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Manière de voir : Vous m’en direz tant !
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Manière de voir : Vous m’en direz tant !
La guerre est une chose trop importante pour être confiée aux militaires», disait Clemenceau au début du siècle dernier. Ce n’est pas pour dénigrer ceux qui pratiquent le noble métier de la guerre, mais on peut en effet s’attendre à tout et à n’importe quoi venant de ces gens-là.
De fait, lorsque les auteurs de Chèvres du Pentagone (Grant Heslov pour la réalisation et Peter Straughan pour le scénario) nous annoncent que leur fi lm est basé sur des évènements réels, et cela dans une proportion plus importante qu’on pourrait le supposer, nous sommes prêts à les croire. Au moins parce que nous avons tous vu Docteur Folamour.
Se voulant de cette même noirceur, le fi lm de Grant Heslov traite non pas de la bombe, mais d’expériences dans le domaine de la guerre para-psychologique auxquelles se serait livrée l’armée américaine durant les années 1970-1980*. Vous avez bien lu : «guerre para- psychologique» et non pas juste psychologique c’est-à-dire traverser les murs, deviner les intentions de l’ennemi, l’anéantir par la pensée, etc. Cela parce que les Russes se livraient à de semblables expériences… ce que faisaient ces derniers effectivement, parce qu’ils avaient entendu dire que les Américains, eux, le faisaient.
Les Chèvres du Pentagone nous raconte cette incroyable histoire : celle du «Projet Jedi», des membres d’une unité spéciale appelée «L’Armée de la Nouvelle Terre», et celle des chèvres aussi. Et on pourra se demander si les fameuses chèvres du titre étaient ces paisibles ovins ou cette bande composée à la fois de doux cinglés, de pauvres types et d’arrivistes hommes et bêtes ayant dans cette histoire, fait offi ce de cobayes.
Début 2003, Ewan McGregor est un journaliste provincial abandonné par sa femme et il vient couvrir le conflit en Irak comme d’autres allaient aux croisades, au Moyen Age. C’est lui, complètement ahuri, qui tient le rôle du spectateur face à George Clooney, ancien membre de l’unité, qui lui raconte l’histoire alors qu’ils font route vers l’Irak, se font enlever, tombent sur des «agents de sécurité» et rencontrent finalement ce qu’est devenue cette unité. Il y a quelques gags magnif ques qui sont impeccablement agencés et mis en scène. Il y a aussi une belle brochette de doux cinglés, notamment Clooney réellement convaincu de ses pouvoirs (pour disperser des nuages ou trouver sa route dans le désert), ou Jeff Bridges (Bill Django), soldat hippie instigateur du mouvement et personnage proche du Big Lebowski.
Dans un registre moins sympathique, Kevin Spacey est tout à fait convaincant en arriviste, le ver dans le fruit. Tous sont excellents, jouant sans cabotinage ni tic leurs personnages hors normes.
Les Chèvres du Pentagone se voulait une comédie «atroce» comme le classique de Kubrick, une histoire devant laquelle le spectateur serait partagé entre l’effroi et le fou rire. A condition d’y croire, cependant. Et sur ce point, le fi lm fait preuve d’une bien regrettable impartialité. L’annonce faite dans le générique du début étant sujette à interprétation, on aurait préféré voir les auteurs affirmer sans ambivalence que le haut commandement U.S. croyait réellement à ces inepties New Age.
Cela d’autant plus que le fi lm fi nit par nous montrer que cette unité de guerre para-psychologique est devenue, vingt ans plus tard, une unité de «guerre psychologique », c’est-à-dire se spécialisant dans la torture de prisonniers. On ne peut reprocher aux auteurs d’avoir pris le parti de l’honnêteté, mais un brin de mauvaise foi aurait peut-être été préférable.
G.N.
*Ce serait du moins, ce qu’affirme un certain Jon Ronson, journaliste au très sérieux quotidien britannique The Guardian dans son livre The Men Who Stare at Goats (éd. Simon & Schuster, 2009). L’ouvrage aurait même inspiré une série documentaire à la British Broadcasting Corporation (BBC).
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