Publicité

Lindsey Collen : « Une réforme sans l’abolition du BLS n’en vaut pas la peine »

4 février 2012, 13:31

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Lalit lutte pour l’abolition du «Best Loser System» depuis sa création. Lindsey Collen, qui appartient à ce mouvement, ne s’étonne pas du positionnement de Bérenger. Mais, elle trouve celui de Ramgoolam trop fl ou, arguant qu’il aurait pu éviter le rassemblement à Plaine-Verte s’il s’était exprimé plus tôt.

? Le «Best Loser System» (BLS) sera-t-il aboli selon vous ?

Il y a beaucoup de confusion autour de la question, surtout par rapport à la façon dont Paul Bérenger a décidé de l’attaquer. Il a adopté une position qui est en contradiction avec lui-même et c’est en train de rendre la situation confuse.

? Sa position ne devrait pourtant pas vous étonner…

Non, cela ne nous étonne pas. En 1982, Bérenger amende la Constitution pour que lors de l’exercice de recensement, l’on ne pose plus de questions sur l’appartenance ethnique. La stratégie de Bérenger était déjà d’éliminer le BLS, mais dans la durée, et il s’attaquait à un élément du système. Tout le monde avait compris que c’était une première étape dans l’abolition du BLS et que cela se ferait assez vite. Le contexte est important – en 1982, il y avait des manifestations qui avaient duré une dizaine de jours et je vous parle là de milliers de personnes, dans le centre de Port-Louis, qui protestaient contre le BLS. Mais pour Bérenger, déjà en 1981, quand il avait fait son alliance opportuniste avec le PSM (NdlR : Parti socialiste mauricien), les choses avaient changé. Et quand la cassure arrive, suivie des élections très communales de 1983, Bérenger devient le porte-parole des minorités. Il n’est donc plus libre d’aller de l’avant avec l’abolition du BLS puisqu’il ne fait que surfer entre les susceptibilités des uns et des autres.

? Mais Navin Ramgoolam, lui, se dit convaincu du besoin de démanteler le BLS. Le croyez-vous ?

Ramgoolam a gardé le flou sur son positionnement pendant longtemps. Ce n’est que maintenant qu’il dit clairement ce qu’il pense. Mais nous notons qu’il a attendu qu’il y ait un deadlock par rapport à ses négociations avec Paul Bérenger. Il dit qu’il s’aligne sur la proposition Sithanen mais précise que c’est sa position, pas celle du parti, pas celle du Cabinet.

? Mais nous savons très bien, quoi qu’on dise, que la position du leader est celle du parti et du Cabinet ! N’avez-vous pas entendu les arguments de Shakeel Mohamed ?

Shakeel Mohamed nuance ses arguments en disant qu’il faudrait saisir l’occasion de faire la réforme au cas où le judiciaire se prononcerait contre la constitutionnalité du BLS.

? N’est-ce pas une façon comme une autre de s’aligner sur la position de son leader et non celle de son père ?

Oui, effectivement. Mais ce qu’il faut aussi noter, c’est que le 1er février, Ramgoolam va au Morne et utilise un langage différent à cause de son audience. Lui aussi, il entre dans cette logique partisano-communale. Là-bas, il s’adresse à un certain public en parlant de la catégorie dans laquelle il se trouve.

? Mais ne peut-on pas comprendre le jeu dans le sens où c’est Bérenger qui met Ramgoolam dans cette situation en jouant sur les susceptibilités des minorités ?

Bérenger est dans ce piège communal depuis longtemps et Ramgoolam a le choix d’y entrer ou non. Car ce qu’il est en train de faire maintenant est de dire à Bérenger : «Ou reprezant de kominote minoriter, mo pe sey fer ou swazir ant le de.» C’est dangereux parce que quand on va changer ainsi une provision de la Constitution, il faut qu’il y ait une compréhension populaire les gens doivent comprendre de quoi il s’agit car il y a une telle confusion autour de l’affaire. On ne peut pas ne pas dire la vérité aux gens, mais Ramgoolam est en train de rendre confus le débat en ne disant pas clairement ce qu’il compte faire.

? Mais si l’on est d’accord que le BLS est associé à beaucoup d’émotions et d’irrationalité, n’est-ce pas un peu normal de l’expliquer en utilisant des détours ? Si le but ultime est de l’enlever ?

Oui, mais je persiste à croire que le jeu peut s’avérer dangereux. Si Ramgoolam avait pris position plus tôt, il aurait pu éviter cette polarisation qu’on a vue à Plaine-Verte.

? Justement que pensez-vous de cette réunion des politiciens musulmans à Plaine-Verte ?

Il fallait s’y attendre. Car il n’y a pas que les Mohamed, il y a également Cehl Meeah qui a une politique communale. Les gens qui soutiennent Meeah ne sont pas des gens qui sont nécessairement d’accord à 100 % avec lui, mais ils sont surtout insatisfaits avec les autres.

? Et «les autres», au lieu d’expliquer de manière rationnelle que la représentation des minorités ne sera pas compromise avec la représentation proportionnelle (PR), ne communalisent- ils pas le problème davantage ?

Je crois que tout le monde sait que le type de PR que Sithanen est en train de proposer va remplacer adéquatement le BLS. Ce système ne va pénaliser personne parce que les minorités sont grandes à Maurice et cela va empêcher des discriminations trop flagrantes. D’ailleurs, les découpages ont été faits dans le but d’assurer que les minorités sont représentées. C’est dans cette même logique que nous avons de petites circonscriptions et de grandes circonscriptions. Tout a été fait pour faciliter l’élection des minorités.

? Sachant cela, ces députés musulmans sont donc opportunistes quand ils s’opposent à l’abolition du BLS ?

Oui, c’est opportuniste dans le sens où ils croient que les gens ne vont pas comprendre. Au lieu d’éclairer le débat, ils font perdurer la confusion.

? Lalit a mené le combat contre le BLS depuis sa création, mais Rezistans ek Alternativ a apporté un peu d’agressivité à cette lutte. Est-ce cette agressivité qui a porté ses fruits ?

Mais c’est aussi cela qui fait que nous sommes dans le pétrin puisque tout le monde est en train de nager dans la confusion. On peut très bien enlever l’obligation de se déclarer, mais ce n’est pas cela le plus important. Car la question de l’appartenance ethnique reste sur le formulaire de la Commission électorale. Donc, s’il n’y a plus obligation de se catégoriser, ceux qui ne veulent pas le faire ne le feront pas. Mais la question est toujours posée puisqu’on ne l’a pas abolie donc ceux qui veulent déclarer leur appartenance ethnique le feront toujours, permettant ainsi au BLS de se perpétuer.

? Mais c’est cette lutte qui fait qu’aujourd’hui nous sommes en train de discuter de l’abolition du BLS. N’est-ce pas mieux que le statu quo ?

Pour nous, quand on s’attaque au BLS, il faut que ce soit dit clairement. Il faut que ça soit honnête, intègre.

? C’est une position puriste à l’image de Lalit, mais un politicien avec d’autres ambitions que Lalit doit ménager les susceptibilités et composer avec la réalité. La fin, quand elle est juste, ne justifie-t-elle pas les moyens ?

Mais cela va nous mener à des problèmes. Nous pensons qu’il faut que l’abolition du BLS se fasse avec l’accord du peuple. C’est pour cela qu’il faut une majorité de trois quarts afin d’amender la Constitution. Pour refléter l’accord du peuple.

? Que pensez-vous d’une réforme électorale sans que cela ne touche au BLS, comme le propose Bérenger ?

Ce ne serait pas la peine. Une réforme qui va dans le sens de la représentation proportionnelle, si cela allait de pair avec un agrandissement de la législature, créerait plus de démocratie dans le pays. Vous savez qui sont ceux qui sont le plus sous-représentés au Parlement actuellement ? Certainement pas les minorités. Les femmes et la classe des travailleurs !

? Mais avec la proposition d’un tiers de femmes à l’Assemblée, au moins le problème de représentativité de femmes sera réglé…

Nous croyons que l’on n’a pas nécessairement besoin de femmes pour représenter les femmes. Margaret Thatcher a été préjudiciable à la cause des femmes. Ce n’est pas autant la représentativité qui compte, mais le programme et la même logique s’applique aux communautés. Si nous avons un programme qui vise à apporter l’égalité dans le pays, le problème communal disparaîtra. C’est quand les gens se sentent abandonnés dans la lutte pour l’égalité qu’ils se replient sur leur communauté.

Propos recueillis par Deepa Bookhun
(Source : l’express, samedi 4 février)

Deepa Bookhun