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Lindsay Morvan : «Les gens veulent tout, tout de suite sinon ils perdent confiance»

24 août 2010, 08:57

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? D’où est venue cette idée d’organiser, il y a deux semaines, une rencontre entre des jeunes de Roche-Bois et quatre «Role Models» ?

C’est une phase importante, parmi d’autres, qui permet aux jeunes qui sont en situation difficile de croire en eux-mêmes. C’est une étape d’accompagnement inscrite dans une multitude d’activités afin de stimuler les jeunes, et qui contribue à augmenter leurs chances de réussite.

C’est donc, entre autres, un moyen de présenter des exemples à côté des discours qui peuvent paraître abstraits pour les jeunes.

? Le concept de «Role Model» est-il toujours pertinent ?

Il y a une dimension sociologique à toute la question.

Il s’agit de savoir dans quelle société nous vivons aujourd’hui.

Souvent, des gens trouvent difficile de faire des efforts. Ils veulent tout, tout de suite, sinon ils perdent confiance complètement. Il est donc important que ceux qui ont réussi et qui suscitent l’admiration soient mis en contact avec les jeunes. Ils témoignent de l’effort qu’ils ont dû produire et des sacrifices qu’ils ont faits. Dans notre initiative, ces jeunes ont pu constater que ces Role Models ont des cheminements différents mais exceptionnels. Il s’agit de créer chez l’enfant et le jeune un rêve et une ambition.

Il faut aussi qu’ils comprennent que des efforts sont nécessaires pour réaliser ce rêve et concrétiser son ambition.

Nous travaillons tous les jours avec ces enfants et ces jeunes afin de faire surgir un contexte et un état d’esprit qui leur permettraient de réussir. Les Role Models servent, en ce sens, de références.

Lorsque j’étais jeune, nos modèles étaient du genre Blek le roc (NdlR : personnage de bande dessinée).

Derrière, il y avait une philosophie, celle de la lutte pour la justice. Aujourd’hui, les BD incitent à la violence. Même les films montrent qu’il faut utiliser la violence pour obtenir vite ce que l’on veut.

La violence devient ainsi un mode de vie, elle inspire l’admiration.

Or, il nous faut des références positives.

? Il semblerait toutefois que les références sont davantage étrangères comme des chanteurs, des comédiens ou des footballeurs populaires…

Il est, en effet, dommage que les jeunes aient ces gens là pour référence. C’est comme un feuilleton à l’eau de rose. Nos jeunes garcons vénèrent les Ronaldo et Rooney, mais à Maurice, le foot se meurt. Ce sont des references qui resteront donc des rêves.

De l’autre côté, à travers la télévision, ils sont exposés à un monde où la seule référence est un matérialisme excessif et on leur fait croire qu’il est normal d’avoir un certain nombre de choses pour être de son temps. Lorsqu’ils constatent que, dans les faits, ce n’est pas vrai, ils sont forcément gagnés par la déception et la frustration. Ce qui peut pousser vers la marginalisation ou des comportements déviants.

C’est aussi la raison pour laquelle le MPRB a choisi de faire venir témoigner, comme Role Models, des gens comme Claude Narain, professionnel de l’hôtellerie, Goolam Cader Ally, formateur et culturiste, mais aussi Jacqueline Saint- Médar, journaliste web à l’hebdomadaire français Le Point et Dave Marimootoo, finaliste de la Nouvelle Star, deux Mauriciens qui ont réussi à l’étranger. Ces deux derniers en particulier démontrent que nous, Mauriciens, pouvons aussi briller ailleurs qu’à Maurice.

Même s’il est vrai qu’il faut une loupe pour trouver des Role Models mauriciens. Ils sont l’exemple que c’est par sa conduite personnelle que l’on devient un modèle. C’est pour cette raison que nous travaillons aussi avec les parents.

Aujourd’hui, à la difference du passé, un parent qui fume ne peut plus vraiment interdire à son enfant de fumer lui aussi.

? Quels ont été les retours d’informations sur l’exercice entrepris ?

Nous travaillons de manière constante avec les jeunes. Après cet exercice, bon nombre d’entre eux disent vouloir réussir comme Dave. C’est pour cela que nous leur disons que l’éducation compte pour beaucoup.

Le talent seul ne suffira pas.

? Comment faire pour que nos jeunes ne tombent pas dans le piège de modèles superficiels comme Lady Gaga, Beyonce, «Twilight» ?

C’est très difficile d’agir en ce sens car on ne peut empêcher les jeunes d’être en contact avec ce type de modèles.

Il faut donc constamment les éduquer sur cette question. C’est là qu’interviennent des organisations non gouvernementales et des mouvements associatifs. Il y a également un travail à faire au sein de notre système éducatif.

Mais, en même temps, il ne faut pas créer l’impression chez l’enfant qu’il n’a pas besoin de ce système-là. Il n’y a pas de potion magique pour réussir ce travail.

Le piège de la superficialité est un risque qui existe autant chez les pauvres que chez les riches. Des parents aisés ont tendance à vouloir préserver leurs enfants des difficultés qu’ils ont connues.

C’est légitime. Toutefois, on ne peut donner à un enfant tout ce qu’il veut. Il faut être très conscient du type d’éducation que l’on veut offrir à son enfant. Il ne faut pas croire non plus que, par ce que le système éducatif a des carences, il suffit d’avoir recours aux leçons particulières.

Comment réagira, par exemple, un enfant lorsqu’il voit ses parents tricher sur le catchment area juste pour qu’il ait une bonne école ?

D’un autre côté, quand on voit ce qui se passe lors des élections de la Students’ Union à l’Université de Maurice, on peut se demander où on va.

? Vous qui êtes un homme de terrain, comment analysez-vous les premières initiatives du ministère de l’Intégration sociale et de l’Economic Empowerment?

Il y a par rapport à ce ministère une grande attente sur le terrain, celle d’un signal fort qui permettrait de croire en sa réussite. C’est un nouveau ministère, qui fait face à des obstacles. Il faut lui donner du temps. Cependant, quand des gens vivent dans la peur de voir leurs maisons démolies, cela peut créer de l’impatience.

? Les premières annonces du ministre, Xavier- Luc Duval, donnent l’impression que l’approche est plutôt statistique, qu’il n’y a pas une réelle conscience de la réalité et que l’on reste dans les chiffres… Qu’en pensez-vous ?

Je crois que la stratégie, et je tiens à préciser que je ne connais pas l’agenda de ce ministère, est de mettre l’accent sur la lutte contre la pauvreté.

Depuis quelque 15 à 20 ans, c’est une constante chez les différents gouvernements qui se sont succédé. Malgré cela, nous ne disposons toujours pas de performance indicators qui nous auraient permis de savoir si nous avons avancé ou reculé. Il s’agit prioritairement d’évaluer les besoins et de se fixer des objectifs. Cela est vrai pour tous les domaines d’intervention.

Je tiens également à dire que, tout en tenant compte de la réalité, il faut aussi parfois faire preuve de fermeté dans des cas douteux. La lutte contre la pauvreté, ce n’est pas seulement une affaire de sous ou d’ethnicité.

C’est une question d’attitude. Toutes les actions doivent être entreprises avec, et non pour les personnes dans le besoin.

 

Nazim ESOOF