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Parmaseeven Veerapen : :L’Etat devrait s’excuser parce qu’il y a eu continuité dans le système »

10 décembre 2011, 13:15

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Le commissaire Parmaseeven Veerapen, membre de la Commission Justice et Vérité, explique pourquoi l’Etat devrait s’excuser. L’esclavage et l’engagisme étaient des moyens de faire baisser les coûts de production, dit-il. Une situation qui, ajoute-t-il, n’a pas forcément changé aujourd’hui…

? Une des recommandations de la Commission Justice et Vérité (CJV) – la demande d’excuses officielles – fait des vagues. Vous attendiez-vous à une réaction aussi négative ?

Nous étions conscients que la réaction des autorités et des institutions serait négative. Mais déjà, l’Eglise a réagi et a accepté le principe.

? Vous vous y attendiez ?

Ces questions ont déjà été abordées dans le passé par l’Eglise et, dans ce sens, elle était peut-être la candidate la plus probable pour accepter le principe du pardon. D’autre part, je comprends la réaction du Premier ministre (PM), mais nous aurions aimé pouvoir élaborer sur les raisons pour lesquelles nous pensons que l’Etat mauricien devrait aussi participer à cet exercice.

? Justement, le PM dit que l’Etat mauricien n’avait pas encore été créé à l’époque de l’esclavage et de son abolition. Il marque un point, non ?

Il faut bien comprendre pourquoi nous faisons cette proposition et sur quoi nous nous basons. Nous avons fait des recherches, des débuts de la colonisation à maintenant. C’était un survol de l’histoire économique, sous l’angle de la contribution des esclaves, des travailleurs engagés et des descendants de ces deux groupes. C’est ce qui nous a permis de voir une continuité dans le système. Donc, quand nous parlons de séquelles, nous devons pouvoir parler de celles qui existent maintenant. Ce n’est pas quelque chose qui a commencé en 1835 et qui s’est terminé à l’abolition de l’esclavage. Il y a eu continuité.

? Dans quel sens ?

D’abord, je voudrais préciser que nous ne pouvons pas parler d’esclavagisme sans parler de l’empire britannique. Mais au-delà du racisme, l’esclavage était surtout la mise en pratique d’une politique de cheap labour. Et les études prouvent que c’était une politique calculée.

L’engagisme de masse commence en 1834, soit un an avant l’abolition de l’esclavage. Ils savaient qu’on allait vers l’abolition. L’industrie sucrière se développait et était en effervescence. Il y avait donc un besoin urgent de main-d’oeuvre. Avec l’abolition de l’esclavage, les esclaves deviennent des apprentis. Quand ils font des heures supplémentaires, ils ont droit à plus d’argent et leur influence sur les négociations augmente donc. De ce fait, le peuple en esclavage coûte plus cher. C’est là qu’Adrien d’Epinay va chercher des travailleurs du Pondichéry. C’est une stratégie calculée pour faire baisser les coûts de production, mais ça ne marche pas trop. En 1834, ce sont les propriétaires d’établissements sucriers qui ont déjà des business en Inde, qui font venir les travailleurs engagés – à peu près 30 000 en quatre ans.

? L’on dit que la MCB a été fondée par la compensation que les planteurs ont eue après l’abolition de l’esclavage… Pourquoi cette banque ne fait-elle pas partie des institutions qui devraient s’excuser ?

C’est vrai que nous n’avons pas mentionné la MCB quand on parle de pardon, même si c’est un fait que l’argent de la compensation a été utilisé. Nous pensons que 25 % du financement de la MCB vient de cet argent, mais nous n’avons pas assez de documents pour le démontrer…

? Revenons aux travailleurs engagés. Qui les a fait venir ?

Les planteurs. Mais en 1930, trois quarts des établissements sucriers étaient endettés auprès des financiers anglais. Tout le monde critique la banque d’Adrien d’Epinay, mais il n’était que le directeur. Les propriétaires étaient des Anglais, les frères Barclay, entre autres… Il y avait une alliance d’intérêt entre les Anglais et les Français. Même si c’est vrai que, par moments, il y avait certains gouverneurs qui n’étaient pas d’accord avec ce qui se passait. Donc, encore une fois, le problème n’est pas ethnique, il concerne le marché du travail.

? Vos propos quant à la responsabilité de l’Etat, qui aurait perpétué l’exploitation ouvrière, n’expliquent-ils pas pourquoi le Premier ministre n’est pas enthousiaste à l’idée de présenter des excuses ?

Le conflit qui se posait, ne se pose pas en termes d’Indiens et de Créoles, mais de différentes catégories de laboureurs ! Les conditions de travail de ces laboureurs étaient cruciales car il fallait diminuer les coûts de production pour pouvoir vendre le sucre sur le marché international. Le pouvoir impérial permettait cela. Et cette politique a continué. Mais il faut revenir un peu en arrière pour l’expliquer. La Commission Royale, en 1909, avait demandé aux planteurs pourquoi ils faisaient venir autant de laboureurs alors qu’il y en avait assez dans le pays. Car, ce faisant, ils engendraient chômage et pauvreté. Leur réponse : les nouveaux coûtaient moins cher. Donc ce n’est pas une question de Créoles ou d’Indiens. La Commission Royale ne fait rien alors qu’elle comprend bien que l’on crée consciemment de la pauvreté, puisqu’il y a un surplus de main-d’oeuvre. Et cela continue jusqu’à l’Indépendance.

Après l’Indépendance, une structure, une politique économique et un système éducatif qui pratiquent l’exclusion sont mis en place. C’est pour cela que je dis apprécier les propos du Premier ministre, mais nous nous attendons à un débat rationnel. Le problème n’est pas ethnique. Vous voulez un exemple ? Prenons l’Export Processing Zone (EPZ) ? Qu’est-ce ? C’est une politique de main-d’oeuvre bon marché. Jusqu’en 1985, la loi du travail de l’EPZ contenait le double cut. Il s’agit d’une règle qui s’appliquait aux laboureurs engagés : deux jours de salaire étaient déduits pour chaque jour d’absence. L’Etat continue donc la politique de la main-d’oeuvre bon marché et amène des cadres légaux qui reprennent certains aspects de cette époque-là. Nous disons donc qu’aujourd’hui, il faudrait avoir un nouveau contrat social. Mais plus important, il faut reconnaître que l’Etat mauricien a repris les mêmes principes qui caractérisaient l’engagement. Il y a eu une continuité structurelle.

? Comment voulez-vous que les gens comprennent que l’esclavage et l’engagisme n’étaient pas ethniques, mais économiques ? Surtout quand les politiciens utilisent cet argument à leurs propres fins…


L’erreur que nous faisons est de penser que les groupes ethniques sont homogènes. C’est faux. Il y a des stratifications sociales dans tous les groupes ethniques. Et là, je blâme la classe politique et l’intelligentsia. Ils sont entrés dans une logique ethnique bornée et se servent de stéréotypes contre X, Y et Z.

? A ce stade, l’Etat dit non au pardon, l’Eglise dit oui, mais la Chambre de commerce et de l’industrie dit qu’elle n’a rien à voir là-dedans. Que leur répondez-vous ?

Je ne suis pas du tout d’accord avec eux. La Chambre de commerce a participé activement au processus de l’esclavage et de l’engagement. Dans l’un de ses rapports, elle dit que l’importation de la maind’œuvre de l’Inde coûte moins cher que d’employer des esclaves. Je crois qu’il faudrait que la Chambre revoie sa position. Je comprends, dans une certaine mesure, son problème, mais c’est une méconnaissance de l’histoire que de venir dire qu’ils n’ont rien à voir avec ça.

? D’aucuns justifient cette posture de la Chambre de commerce en disant qu’il y avait un contexte à l’esclavage…

Il y avait certainement un contexte, mais les gens ne réalisent pas que la richesse de Maurice a été créée au début du XIXe siècle. Une superficie gigantesque du pays est plantée et la production du sucre est augmentée de façon extraordinaire. Cela n’aurait pas été possible sans les esclaves et les engagés. Il serait temps de le reconnaître, de rendre hommage à ces personnes.

Propos recueillis par Deepa Bookhun