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Pavitranand Ramhota: « Aujourd’hui, on est en train de politiser la religion »

25 mars 2010, 12:27

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Co-auteur avec Suzanne Chazan-Gillig, chercheuse française, de «L’hindouisme mauricien dans la mondialisation - Cultes populaires indiens et religion savante », Pavitranand Ramhota est chercheur  et anthropologue au «Mahatma Gandhi Institute» (MGI). Il nous livre des propos forts et éclairés pour mieux comprendre certaines pratiques…

Racontez-nous la genèse de cette aventure de recherche anthropologique…

J’ai commencé cette aventure en 1993 lorsque Uttam Bissoondoyal était le directeur du MGI. Je dois d’emblée saluer la vision de cet homme. Il avait, à l’époque, signé une convention avec une institution française, aujourd’hui connue comme l’Institut de recherches pour le développement (IRD), pour la réalisation d’une série de recherches autour de trois thèmes : Etat, société et marché. Lorsque je me suis joint à l’équipe de recherche qui avait été constituée à cet effet, je me suis dit qu’on parle souvent de l’histoire mauricienne mais que revenaient systématiquement les mêmes propos. Pour moi, les deux vrais historiens qui ont travaillé sur l’histoire des immigrants indiens à Maurice sont Richard Allen et Marina Carter. Mais leur travail également repose surtout sur les archives. Je me suis dit que je vais, pour ma part, entreprendre un travail qualitatif.

Dès lors, j’enclenche une série d’interviews de personnes ayant vécu sur des camps sucriers.

Aujourd’hui, la plupart des interviewés sont morts. Suzanne Chazan-Gillig, de son côté, a réalisé les interviews des sucriers. Le travail de collecte d’informations m’a pris cinq ans.

Il s’agissait de voyager dans l’histoire à travers la parole des acteurs et de leurs souvenirs de leurs ancêtres. On a beaucoup parlé de l’histoire des immigrants indiens, mais jamais n’a-t-on raconté comment ils vivaient. Il faut savoir que ces derniers ne sont pas arrivés à Maurice avec leur culture dans les bagages et qu’ils l’ont reproduite dès qu’ils ont touché le sol mauricien. Ils ont dû réinventer leur culture.

Qu’est-ce que vous retenez des enquêtes réalisées par rapport à votre sujet d’étude ?

Dans les camps sucriers, les hindous ont bénéficié, dès leur arrivée, d’un lopin de terre pour construire un lieu de culte. Mais il faut se rappeler qu’il n’y avait pas un seul groupe d’hindous. Chaque groupe est arrivé avec ses croyances et pratiques religieuses, ce qui fait qu’ils vénéraient plusieurs divinités.

Ils érigeaient donc des kalimayes où les tamouls venaient également prier et où ils apportaient leurs divinités. On pouvait aussi retrouver des petites croix et des bougies, témoignage que les créoles aussi visitaient ces lieux de prière. Nous retiendrons que, dans chaque camp sucrier, il y avait un kalimaye. La vie religieuse s’organisait autour des kalimayes. Aujourd’hui, les valeurs et les rites qui se pratiquaient autour de ceux ci se perdent. Il y a, de nos jours, une occidentalisation des pratiques.

L’une des parties de l’ouvrage est consacrée au système des castes. Ce système est-il toujours aussi ancré dans la société contemporaine ?

Je précise d’abord que j’ai reçu certaines critiques pour avoir osé évoquer ce thème.

Je tiens à répondre que la recherche vous enseigne à dire la vérité même si celle-ci peut déranger. Cela dit, rappelons que le système de castes prend sa source lorsque les hindous commencent à se dire qu’il faut se marier entre personnes partageant les mêmes rites. Vous pouvez identifier la caste d’une personne en observant les rites qu’elle pratique. L’institutionnalisation du système a lieu dans les années 1950. Aujourd’hui, le «castéisme» s’est infiltré un peu partout dans la vie des hindous.

La politique également se l’est approprié et en profite.

Vous évoquez un «new deal» dans l’ouvrage. Qu’en est-il exactement ?

Pour comprendre le new deal, il faut remonter le temps. Auparavant, il y avait un phénomène de «brahmanisation » : les gens de petites castes, ayant honte de leur situation, imitaient le mode de vie de ceux des castes supérieures.

Ils ajoutaient un Singh, par exemple, dans le nom de leurs enfants. A l’inverse, on a le phénomène de «hanoomanisation». L’hindou dit ti-nation retrouve grâce à ce processus une fierté dans ce qu’il est. Ensuite, on a le Voluntary Retirement Scheme (VRS) qui accélère le processus.

Pourtant, cette affirmation identitaire des petites classes va buter sur une uniformisation des pratiques. En effet, des terrains que les hindous reçoivent, ils vont créer des morcellements où on va construire des kalimayes. Cependant, au lieu d’installer plusieurs divinités comme auparavant, on va y placer juste une ou deux divinités. C’est une forme de religion savante qui s’installe.

Il y a, aujourd’hui, 250 temples à Maurice et 50 kalimayes qui attendent de devenir des temples. Pour cela, ils doivent être reconnus par des fédérations. Dans ces kalimayes, on retrouve des divinités inférieures. Or, les temples qui reçoivent des subsides ne proposent que des divinités supérieures.

C’est ce qui explique que nous perdons une partie de notre culture immatérielle.

Nous sommes en train de tuer certains rituels qui témoignent de modes de vie précis.

Quel constat faites vous de l’évolution culturelle des hindous à Maurice ?

Avec tout ce qui est en train de disparaître, il faut se rappeler son histoire. Il nous faut préserver certaines choses. Si nous ne tenons pas compte de notre héritage, nous n’allons que copier ce qui se fait en Inde et ailleurs et oublier ce que nous sommes vraiment. Désormais, les jeunes mamans racontent des histoires du Petit Chaperon Rouge à leurs enfants alors qu’en d’autres temps, on s’inspirait de sa culture et de son vécu. Notre héritage intanwgible et immatériel est essentiel. Enfin aujourd’hui, on est en train de politiser la religion.

Politiser la religion, c’est-à-dire ?

On se rend dans un temple pour prier. On a besoin de calme et de paix pour cela et non pas d’une agitation autour d’un ministre qui se rend également dans ce temple. A Grand-Bassin, c’est comme si on faisait des prières dédiées à des politiciens.

Je ne vais pas à Grand- Bassin pour écouter des discours politiques mais pour prier. Je ne fais pas un pèlerinage pour aller serrer la main d’un ministre. On a aussi des présidents des fédérations qui viennent vous dire quel dieu prier ou encore qui se tapent l’estomac en disant que c’est leur Premier ministre. Maurice est en train de subir une politisation de tout, de son éducation, de sa culture, de ses religions…

 

Nazim ESOOF