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Lindley Couronne : «Le communalisme est érigé en institution»
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Lindley Couronne : «Le communalisme est érigé en institution»
Suite à l’initiative «Communalism Watch» d’Amnesty International section mauricienne (AIMS), le directeur de cette organisation, Lindley Couronne, revient sur les enseignements qu’il faut tirer de cette expérience dont l’objectif était de dénoncer les dérives communalistes des politiques et d’autres acteurs.
¦ Quels étaient les objectifs de la mise en place du «Communalism Watch» d’Amnesty Maurice ?
L’objectif principal a été d’être un chien de garde, en tant qu’un des corps apolitiques et laïc de la société civile, pendant la période de la campagne électorale, afin que les principes démocratiques soient respectés par le personnel politique. Nous disons tous ne pas être communalistes et nous accusons tous les autres de pratiquer le communalisme. Il nous fallait donc voir comment les choses se passent réellement.
¦ Quels sont les enseignements que vous tirez de cet exercice ?
Nous avons effectivement fait plusieurs constats. L’un d’eux concerne une partie de la presse. Celle-ci joue le jeu du communalisme. Par exemple, nous avons certains journaux qui ont publié la liste des ethnies et des castes des candidats. Cela se vérifie aussi dans la manière dont ils orientent les questions aux politiques. Ces derniers ont évidemment leur part de responsabilité. Ils utilisent un discours communal. Lorsque Bérenger déclare que Ramgoolam veut nuire à la communauté tamoule dans l’affaire Sithanen, il ne fait pas autre chose que du communalisme. Lorsque Ramgoolam dit qu’il faut que la communauté créole élise ses candidats créoles afin d’avoir un ministre créole, il ne fait pas autre chose que du communalisme. Lorsqu’il se signale par un silence assourdissant lorsque la Voice of Hindu (VOH) lance sa milice, cela aussi relève du communalisme. Lorsque les plus hauts personnages de l’Etat agissent ainsi, il ne faut pas s’étonner que le communalisme atteigne toute la société. La classe politique va systématiquement et méthodiquement contre la Constitution qui ne propose pas, à ce que je sache, une communalocratie à Maurice. Que ces politiques nous disent donc clairement que nous ne vivons pas dans une République! Qu’ils nous disent que, pour eux, tous les citoyens ne sont pas égaux.
¦ Pensez-vous que les politiques ont reçu le signal qu’AIMS leur a lancé ?
Je peux seulement leur dire que tous nos communiqués sont sur notre site, amnestymauritius.org, et que tous les militants des droits humains à travers le monde ont pu se rendre compte de ce qui se passe à Maurice. Je ne dis même pas leur étonnement à la lecture de ces communiqués. Certains parlent même d’une classe politique qui fait l’apologie du communalisme. Ils ont réalisé qu’il n’y a qu’un mythe du vivre-ensemble à Maurice. La réalité, c’est que le communalisme est érigé en institution. Je dois aussi dire aux politiques que nous vivons de plus en plus dans un village global et que les gens à travers le monde savent comment nous vivons. A un moment où on vend «Mauritius, c’est un plaisir », nous ne pouvons pas mettre de côté les droits humains. Il ne faut pas que les politiques croient que les droits humains ne sont pas à l’agenda. Autrement, ils fi niront par créer une «Mauritius, c’est la discrimination ». Cela ne m’étonnerait pas qu’à terme Maurice se retrouve dans le rapport annuel d’Amnesty International.
¦ Comment Amnesty Maurice a procédé pour le fonctionnement du «Communalism Watch» ?
Je tiens surtout à dire que nous avons systématiquement fait preuve d’équité dans notre traitement des informations que nous recueillions dans la presse. Nous n’avons pas commenté des cas qui sont rapportés par des sources tierces. Notre équipe, composée de quatre à cinq personnes, appelait les journalistes pour vérifier les informations.
¦ Quelle suite comptez-vous donner à cette démarche ?
Cela a été une expérience limitée dans le temps avec une campagne d’un mois seulement. Il est évident que nous n’allons pas nous arrêter à cela. En fait, cette initiative a fouetté notre énergie. Nous allons désormais proposer un Position Paper sur le communalisme dans le court terme. A moyen terme, nous comptons engager des recherches sur le communalisme à Maurice avec l’appui du mouvement international d’Amnesty. Nous allons faire venir des chercheurs pour réaliser cet exercice. Nos politiques font dans l’éloge du racisme.
¦ Comment avez-vous abordé toute cette question du communalisme ?
Nous avons abordé cette problématique sous l’angle de la discrimination. En outre, nous avons travaillé à partir des instruments du droit international. Pour le communalisme, nous utilisons la Convention on the elimination of all forms of racial discrimination (CERD) de l’Organisation des Nations unies (ONU) qui est d’ailleurs ratifiée par Maurice. Quand nous prenons en considération la CERD, nous réalisons que nos politiques font absolument le contraire de ce qu’ils sont censés faire. Ils n’ont pas le droit de monter une communauté contre une autre. Il est important d’attirer l’attention de la population mauricienne sur toute cette affaire.
¦ Une population qui est aussi, quelque part, complice de ce système…
En effet, la population a sa part de responsabilité. C’est une population qui s’attend à recevoir sa part du fameux gâteau sur la base de son ethnicité. Il lui faut des ministres de sa communauté. Même les religions, qui sont censées prêcher l’unité, sont en train de diviser les gens. Je me demande combien de temps encore, certains vont continuer à patauger dans la boue du passé ? Certes, il y a aussi des éléments progressistes, comme le Blok 104 et Rezistans ek Alternativ. Mais, de l’autre côté, une majorité de gens vivent dans le passé. Je pense que l’éducation aux droits humains est le moyen d’éduquer justement cette population. Ma crainte, c’est que les fonctionnaires de l’éducation et le ministre de l’Education lui-même ne comprennent pas l’importance de l’éducation aux droits humains. On peut initier cette population aux droits humains à travers une méthodologie participative et à travers des activités. Il y a des experts internationaux qui peuvent nous aider en cela.
Cependant, avons-nous la volonté politique de le faire ? J’ai des doutes. Surtout, lorsque je vois ce qui s’est passé ces cinq dernières années. Au départ, Rama Valayden avait pris certaines initiatives. Mais bien vite, par exemple, le Human Rights Centre a cessé ses activités et les locaux ont servi à accueillir le Privy Council. Lorsque, sur une question constitutionnelle, Valayden a dû renoncer à ce ministère, celui-ci est passé sous le bureau du Premier ministre. Depuis, rien n’a été fait. Il y avait un Human Rights Framework qui devait être mis en place. Rien n’a été fait alors qu’on avait organisé un grand séminaire en 2006 pour réaliser ce projet. Aujourd’hui, même la Human Rights Commission est paralysée parce qu’on n’a pas nommé les gens qu’il fallait. Nous nous assurerons, si rien n’est fait dans les prochains mois, que la Peer Review de l’ONU sera mise au courant de l’importance que le gouvernement attache aux droits humains. Nous avertirons d’autres organisations internationales également. J’espère seulement que d’ici là, le nouveau gouvernement se sera ressaisi.
Propos recueillis par Nazim ESOOF
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