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Monseigneur Maurice Piat, évêque de Port-Louis : Se savoir attendu

5 mars 2010, 19:36

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Sur la route des vies, se savoir attendu embellit le voyage. Maurice Piat parle de sa mission d’homme de Dieu et répond aux questions avec une prudence et le souci d’une parole aux allures arrondies.


Depuis que vous avez succédé à Mgr Jean Margéot, vous est-il arrivé de trouver cette succession trop difficile ?

Oui, certainement il m’est arrivé de trouver cette mission difficile. Etre évêque dans un pays où il n’y a qu’un diocèse est particulièrement astreignant.

Et je reste souvent seul à devoir gérer les relations de l’Eglise avec différents départements du gouvernement, avec les autres Eglises Chrétiennes, les autres religions, le monde des média, etc. Et puis l’Eglise à Maurice, mise à part sa mission d’annoncer l’Evangile et de maintenir l’intégralité de la foi, a aussi un rôle social en se mettant au service de l’ensemble du pays. Et le pays, comme vous le savez, est très complexe. Toutes les tensions qui s’y trouvent nous rejoignent d’une manière ou d’une autre.

Comment faire habiter l’intégralité d’une foi dans un environnement multireligieux et multiracial ?

C’est tout l’art du dialogue. Je crois qu’il faut être très libre. Paul VI disait que pour dialoguer, il fallait donner la parole aux autres avant de prendre soimême la parole. L’Eglise ne prétend pas être la seule à savoir ce qu’il faut faire pour servir le pays. Nous avons un guide qui est l’Evangile et nous croyons que cet Evangile a un potentiel énorme pour le développement humain intégral des personnes. Nous proposons cet Evangile très librement car nous croyons qu’il peut beaucoup apporter au pays. Cependant nous ne voulons pas l’imposer, mais nous y croyons, et le proposons à temps et à contretemps.

Dans le même souffle, nous cherchons à écouter les autres grands courants religieux qui ont aussi des choses à apporter.

L’oecuménisme n’est-il pas cette union de façade qui aboutit très vite vers une impasse dans la mesure où si toutes les religions se ressemblaient et disaient la même chose, il n’y en aurait qu’une seule… C’est bien que les difficultés touchent à l’essence des différentes fois. Ces différences sont sources à la fois de difficultés et de richesses. Les différences sont là. Il faut les comprendre, les apprécier. Le Concile Vatican II nous encourage à chercher, à la lumière de notre foi, tout ce qu’il y a comme lueur de vérité ailleurs. C’est un très bon principe.

C’est en fidélité à notre foi que le Pape Paul VI a pu dire que le dialogue fait partie de la manière même dont l’Eglise doit se situer dans le monde.

L’oecuménisme en tant que chemin n’a pas de limites. Il y a des pas énormes qui ont été faits entre les différentes églises chétiennes. Mais il y a encore des difficultés.

Notamment la reconnaissance du ministère d’unité du Pape et la façon de l’exercer.

Cette modernité que l’on a sentie avec Vatican II, Paul VI et Jean XXIII, la retouve-t-on encore aujourd’hui? Il s’agit d’une mauvaise impression de penser que, depuis Jean Paul II et Benoit XVI, l’Eglise est revenue au conservatisme ?

Ce que vous appelez modernité, c’est la manière dont Vatican II a approfondi le sens de la mission de l’Eglise dans le monde contemporain. Le Concile a aussi appelé à un renouvellement dans la façon d’exercer la mission en étant plus ouverte au dialogue avec le monde. Cet approfondissement et ce renouvellement (ce que vous appelez modernité) n’ont pas été abandonnés, ni ne se sont arrêtés. On l’oublie, mais l’actuel Pape était un de ceux qui ont participé comme experts au Concile et ont contribué à ce renouvellement. Moi, je vois au contraire que cette modernité continue. Bien sûr avec un nouveau style. Benoit XVI a été un grand enseignant.

Il a donc un style plus didactique.

Mais je vois qu’il est très attaché au coeur de Vatican II.

Ceux qui le sentent plus préoccupé par la théologie que par la modernité et les réalités du contemporain se trompent ?

Absolument. Je l’ai rencontré et je ne vois pas cela du tout. Il a les pieds bien dans le concret. Il a une grande finesse d’appréciation de ce qui se passe dans le monde moderne et il a une façon bien à lui de proposer l’Evangile comme une lumière dans notre monde moderne. Sa dernière encyclique : la charité dans la vérité me marque beaucoup. Il parle du développement humain comme l’axe même de toute la mission de l’Eglise.

C’est extraordinaire comme document.

Pensez-vous que sa déclaration condamnant l’utilisation du préservatif en Afrique alors que le SIDA tue des millions de personnes fait partie de cette modernité, de cette finesse d’esprit que vous évoquez ?

Sa position n’a pas été comprise.

Ce qu’il avançait en substance, c’est qu’une distribution sans discrimination de préservatifs en disant aux jeunes : vous n’avez qu’à prendre le préservatif et votre problème est réglé, est une position criminelle. Car parler ainsi présente indirectement la sexualité comme un objet de consommation. Or, il faut plutôt apprendre aux jeunes qu’elle constitue le langage privilégié de l’amour qui implique respect, responsabilité et engagement.

L’expérience montre et des études faites à Harvard - pas par des catholiques – confirment qu’en Afrique cette manière de distribuer le préservatif comme seule solution possible a pour conséquence d’augmenter l’expansion du SIDA, comme le montre le cas d’une école en Afrique du Sud, qui m’a été rapporté : les jeunes s’abstenaient de rapports sexuels ayant été avertis des dangers du SIDA. Quelqu’un vient à l’école pour parler du SIDA et présente le préservatif comme le moyen idéal pour se protéger. Les jeunes alors se disent : pourquoi s’abstenir puisqu’on peut s’amuser et être protégé en même temps ? Ils commencent à avoir une vie sexuelle active et au bout de quelque temps, soit ils oublient le préservatif, soit ils le trouvent gênant, soit par pure négligence, ils commencent à prendre des risques. Et la maladie s’est répandue comme une traînée de poudre. On avait simplement baissé la défense morale. Ce sont les convictions morales qui tiennent l’homme debout dans sa dignité et le protègent vraiment, ce n’est pas simplement un bout de latex.

On ne peut donc pas utiliser le préservatif et avoir sa rigueur morale ? Il y a incompatibilité ?

Ce qui tient l’homme debout, c’est sa rigueur morale. C’est ce que dit le Pape. Tout simplement. Bien sûr, dans certains cas, il est évident que si quelqu’un ne peut s’empêcher d’avoir une vie sexuelle débridée, il doit prendre ses précautions pour ne pas, en plus du tort fait par son dévergondage, agresser  des personnes en répandant la maladie. C’est du bon sens.

Le décalage, l’incompréhension, ne viennent-ils pas de cette situation paradoxale et irréconciliable à savoir proposer des solutions morales absolues à un monde empêtré dans des problèmes humains, quotidiens, faits de contraintes réelles et difficiles de nos existences ?

L’Eglise croit en l’homme. Elle croit qu’il a le pouvoir de se mettre debout dans sa dignité et d’avoir une rigueur morale. Cela est possible. Et si on donne aux gens les moyens, on voit, par expérience, que cela devient possible. Mais si on dit : les gens aujourd’hui ne peuvent plus se contrôler le monde moderne est comme ça alors beaucoup vont finir par croire qu’ils ne peuvent pas se contrôler et vont baisser la garde. Il faut croire en l’homme comme les parents doivent croire en leurs enfants. Un enfant réussit quand ses parents croient en lui.

La foi, vous donne-t-elle un regard vrai sur le monde ou imaginé ?

La foi n’est pas quelque chose d’imaginée. Elle est confiance en une parole donnée. Or, la Parole de Dieu nous indique d’où nous venons – d’un Dieu amour qui nous crée à son image elle nous indique aussi où nous allons, la destination vers laquelle nous marchons.

Si nous n’avons pas de destination, comment voulez-vous que l’on vive le temps présent ? Nous allons devenir fous ! Dans la vie, il faut savoir où l’on va. La merveille que la foi offre à la vie humaine, c’est qu’elle nous dit que nous sommes attendus quelque part au bout du chemin. C’est ça l’extraordinaire.

Quand vous voyagez, il est bon d’être attendu. Notre vie est un voyage et la foi nous dit que nous sommes attendus à destination.

Nous devons donc croire que nous sommes attendus ?

Oui, nous sommes attendus. Les choses essentielles de la vie ne se prouvent pas, il faut y croire. Je vous donne un exemple qui vient de Saint-Augustin.

Je n’ai pas de preuve pour dire que je suis le fils de mon père et de ma mère.

Et je ne connais pas d’humain qui a besoin ou qui va attendre le résultat de tests ADN pour accepter qu’il est le fils de son père et de sa mère. Je crois que je suis le fils de mon père et de ma mère parce que c’est quelqu’un qui m’aime qui me l’a dit Même si je n’en ai aucune preuve, la pire insulte que l’on puisse me faire, c’est de mettre cela en doute. Ce qui est le plus cher au coeur d’un homme ou d’une femme, il le croit, il ne peut pas toujours le prouver. Dieu s’adresse à nous de la même manière. Il nous demande de croire en son amour. C’est cette foi qui nous fait tenir debout comme des enfants de Dieu. C’est croire que nous sommes aimés et que nous sommes attendus. On ne peut pas prouver l’amour, on ne peut que le recevoir avec gratitude. La foi est au cœur de la vie humaine, c’est ce qui donne un sens à nos vies.

Il est donc impossible d’imaginer un salut sans la foi ?

Non seulement ça, mais il est diffcile d’imaginer une vie humaine équilibrée sans une certaine attitude de foi. La vie humaine est vivable à partir du moment où je fais confiance à mes parents, quand ils me disent qu’ils m’aiment.

Cette foi humaine fondamentale nous ouvre à la possibilité de croire en un Dieu quand il nous dit qu’il nous aime comme ses enfants.

 La foi peut, elle, être dissociée de la religion ?

La religion n’est que l’expression extérieure de la foi.

 Si je vous disais qu’elle était l’organisation bureaucratique de la foi, cela vous vexerait ?

Non, mais je ne dirais pas l’organisation bureaucratique, je dirais plutôt l’expression communautaire d’une même foi. Il y a donc forcément un peu d’organisation dans toute vie communautaire.

 Quand vous croisez la route d’un athée, vous êtes malheureux pour lui ?

J’ai des amis, j’avais même des parents– oncles, tantes – qui n’étaient pas croyants. Non, je ne suis pas malheureux pour l’athée. Je sais qu’il est aimé par Dieu. Et je voudrais beaucoup qu’il le découvre et y trouve un bonheur durable. Même s’il faut attendre longtemps, je sais que nous nous rencontrerons un jour dans cette même maison, la maison de Dieu, notre Père commun, pour l’éternité.

Mais je dois dire qu’il y a des athées qui ont quelquefois plus d’intégrité morale que des gens qui sont religieux.

 Si hors de toute foi existe la possibilité d’une exemplarité de vie, il existe donc un chemin qui ne passe pas par le religieux…

On peut bien sûr ne pas passer par le religieux (le Concile le reconnaît) mais on ne peut pas ne pas passer par la reconnaissance de l’amour de Dieu.

Nous sommes tous destinés à découvrir la beauté de l’amour de Dieu.

Dans un texte mystique d’un poète, il est dit : la foi est plus belle que Dieu…

(Rires) La foi, c’est ce qui nous met en contact avec cet amour. C’est une confiance faite à une parole donnée.

 La notion de Dieu est-elle toujours compatible avec celle de l’existence des religions ?

Chaque religion a une vision de Dieu. Dans la religion chrétienne, nous croyons que c’est Jésus Christ qui nous révèle le visage de Dieu, celui qui apparaît dans un homme très humble, qui a été disposé à souffrir pour ceux et celles qui lui étaient confiés, qui a eu pour nous un amour gratuit et patient. La toute puissance de Dieu n’est ni musculaire, ni politique, ni militaire. C’est la puissance de l’amour, du pardon. Nous croyons, nous, que le Christ donne au monde le vrai visage de Dieu. Un visage surprenant, qui nous prend tous à contrepied.

Par son humilité ?

Auriez-vous pu imaginer qu’un Dieu se révèle sur une croix ? En mourant seul, comme un supplicié ?

Et pourtant, c’est là qu’il a choisi de se révéler comme Dieu. Certains, au pied de la croix lui ont dit : «Descends de cette croix et nous croirons en toi». Il ne l’a pas fait. En refusant tout privilège, en assumant sa vulnérabilité d’homme, il a voulu nous révéler un amour gratuit, humble. Ce qui touche, c’est cette humilité qu’avait Jésus et l’amour qu’il nous a offert fidèlement.

 S’il visitait aujourd’hui le Vatican et la basilique Saint-Pierre de Rome, ses marbres roses, ses objets en or, ses luxueuses limousines immenses, ses gardes du corps, ses tentures brodées d’or, ses appartements pharaoniques, pensez-vous que Jésus de Nazareth, l’homme humble, reconnaîtrait son Eglise ?

Vous savez Saint-Pierre de Rome a été construit à une époque où il y avait beaucoup de corruption dans l’Eglise.

C’est d’ailleurs contre cette corruption que s’est élevé Luther. Le Pape Jules II, qui a fait construire Saint-Pierre, avait un tempérament de guerrier. Il croyait qu’en construisant l’église de St-Pierre de Rome, il manifesterait la puissance de l’Eglise. Et quand on pense que, peu de temps après, cette église s’est cassée en deux avec la réforme protestante. Ce même Pape avait commandé des statues pour son tombeau. Notamment le Moïse de Michel Ange. Mais son sucesseur ne lui a offert qu’une toute petite pierre en guise de pierre tombale. Même si Saint-Pierre de Rome est quelque chose de magnifique, elle ne reflète pas nécessairement l’image de l’Eglise d’aujourd’hui. Ce n’est pas la seule, ni la meilleure représentation architecturale de l’Eglise. L’Eglise actuelle a hérité de Saint-Pierre de Rome et il faut bien qu’elle s’en serve. Cela me rappelle le cardinal Margéot à qui on disait que l’évêché était un trop grand bâtiment pour l’Evêque de Port-Louis. Il répondait

«Oui, je le reconnais. Mais c’est comme le pantalon du grand frère. C’est trop grand pour moi mais c’est le seul que j’ai… »

On voit naître des centaines de religions-champignons qui tous se réclament de Jésus, qui prient religions-champignons qui tous se réclament de Jésus, qui prient en invoquant son nom, qui amassent des fortunes en son nom, qui même construisent des « holdings » en son nom…Il avait autant de visages Jésus ou nous avons affaire à des bricoleurs de Dieu ?

Je ne veux pas passer de jugement sur les personnes qui lancent ou qui animent ces différents groupes de chrétiens.

En même temps, il faut avoir les yeux ouverts sur l’histoire. Tous ces groupes sont nés de querelles intestines et à partir du moment, au 19e siècle, où un groupe a déclaré que la fin du monde arriverait en 1900. Quand cette fin du monde n’est pas arrivée, il y a eu séparation.

Et puis, à chaque dissension grave à l’intérieur d’un groupe, a suivi d’autres séparations.

C’est ainsi que beaucoup de ces groupes sont nés, à Maurice comme ailleurs. Ici, souvent des groupes se sont séparés d’Eglises existantes parce qu’ils ne s’entendaient pas avec leur pasteur.

Je ne dis pas que l’Eglise Catholique est parfaite et qu’elle n’a rien à se reprocher.

Elle avait ses torts vis-à-vis de Luther par exemple. Jean Paul II les a reconnus.

Mais le ministère de l’unité que le Pape assure est quelque chose de précieux, c’est un grand service qu’il rend, même si ce service est souvent ingrat et qu’à l’intérieur de l’Eglise on peut quelquefois protester, rouspéter. Ce ministère du Pape, ce service de l’unité, donnent un espace où peuvent s’exprimer les différences, tout en restant attachés à l’essentiel de la foi et à l’accueil fraternel.

Toutes ses organisations parlent donc du même Jésus, mais n’arrivent pas à s’entendre sur son nom, c’est bien ça ?

Oui ils parlent tous du même Jésus.

Oui ils n’arrivent pas à s’entendre. C’est cela le drame.

Les récents démêlés de l’Eglise Chrétienne ont-ils été néfastes dans la compréhension du vrai message de la chrétienté ?

Dans ces choses que vous évoquez, j’aime le principe de Gamaliel, un homme sage et membre du grand Conseil à Jérusalem, à l’époque du tout début de l’Eglise où les chrétiens étaient considérés comme une secte juive. Les premiers succès des chrétiens préoccupaient les autorités religieuses juives.

Gamaliel a dit : «Si ce groupe est de Dieu, vous ferez tout ce que vous voudrez, vous ne pourrez pas l’éteindre. S’il n’est pas de Dieu, il va mourir par lui-même». J’aime ce principe.

Seule la durée prouve l’authenticité ?

Oui je crois que c’est au moins un signe fort d''''authenticité.
 
Et si l’Eglise Chrétienne vous retournait la question en disant : il faut attendre pour voir si elle dure avant de la critiquer ?

Les membres de l’Eglise chrétienne sont libres de penser et de dire ce qu’ils veulent. Je ne peux pas les en empêcher.

Je ne veux pas juger cette Eglise. Il y a des personnes humaines dedans et je dois les respecter. Elles peuvent avoir aussi une expérience spirituelle réelle que je dois aussi respecter. Mais le fait est que l’institution est née d’une coupure avec l’Eglise catholique ou avec d’autres Eglises. C’est toujours triste et même dramatique que des personnes qui croient au même Christ, ne puissent vivre en frères comme le Christ nous l’a demandé.

Nous sommes en période de carême chrétien qui mène vers Pâques, la réssurection du Christ.

De quelle manière, mise à part sa symbolique, célébrer un événement qui date de plus de 20 siècles trouve-t-il encore une pertinence aujourd’hui ?

J’aime cette question. Il faut comprendre la culture biblique, la culture juive, qui a un grand sens de la commémoration.

Un des grands appels de la Bible que l’on entend souvent c’est : souviens-toi. N’oublie pas. Pourquoi ?

Parce que des événements qui ont eu lieu au long de l’histoire du salut, par exemple, la sortie d’Egypte, ou la mort et la résurrection de Jésus, ont été réalisés par la puissance de Dieu lui-même.

Même si ces événements se sont passés il y a 20 siècles, ils sont encore vivants parce que celui qui y a agi est aujourd’hui comme il l’était autrefois, vivant. Donc, en commémorant ce qui s’est passé il y a longtemps, nous sommes en contact avec le Dieu vivant qui agit aujourd’hui de la même manière qu’Il agissait autrefois. C’est cela la commémoration biblique. Ce contact avec Dieu vivant à travers le récit d’événements passés est vivifiant pour nous. Il donne un sens immense, extraordinaire à nos vies. Toute proportion gardée il y a un peu de cela dans nos commémorations familiales par exemple quand nous fêtons l’anniversaire de mariage d’un couple, même si le mariage s’est passé il y a 50 ans, ceux qui ont vécu ce moment sont encore vivants et restent en lien avec cet événement. C’est toute une vie qui réapparaît, et qui donne un sens au moment présent.

C’est cette vie qui ajoute un sens à la vie d’un chrétien ?

Oui. La vie du Christ qui nous est communiquée donne un sens à nos vies.

Elle nous invite à partager sa vie et cela nous remplit de bonheur, de dynamisme et d’une espérance folle.

Vous parlez de votre foi avec passion. Pourtant on note que dans l’Eglise catholique “mainstream” on ne trouve pas l’exaltation, la ferveur affichées dans les sectes ou les petites églises. Y a-t-il une raison à cela ?

Je ne sais pas. Dans l’Eglise, les groupes charismatiques ont cette ferveur.

Mais l’Eglise ne se définit pas par cette exaltation. Il y a beaucoup de manières d’être croyant et l’Eglise les accepte toutes. Elle ne peut cependant s’identifier uniquement à cette exaltation.

On parle d’une crise des vocations depuis plus de trente ans.

Quand une crise dure à ce point, les raisons qui l’ont fait surgir doivent sans doute être profondes… structurelles ou conjoncturelles, selon vous ?

Je crois qu’elle est conjoncturelle.

Chaque vocation est un mystère.

C’est un être humain qui, dans sa conscience intime, entend l’appel du Christ et donne sa vie au Christ. On ne peut pas recruter des vocations ou les former comme on recrute et forme des ingénieurs ou des comptables. Le mystère du don de sa vie au Christ est difficile à percer. Par ailleurs, ce n’est pas la première fois que nous avons une baisse dans les vocations. J’ai un grand espoir dans les jeunes qui, je le sens très fort, sont en train de nous préparer un nouveau printemps. C’est vrai que les temps sont difficiles. Mais je ne crois pas du tout qu’ils soient permanents.

La foi est plus difficile aujourd’hui ?

La foi n’est pas une difficulté, c’est un bonheur. Ce n’est pas sûr que moins de jeunes embrassent la foi. Mais ils le font de manière différente. Et on ne les voit pas. Il y a tant de personnes, des couples, des jeunes, des vieux, qui sont heureux dans leur foi. Ça ne fait pas les nouvelles…mais ça fait la vie!

Il y a eu récemment trois ou quatre prêtres qui ont quitté la prêtrise.

Comment ressentez-vous ces abandons?

Entre prêtres et évêque, il y a un type de relation qui fait que nous ne sommes pas que des collègues de travail. Il y a un lien très fort de fraternité qui vient du fait que nous avons reçu le même sacrement. Quand l’un de nous s’en va – peu importe ses raisons – il faut les respecter, ne pas le juger. Mais il y a une vraie souffrance de la séparation. Par ailleurs, la vie ne doit pas s’arrêter pour autant. D’autres vont nous rejoindre sur la route. Le peuple de Dieu n’arrête pas sa marche.

Avez-vous déjà eu l’envie de tout quitter pendant votre longue carrière au sein de l’Eglise ?

J’ai eu des moments difficiles, plus éprouvants que d’autres mais je n’ai jamais envisagé de tout quitter. Etre prêtre, c’est donner sa vie au Christ pour le service d’un peuple. Et cette relation entre le prêtre et la communauté qui lui est confiée, lui est chère. C’est un lien très fort.

 

Alain Gordon-Gentil