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Pamela Bapoo-Dundoo : « Avec MID, il y a une multitude de charlatans »

3 juillet 2012, 09:58

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Dans le cadre des 20 ans du GEF, cette spécialiste du développement durable revient sur l’importance de l’approche communautaire préconisée par cette organisation, les affres de «Maurice île Durable» et la beauté du changement à petite échelle.

Le «Global Environment Facility» (GEF) vient de fêter ses 20 ans. Etant donné que Rio+20 s’est soldée par un échec, y a-t-il vraiment matière à célébration ?

Le bilan est pleinement satisfaisant ! Il suffit de lire le rapport sur les 20 ans du GEF Small Grants Programme (GEF SGP), «20 Years Community Action for the Global Environment» qui a été lancé à Rio, le 22 juin dernier, pour l’affirmer. Qu’importe le succès mitigé ou l’échec, selon l’appréciation personnelle de la Conférence de Rio+20, ce rapport nous montre comment l’approche du SGP du GEF, depuis ces 20 dernières années, ont eu de l’impact sur l’environnement et la vie des gens dans plus de 125 pays.

Le SGP est l’un des rares programmes environnementaux internationaux à prôner une philosophie «grassroots » et ce depuis des années. Pourquoi une telle approche?

La Chief Executive Officer sortante du GEF, Monique Barbut, le dit très bien : «Les gros changements peuvent commencer avec des petits pas.» C’est cela la philosophie que prône le GEF SGP...Les changements environnementaux au niveau global peuvent trouver leur source dans des petits villages et des petites fermes.

Petit historique : c’est lors du premier Sommet de la Terre de Rio, en 1992, que les pays décidèrent que le GEFqui avait été constitué une année auparavant, allait servir de mécanisme financier aux Conventions sur la biodiversité et le changement climatique, qui furent adoptées lors de cette Conférence. Ce Sommet de la Terre trouve son origine dans un processus mené très largement par la société civile, particulièrement par des mouvements écologistes et des ONG de par le monde. La demande pour un SGP du GEF émerge des négociations. Les représentants de la société civile, ainsi que le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), demandent alors une fenêtre financière destinée aux ONG au sein du GEF, qui autrement n’aurait financé que des gros projets où les communautés ne sont pas les décideurs majeurs. Des alliés multilatéraux réalisent que le GEF serait une opportunité unique pour financer les actions de la société civile. Le PNUD conçoit et propose alors le SGP basé sur ses expériences dans la conceptualisation et la mise en oeuvre de plusieurs programmes.

A quoi attribueriez-vous le succès de ce programme ?

Le secret, c’est la décentralisation des décisions avec un National Steering Committee qui comprend des membres dévoués et tous volontaires, des National Coordinators qui ont une connaissance profonde des enjeux environnementaux dans leur pays. 20 ans après, à travers son engagement profond avec les ONG et les associations communautaires, SGP est devenu la face publique du GEF et du PNUD. A ce jour le GEF SGP a prospéré dans différents climats politiques et économiques à travers la planète. Un bon exemple, c’est le projet de génération de biogaz en Uruguay, initialement mis en oeuvre par des éleveurs et aujourd’hui répliqué dans plusieurs municipalités et même «up-scaled» par le ministère de l’Agriculture qui a pu accéder à des fonds d’adaptation au changement climatique de l’Inter-American Bank et de la Banque mondiale. Le constat est donc clair, SGP est plus qu’un mécanisme financier qui donne des petites subventions à des ONG. Ce n’est pas non plus la Corporate Social Responsibility d’une compagnie, car il va au-delà, en construisant des partenariats et des réseaux avec la société civile, en favorisant le dialogue politique avec les autorités gouvernementales à tous les niveaux, en incorporant les besoins des plus nécessiteux et des communautés marginalisées dans la planification du développement durable national et en encourageant la sensibilisation du public.

Quel ont été, pour vous, les plus grands succès du GEF et du GEF SGP à Maurice ?

Pour le GEF, je citerai les projets de réhabilitation et de conservation de la forêt endémique dans le Parc national mené conjointement par les National Parks and Conservation Services et la Mauritian Wildlife Foundation, et le projet de cogénération d’électricité bagasse charbon mené par les sucriers et le gouvernement. Beaucoup ne le savent pas mais ces projets, qui servent aujourd’hui de référence, ont été financés par les fonds du GEF à travers le PNUD et la Banque mondiale dès 1992.

Pour le GEF SGP, les projets d’ONG qui ont influencé la politique du pays, tels les quatre réserves marines de Rodrigues décrétées à la suite d’un projet mené par Shoals Rodrigues Association, les projets de compostage dont on parle aujourd’hui comme si c’était évident, les agriculteurs qui aujourd’hui utilisent le contrôle intégré des pestes grâce à un panneau jaune enduit de graisse dans leurs champs, diminuant ainsi de 60 % leur utilisation de pesticides les éleveurs de vaches laitières, qui depuis quatre ans, n’achètent plus de gaz ménager car ils produisent eux-mêmes leur biogaz avec les déchets d’élevage la certification organique Eco-Cert obtenue par quatre associations pour leur plantation de légumes et fruits ces dames de Chemin-Grenier qui exportent leurs tisanes médicinales en Chine et à la Réunion.

A Maurice, on voit de plus en plus de gros bailleurs de fonds venir dicter notre politique de développement. Ne devons-nous pas traiter ces «bons samaritains» avec plus de circonspection ?

Je crois que Maurice a toujours su se démarquer des dictats des bailleurs de fonds et c’est ce que j’entends dans les réunions. Il ne faut pas croire que les gens sont dupes ! Ce qui me préoccupe, par contre, c’est que depuis l’avènement du concept Maurice île durable (MID), il y a une multitude de charlatans et de propositions dites environnementales qui ne le sont pas vraiment quand on y regarde de près et, c’est très grave car le Mauricien moyen qui n’arrive pas encore à comprendre le concept de développement durable, risque d’être dégoûté en réalisant la supercherie.

Que réserve l’avenir pour le GEF à Maurice ?

Nous sommes dans la phase Opérationnelle 5 du GEF, qui va durer jusqu’à 2014. Maurice a reçu une enveloppe financière et il y a, en ce moment, les consultations pour soumettre les propositions. Pour le SGP, l’enveloppe financière est de $1,7 million et nous venons d’allouer la première tranche de $500 000 à 11 projets. Nous entamons la deuxième année de financement dès ce mois-ci.

Y a-t-il des secteurs en particulier dans lesquels vous souhaiteriez promouvoir des projets ?

J’aimerais voir plus d’agriculteurs aller vers la culture organique. Le Mauricien veut aujourd’hui manger sans produits chimiques. Les énergies renouvelables, la sécurité alimentaire, le tri sélectif des déchets, la protection de la zone côtière, tout ce qui touche la communauté avec accent sur l’allégement de la pauvreté et les personnes vulnérables me tiennent à coeur.

La crise financière représente-elle une fatalité pour le développement durable ?

Non ! Au contraire c’est une aubaine extraordinaire. Il n’y a qu’à voir les opportunités qui se développent dans les pays émergents où l’environnement est en train de devenir un gros employeur ! Certains l’ont compris à Maurice, mais c’est très timide.

A Maurice, nous voyons une forme de développement qui est tout sauf durable. Comment changer de direction ?

Si on est sérieux à propos du développement durable, on doit renforcer les ressources humaines et l’application de nos lois ! Nos lois environnementales existent depuis des années, et il y a sûrement besoin d’en revisiter quelques-unes mais si on les appliquait vraiment, le développement durable deviendrait enfin une réalité. Mais, cela ne sert pas les intérêts de tous… Je propose aussi, depuis quelque temps déjà, d’avoir une «MID compliance checklist» au sein de chaque institution. Cela permettrait de voir tout de suite si un projet, un développement quelconque, est en ligne avec notre volonté d’île durable.

MID, sans le flafla, c’est quoi pour vous ?

MID, c’est ce que le GEF SGP fait depuis 20 ans dans le monde et depuis 17 ans à Maurice !

Pour terminer, que peut-on souhaiter au GEF pour ses 20 ans ?

Que les 182 pays qui constituent le GEF Council lui allouent les ressources financières nécessaires pour continuer son mandat. Et que les ONG continuent dans leur volonté de faire avancer l’agenda du développement durable avec nous. Après tout, Margaret Mead avait raison en disant : «Never doubt that a small group of thoughtful, committed citizens can change the world. Indeed. It’s the only thing that ever has.”

Propos recueillis par Nicholas RAINER
(Source : l’express iD, mardi 3 juillet 2012)

Nicholas Rainer