne pense pas. Il faut savoir ce que vous représentez.
L’équipe de France permet à des millions de personnes de rêver et je pense qu’il faut respecter ces gens-là.
Il faut voir comment les choses se sont passées aussi. Quand vous êtes capitaine et que vous êtes le moteur de cette grève, je pense personnellement que votre place n’est plus en équipe de France. Mais si un joueur ne joue pas en équipe de France, ce n’est pas la fin des temps hein… (rires).
Lilian Thuram, les termes «champion du monde» et «équipe de France» ne sont plus très compatibles aujourd’hui…
- Vous savez, de toute façon, il y a très peu d’équipes qui gagnent à chaque fois les Coupes du monde. Il y a des périodes. Nous avons connu une période faste 1998 - 2000. Il faut travailler pour mettre en place une équipe performante qui va essayer d’atteindre le niveau le plus élevé.
Etes- vous satisfait de l’équipe de France actuelle ?
- Sincèrement, je ne me pose pas la question.
Votre ancien club, l’AS Monaco, est en passe de remonter en Ligue 1 la saison prochaine avec un milliardaire russe comme nouveau propriétaire. Après le Qatar Sport Investment qui a jeté son dévolu sur le PSG, de riches étrangers investissent partout dans le football...
- Ce qu’il faut se dire quand même c’est que, de tout temps, les plus grands clubs avaient plus de moyens. Quand Marseille gagne la Coupe d’Europe, il avait de grands moyens. Peut- être que derrière tout ça, on voit que le monde change tout simplement. C’est cela qu’on a du mal à accepter. Mais de tout temps, ce sont toujours les clubs les plus riches qui remportent les championnats.
Paris Saint Germain champion d’Europe, c’est un rêve ou c’est inéluctable ?
- Je ne saurais vous dire quand ça va arriver. Mais disons que le projet du club est très intéressant.
Quand on voit le Paris Saint Germain aujourd’hui et celui d’il y a deux ans, la différence est énorme.
Il y a de fortes probabilités que le PSG devienne l’un des plus grands clubs d’Europe, je l’espère aussi. Ce serait très intéressant pour le championnat français.
Quel message auriez-vous pour la jeunesse mauricienne qui est issue d’un formidable brassage ethnique ?
- Je ne suis pas dans la lutte contre le racisme, plutôt dans le questionnement autour de : comment se porte notre société aujourd’hui sur ce point- là ? Je voudrais dire aux jeunes Mauriciens que l’égalité se construit. L’égalité se gagne. Il faut aller la chercher, elle ne se donne pas. Donc il faut s’intéresser à la vie politique. Il faut que chaque jeune Mauricien puisse se questionner sur ses propres préjugés.
Sur ses propres conditionnements, qu’il soit religieux, familial, historique. Et qu’il puisse avoir l’intelligence d’avoir une pensée libre. Je pense que c’est ça le plus difficile…
Justement, deux buts seulement en Bleu, mais ce sont ceux qui envoient la France en finale. Incroyable destin !
- Ecoutez, si c’est le destin c’est assez incroyable, même pour moi.
Généralement, je ne tire jamais du pied gauche, là je tire du gauche… Disons que j’ai pris ça comme un cadeau peut- être.
Le plus grand moment de votre carrière ?
- Le plus grand moment c’est la victoire en Coupe du monde.
Comme je le dis souvent, si jamais on avait perdu la finale, ce moment contre la Croatie n’aurait pas été extraordinaire. Car quand vous êtes joueur de foot, vous êtes toujours programmé pour la victoire.
Gagner la Coupe du monde m’a permis de réaliser un rêve d’enfant, plein de jeunes Mauriciens doivent rêver de la même chose…
Quand est- ce qu’on organise un match Maurice - Guadeloupe ?
- Ce serait pas mal ça, tiens ! très bonne idée ! (rires) Je viendrais voir ce match avec plaisir.
SON LIVRE
«Mes étoiles noires»
«Mes étoiles noires», de Lilian Thuram, propose de changer les imaginaires et combattre le racisme par l’éducation.
Présenter des personnes noires, rois et reines, sportifs, musiciens, écrivains, politiques, inventeurs et scientifiques, pour mettre finaux préjugés. Le livre peut se parcourir dans n’importe quel sens, il s’agit de 43 biographies rangées de manière plus ou moins chronologique». Le vainqueur de la Coupe du monde 1998, aidé dans son livre par Bernard Fillaire, commence par l’australopithèque Lucy pour finir par Barak Obama, la dernière étoile, sans oublier Malcolm X, Martin Luther King, Rosa Parks, Mohammed Ali, 2Pac ou Tommie Smith.
 
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