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Nathalie Rose : «Incluons l’éducation sexuelle et le VIH/sida dans le cursus scolaire

13 juillet 2010, 10:12

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¦ Comment réagissez vous à l’interdiction de diffuser en public le film «Paradi an Dey» de Jameel Peerally?

Je dois d’abord dire que je n’ai vu qu’un extrait de ce film sur internet. De ce que j’ai vu, je trouve que la réaction des autorités est non seulement excessive mais qu’elle va à l’encontre de ce à quoi on aurait pu s’attendre d’elles. Je ne comprends pas pourquoi l’Etat devrait avoir une telle réaction.

¦ Quelle aurait dû être la réaction de l’Etat?

Nous savons que l’Etat a un rôle primordial à jouer dans la lutte contre le trafic de drogue et, parallèlement, il y a le rôle de la société civile, dont des organisations non gouvernementales.

Ces dernières années, on a pu constater davantage d’efforts de la part de l’Etat pour une plus grande coordination des services publics et privé. Mais un film, c’est un moyen plus dynamique et original de diffuser plus largement des réalités ayant trait à la drogue. On aurait pu penser que l’Etat aurait encouragé ce genre d’initiatives. Paradi an Dey décourage vraiment les gens par rapport à l’utilisation des drogues dures, des drogues injectables.

Ce que je trouve toutefois dommage dans l’élan de solidarité qui s’est dessiné autour de ce film, c’est que les gens ont tendance à mettre l’accent sur la liberté d’expression alors que le problème de fond, c’est le trafic de drogue. Il ne faudrait pas que ce transfert arrange les gens qui ne veulent pas que ce film soit diffusé.

¦ Le problème des drogues injectables mène inévitablement à celui du sida…

Je pense qu’on ne doit plus dire «inévitablement». Des services sont offerts aux usagers de drogues injectables. Ce sont des services leur permettant de préserver leur santé même s’ils sont toujours en train de s’injecter de la drogue. Je fais là référence au programme d’échanges de seringues. Malheureusement, ce genre de services n’est pas disponible à travers tout le pays.

Il faut aussi dire que lorsqu’un jeune devient vraiment accro aux opiacés, c’est-à-dire au brown sugar et au Subutex, il ne bénéficie d’aucune structure susceptible de l’encadrer et de l’accompagner vers une désintoxication et une réhabilitation.

¦ On évoque justement de plus en plus la présence de drogue dans les collèges…

Ce qui devrait être fait, c’est la mise en place d’un système de prévention adapté aux jeunes. A CUT, nous pensons que les jeunes ont le droit de savoir quelles sont les drogues qui existent et les effets qu’elles produisent à court et long termes. Ce sont des messages qui devraient être transmis systématiquement dans le cadre du cursus scolaire.

Je parle là de prévention adaptée et efficace.

Même si demain, il y avait un système de prévention efficace, cela ne voudrait pas dire qu’il n’y aurait plus de jeunes qui toucheraient aux drogues dures. Donc, parallèlement, il faudrait proposer des services qui soient «youth friendly» pour aider ces jeunes au niveau de la désintoxication et surtout de la réhabilitation. C’est vrai que si un jeune est issu d’une famille avec un bon encadrement et où existe le dialogue, cela facilite beaucoup les choses.

¦ Pensez-vous que la toxicomanie soit toujours un sujet tabou?

Oui. Il y a quand même différentes réalités. Il y a des familles où la toxicomanie se transmet de génération en génération. Il y a d’autres familles où on ne peut pas en parler. C’est là que le problème surgit. Je pense aussi qu’il y a énormément de familles qui sont très loin de certaines réalités liées à la toxicomanie. D’où la pertinence d’un film comme Paradi an Dey.

Il faut aussi savoir que lorsqu’on parle de la lutte contre la drogue, il y a trois dimensions dont il faut tenir compte. Soit, la réduction de l’offre, celle de la demande et celle des risques.

La première se fait au niveau du contrôle des douanes et à travers l’action de l’ADSU (Anti Drug and Smuggling Unit). La deuxième se fait à travers des programmes de prévention adaptés.

Enfin, depuis que le VIH a fait son apparition, on évoque la réduction des risques.

Dans le monde de la drogue, il faut aussi prendre en considération le fait qu’il y a des gens à la fois dépendants et victimes et dont il faut s’occuper. Cela en leur offrant des services sanitaires et sociaux dans la perspective du respect des droits humains.

¦ N’êtes-vous pas parfois découragée quand vous voyez que le trafic de drogue se poursuit de plus belle?

Il s’agit d’être très pragmatique sur cette question. C’est la raison pour laquelle des programmes de réduction des risques existent. La drogue sera toujours présente même si on arrive à limiter sa circulation. On ne peut se voiler la face et se dire qu’il n’y aura plus de drogue à Maurice. Il faut donc continuer à travailler en fonction de la réalité actuelle, surtout lorsqu’on parle de la prévention du VIH.

¦ Pensez-vous que les jeunes accèdent aux informations adéquates sur le VIH/sida?

Il y a de l’information qui passe mais ce n’est définitivement pas suffisant. Les différents acteurs de la lutte contre le sida attendent patiemment un nouveau cursus avec des sujets tabous comme l’éducation sexuelle et le VIH/sida.

¦ Quelle est la situation générale pour ce qui est du sida dans le pays?

Pour le moment, il y a un taux de prévalence officiel de 1,8%. Ce qui fait à peu près 12 000 personnes atteintes.

Cependant, ce chiffre date de 2007. Il est important de préciser que l’idée selon laquelle ce serait toujours les populations à risques qui sont infectées n’est pas nécessairement vraie. Les populations à risques, ce sont les utilisateurs de drogues injectables, les travailleurs/ses du sexe et les hommes ayant des rapports avec d’autres hommes.

Notre champ d’intervention touche les utilisateurs de drogues injectables. Depuis que l’on a recours à la méthadone et aux échanges de seringues, le pourcentage de toxicomanes nouvellement infectés est en train de baisser. Par ailleurs, si nous considérons la population des femmes infectées à Maurice, il faut faire ressortir qu’il y a beaucoup plus de femmes au foyer touchées que de travailleuses du sexe. Le virus est en train de passer des groupes vulnérables à la population au sens large. Il faut quand même continuer à renforcer le programme destiné aux populations à risques. Je pense spécialement aux prisons où il n’y a pas de structure pour la prévention du VIH.

¦ Etes-vous satisfaite des efforts réalisés par les autorités dans cette lutte contre le VIH/sida?

Il y a des efforts mais pas de tous les partenaires. Par exemple, lorsque le programme d’échanges de seringues a été lancé, nous avons eu, certes, le soutien du ministère de la Santé et celui du National Aids Secretariat. Néanmoins, nous continuons à nous heurter à la police qui ne comprend pas la situation et pose ainsi problème sur le terrain.

 

Propos recueillis par Nazim ESOOF

 

Nazim ESOOF