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Michel Onfray, philosophe, auteur du Traité d’athéologie : « La vie éternelle, c’est un mensonge »
16 mars 2014, 14:57
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Michel Onfray, philosophe, auteur du Traité d’athéologie : « La vie éternelle, c’est un mensonge »
Déconstructeur du complexe d’OEdipe et de la théorie du genre, le philosophe Michel Onfray est un interlocuteur féroce, au taquet. Aux tartuffes des religions, aux obscurantistes et autres bigots de tout poil, il sermonne : allez au diable ! Avec provocation, il nous explique pourquoi il pense que le propre de toutes les idéologies est de récuser le discours rationnel ou philosophique. Que vous soyez théiste, déiste, agnostique ou athée, les propos d’Onfray ne peuvent que vous provoquer l’esprit...
Vous aimez affirmer que vous n’avez jamais eu envie de coucher avec votre mère ! Mais qu’avezvous donc contre Sigmund Freud (1856-1939, père de la psychanalyse, ndlr) ?
Je n’ai rien contre lui. J’ai juste fait un travail que personne ne fait, c’est-à-dire que dans l’oeuvre de Freud, j’ai découvert une imposture, une affabulation, des mensonges. Et si Freud dit quelque chose de scientifique et d’universel, à savoir que tous les garçons ont envie de coucher avec leur mère et de tuer leur père, moi je dis que je suis un contre-exemple. Je n’ai jamais eu ces désirs-là !
Vous soulignez que Freud, « pervers sexuel », a couché avec sa belle-soeur. Sérieusement de quoi je me mêle…
Freud nous dit : moi je renonce à la sexualité pour pouvoir créer la psychanalyse et la sublimation. C’est une théorie scientifique universelle qui justifie qu’on fasse un usage socialement acceptable de la libido. Moi je dis que bien que Freud nous dise cela, ce n’est pas vrai, Freud n’a pas renoncé à la sexualité. Il a peut-être renoncé à la sexualité avec sa femme, mais pas avec sa belle-soeur ! Je n’en fais pas une affaire privée, j’en fais une affaire conceptuelle. C’est la théorie de la sublimation qui s’effondre. Ce n’est pas Freud version Closer ou Gala…
Un autre grand que vous malmenez : Jean- Paul Sartre (1905-1980, philo sophe et penseur existentialiste, ndlr). Estce votre attirance pour Albert Camus (1913-1960 , journaliste et écrivain, ndlr), que vous trouvez « beau », qui vous rend si agressif envers Sartre ?
Ce n’est pas être agressif que de dire des vérités qui blessent. Je me contente de dire que Sartre faisait l’éloge d’Hitler dans ses cours dans les années 1930, que Simone de Beauvoir (1908-1986, théoricienne du féminisme et compagne de Sartre, ndlr) a collaboré à Radio Vichy, durant l’occupation par l’Allemagne nazie, et que le couple Sartre-de Beauvoir a bénéficié des faveurs de Mussolini, le fondateur du fascisme. Si Sartre s’était comporté correctement avec Camus, j’aurais dit cela. Mais tel n’a pas été le cas. Sartre a insulté Camus, il a dit qu’il n’était pas un philosophe, qu’il ne pouvait pas lire ou comprendre Hegel, ou encore l’Etre et le Néant (ouvrage majeur de Sartre publié en 1943, ndlr). Sartre était d’une extrême violence contre Camus. Je dis simplement que c’était une violence injuste.
Sans faire dans le même registre que Closer ou Gala, pourquoi importe-til de savoir que Simone de Beauvoir voulait coucher avec Camus et que ce dernier aurait refusé ?
Cela fait partie de la biographie. Soit on considère que la biographie est sans intérêt et on passe tout cela sous silence, ou alors on lit Emmanuel Todd (historien français, ndlr) et Herbert Lottman (biographe américain, ndlr), et on découvre que cela compte quand on refuse les avances d’une femme, pour les histoires d’amour et d’amitié. Et cela marche pour les philosophes comme pour tout le monde. Quand de Beauvoir et Sartre agressent Camus, ces détails-là importent…
D’où le besoin d’étudier les histoires derrière l’histoire dominante, soit l’historiographie ?
Tout à fait ! Moi ce qui m’intéresse, c’est d’écrire l’histoire de ceux qui écrivent l’histoire de la philosophie. Pourquoi, par exemple, on privilégie un philosophe et on en écarte un autre. Pourquoi on fait d’un philosophe un philosophe majeur et d’un autre un philosophe mineur. Cela suppose des intérêts idéologiques (…) Moi j’avance sans masques, je dis que je suis subjectif, je dis comment je construis mon histoire, alors les autres ripostent : vous n’êtes pas universitaire, vous n’êtes pas objectif. Et je leur réponds : j’ai juste l’honnêteté que vous n’avez pas ; vous prétextez que vous êtes honnête parce vous êtes scientifique…
C’est donc un combat permanent contre les idées reçues, contre l’idéologie…
Oui, en effet, l’idéologie, c’est la vision du monde livrée clé en main. On vous dit voilà vous êtes marxiste, vous êtes freudien, structuraliste, lacanien, de gauche, de droite, chrétien, juif, musulman, et voilà ce qu’il faut penser sur tous les sujets. Cela dispense de penser par soi-même. L’idéologie, c’est donc le renoncement à l’idée, au profit de l’obéissance, de la soumission.
La religion est donc une forme d’idéologie...
Quand on parle d’idéologie, on pense souvent à l’idéologie politique, mais il y a aussi une idéologie religieuse. L’essence de la religion, c’est le déni de la mort et l’affirmation que suite à sa venue, nous vivrons encore sous une autre forme, et ce pour une vie éternelle. A partir de ce mensonge, souvent fait à soimême, tout devient possible. L’intégrisme et le fondamentalisme constituent la pointe la plus aiguë de cette logique de déni. D’autre part, aujourd’hui, dans le monde, il y a l’idéologie du politiquement correct, avec ce qui est convenable de bien penser, à savoir le réchauffement de la planète, la théorie du genre, bref ces choses qu’il convient de penser pour rester dans la norme.
Resterez-vous dans la norme si je vous demande ce que vous pensez des papes, disons les trois derniers : Jean-Paul II, Benoît XVI, et François...
Moi qui ai 55 ans, j’ai connu six papes : Jean XXIII, Paul VI, Jean Paul I, Jean Paul II, Benoît XVI et François. C’est le même discours, ça n’a pas trop changé sur les questions de la contraception, du mariage des prêtres, de l’avortement, des homosexuels. On a changé de look, mais le dogme reste le même. Pour revenir à votre question, Benoît XVI était moins faux-cul que François. Philosophe, Benoît XVI ne faisait aucune concession au siècle et aux médias, c’était un théologien qui n’était pas disposé à diriger l’église de manière planétaire. D’ailleurs il a démissionné et c’était assez élégant de sa part. Quant au pape François, il ne faut pas oublier que c’est un jésuite, qui se cache derrière les oripeaux d’un franciscain quand il prend le nom de François. Jean Paul II, lui, c’était l’homme qui avait su utiliser les médias pour l’Eglise, c’était la rockstar des chrétiens. Par la suite, on lui a prêté un pouvoir qui n’était pas le sien, on a dit qu’il avait contribué à l’effondrement du mur de Berlin ! Je n’y crois pas une seconde à ce pouvoir-là de Jean Paul II. Le mur de Berlin, c’est Mikhaïl Gorbatchev. Si Gorbatchev avait envoyé les chars, Jean Paul II aurait pu continuer à prier, et cela n’aurait pas changé grand-chose à l’histoire ! Par la suite, Jean Paul II est devenu gravement malade, et à partir de là, c’était pitoyable de voir cet effondrement médiatique, cette espèce de célébration de la souffrance, de la décomposition du corps. Si Jean Paul II avait fait comme Benoît XVI, il aurait eu une sortie bien plus élégante…
Contrairement à l’islam, on ne voit plus les gens qui tuent au nom du christianisme. Pourquoi cela ?
Le christianisme a eu son temps avec l’Inquisition, les croisades, le colonialisme au début de la découverte du Nouveau Monde. Aujourd’hui le christianisme n’a plus les moyens d’être violent, alors il fait l’éloge de la tolérance, et de la paix…
Lors de votre conférence à la mairie de Port-Louis, vous avez aussi sévèrement critiqué l’islam. Etes-vous ainsi contre toutes les religions ?
Oui contre toutes les religions que j’ai étudiées. Si on veut manifester un avis sur l’islam, il faudrait avoir lu le Coran et ses sourates, la biographie du Prophète, etc. C’est le minimum que l’on puisse exiger des gens qui critiquent. Je ne comprends pas comment ceux qui s’autorisent un avis sur l’islam peuvent le faire alors qu’ils n’ont pas lu le Coran.
Comment se passent vos débats d’idées sur l’Islam avec Tariq Ramadan ?
Il y a deux semaines, on était récemment encore ensemble sur un plateau télé. Ramadan est très malin, il refuse le combat, il esquive, il dit qu’il est d’accord avec moi sur ce sujet-là mais pas sur l’autre, il sait fort bien que s’il débat avec moi, nous allons forcément nous dire des choses qu’il ne faut pas dire donc il évite le débat, il est un peu fuyant avec moi.
Contrairement à Ramadan, vous abhorrez l’université et ses distinctions…
L’université reproduit le système social mais aucune oeuvre importante n’est jamais sortie de l’université. Le Discours de la méthode de Descartes, Les Essais de Montaigne, Le Capital de Marx, L’Etre et le Néant de Sartre, L’Homme révolté de Camus, ce sont tous des ouvrages qui ont été conçus en dehors des cases réductrices de l’université.
Et vous, cela vous arrive de changer de case, entre agnostique et athée ?
Je suis absolument un athée. Un agnostique conclut qu’il ne peut pas conclure. Un agnostique dit je ne sais pas si Dieu existe ou pas, je ne sais pas. Tout le monde a le droit d’être agnostique sauf les philosophes. Un philosophe c’est quelqu’un dont le métier est de penser et de réfléchir, donc il lui faut trancher. Un philosophe qui ne tranche pas, ce n’est pas un philosophe.
Avant de trancher, mieux vaut comprendre, et pour comprendre un pays, que nous faut-il comme grille ?
En France, il y a le concept de République, qui est l’effacement de la différence, l’effacement des communautés. On est dans la logique de la nation qui est plus importante que le reste. On ne vous demande pas si vous êtes blanc ou noir, si vous êtes chrétien ou musulman, riche ou pauvre, cultivé ou pas, si vous êtes provincial ou parisien. Puis il y a l’autre modèle qu’on appelle communautariste, où chacun se définit en tant que femme, en tant que Noir, en tant que Blanc, en tant que juif, en tant que Breton... Toutes les particularités sont constitutives de l’identité. Les deux ont leurs intérêts et leurs faiblesses (…) Quand je vais aux États-Unis, je vois un nombre considérable de maisons avec le drapeau américain, alors qu’en France, des drapeaux français, il n’y en a pas sur le toit des maisons. Donc il y a une capacité aux Etats-Unis, et c’est peut-être dû au fédéralisme, de conserver la diversité et de fabriquer de la communauté en même temps. Quant à moi, le modèle républicain, j’y ai cru mais n’y crois plus.
Après une soixantaine de publications, Michel Onfray, qu’attendez-vous de la vie ?
(Il nous fixe droit dans les yeux, réfléchit plusieurs instants, prend une longue inspiration) Je vais vous faire une confidence : j’ai perdu ma compagne il y a sept mois. Cela faisait 37 ans qu’on était ensemble. Ce que j’attends de la vie, c’est d’y retrouver un peu goût…
« Freud a peut-être renoncé à la sexualité avec sa femme, mais pas avec sa belle-soeur ! Je n’en fais pas une affaire privée, j’en fais une affaire conceptuelle. »
« Jean Paul II n’a pas contribué à l’effondrement du mur de Berlin (...) Si Gorbatchev avait envoyé les chars, Jean Paul II aurait pu continuer à prier, et cela n’aurait pas changé grand-chose à l’histoire ! »
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