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Michael Amaladoss : « Dans une vraie démocratie, l’ethnie d’un candidat est secondaire »

13 février 2012, 12:38

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Le théologien et écrivain d’origine indienne Michael Amaladoss est le directeur de l’Institut pour le dialogue avec les cultures et les religions à Chennai. Il est à Maurice dans le cadre de séminaires sur l’interculturalité organisés par l’Institut Cardinal Jean Margéot. Il nous parle de l’importance du dialogue entre les cultures et de la nécessité que les différentes communautés soient représentées de manière équitable dans la sphère politique.


Quel est le but de votre visite à Maurice ?

Le but est de mon passage est de faire un partage des expériences pour déboucher sur ce qu’on peut faire pour encourager le dialogue entre les cultures. A la fin, on remarque que les problèmes en Inde ressemblent à ceux de Maurice. On vit dans une société multiculturelle. Même du côté des religions, nous avons le christianisme, l’islam, le bouddhisme et l’hindouisme. Et quelques fois, la religion devient une force politique. Et le but de ces conférences c’est de voir ensemble comment inculquer l’interculturalité chez les jeunes, par exemple.

Pour faire simple, c’est quoi l’interculturalité ?

C’est le dialogue, la compréhension entre personnes issues de différentes cultures. C’est l’unité dans la diversité. Dans une société multiculturelle, ce qui devrait être une richesse peut être une source de conflits. Surtout, si chaque communauté cherche son intérêt économique ou politique. L’interculturalité, c’est quand les cultures se rencontrent.

Est-il possible d’avoir une société qui soit totalement pour l’interculturalité et qui prône le dialogue entre les cultures ? Vous semblez y croire.

Oui, c’est tout à fait possible. Il faut se comprendre et ne pas considérer l’autre comme un ennemi. Nous ne partageons pas les mêmes cultures mais rien ne nous empêche d’être des amis. Quand on parle des droits de l’homme, on parle de l’égalité et de la liberté de vivre selon sa culture tout en respectant les autres.

Quel est votre constat sur les relations entre les cultures à Maurice ?

A partir des gens que j’ai rencontrés, je constate un réel désir pour les Mauriciens de vivre ensemble. Mais on voit aussi les difficultés qui existent. L’esprit communal est toujours là et il est grandement encouragé par les groupes politiques. Une fois qu’on est dans la sphère politique on cherche le soutien de sa communauté. Mais l’on voit qu’il y a l’envie de penser en termes d’unité nationale. On cherche toujours.

Il faut reconnaître qu’il y a le poids d’une histoire douloureuse qui pèse dans la balance. Maurice a été marqué par l’esclavage et l’engagisme. 177 ans après cette période, le gouvernement institue la Commission Justice et Vérité, chargée de nous réconcilier avec ce passé. Vous pensez qu’une telle initiative s’inscrit dans la démarche vers l’interculturalité ?

Oui, tout à fait. L’histoire continue. Je ne dis pas qu’il faut oublier son passé mais maintenant l’île Maurice est indépendante. On ne doit pas rester dans ce passé, il faut avancer sinon cela va créer des problèmes psychologiques ou une personne peut se sentir inférieur ou sous-représentée dans le pays.

En ce moment, on parle du Best Loser System, un mécanisme qui sert à assurer la représentativité des groupes ethniques minoritaires à l’Assemblée nationale mais il demande, par la même occasion, que les candidats aux élections précisent leur appartenance ethnique…

Si le pays était vraiment démocratique, les gens auraient voté indépendamment de la religion des candidats. Mais souvent, les personnes votent pour faire représenter leur communauté au Parlement. Alors dans un système politique comme celui-là, il faut une protection pour les minorités pour assurer qu’elles sont représentées. En Inde, par exemple, nous avons les Dalits qui représentent 17 % de la population. Il y a une discrimination positive envers eux. Des sièges leur sont réservés en politique. Et ce même dans l’éducation ou dans les postes de responsabilité dans la fonction publique. En résumé, il faut un système pour assurer la représentation des minorités sans pour autant que ce soit communal. Il faut trouver une meilleure solution.

Vous ne croyez pas que les Mauriciens devraient tous avoir une seule culture mauricienne ?

C’est difficile. Il y aura toujours des gens qui diront : « Je suis Mauricien-musulman ou Mauricien-hindou ». C’est pareil en Inde. Mais cela dépend aussi du contexte. Quand on va dans d’autres pays, oui, on dit qu’on est Indien ou Mauricien. Mais dans le pays lui-même, on ressent le besoin de dire qu’on est chrétien, musulman ou hindou. Un peu comme si on avait tous une « double identité ». A Maurice, on parle le kreol mais aussi l’hindi ou le mandarin.

Quelles sont les conditions qui favorisent le dialogue entre les cultures ?

D’abord, il faut reconnaître l’autre. Par exemple, en Afrique du Sud, au temps de l’apartheid, les Blancs et les Noirs étaient divisés. Mais aujourd’hui ils vivent ensemble. C’est parce que chacun a reconnu son prochain. Cela commence quand on s’intéresse à la culture de l’autre et qu’on essaie de le comprendre. Ensuite, il faut respecter les choix de son prochain et l’accepter comme il est. Les étapes sont la reconnaissance, le respect et l’acceptation de l’autre.

Que diriez-vous à quelqu’un qui est sceptique quant à la nécessité d’avoir un dialogue entre les cultures ?

On a toujours besoin de l’autre. Personne ne pourra vivre de ses propres moyens sans compter sur son prochain. Il faut reconnaître cette dépendance et aller vers l’autre.

Propos recueillis par Estelle Bastien