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Pierre Dinan : «Nous n’avons pas besoin d’un nouveau “business model”»

10 août 2011, 13:38

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L’économiste répond aux questions de Pierrick Pédel concernant la situation économique actuelle à Maurice, le taux de croissance et les secteurs porteurs du pays. 


? Que pensez-vous de la situation économique à Maurice ?

Un passé honorable, un présent modeste et un futur incertain.

? Certains estiment que l’économie mauricienne est moins résiliente face à la crise qu’en 2008. Faites-vous le même constat ?

En 2008, l’économie a été résiliente car elle était en bonne santé. Les finances publiques avaient connu une réforme. Les fonds publics avaient été renforcés et ont permis de financer des politiques de relance de l’économie. On avait procédé à une harmonisation fiscale. A l’époque, la politique fiscale dans son ensemble a permis de faire face à la crise. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Avec une crise généralisée de l’endettement, Maurice doit faire face à une baisse des investissements alors que le taux de croissance régresse. Notre endettement augmente avec un profil de la dette qui se détériore par rapport à l’étranger. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi le gouvernement a choisi de privilégier l’endettement en devises. Quand aux fonds de réserve, ils ont été pratiquement vidés. C’est pourquoi notre économie risque d’être beaucoup moins résiliente qu’en 2008.

? L’objectif de 4,5 % ou de 4,6 % de croissance va-t-il pouvoir être atteint en 2011 ?

Non. Le secrétaire financier, Ali Mansoor, l’a d’ailleurs clairement indiqué. Pourquoi allons-nous devoir revoir la croissance à la baisse ? Il y a sans doute, et avant tout, l’incertitude sur la reprise économique mondiale. Le premier trimestre a été mauvais en matière d’investissements directs étrangers. La politique fiscale est désormais plus incertaine puisque l’on a vu apparaître de nouvelles taxes. Nous avons enregistré une baisse de nos exportations. En outre, la faiblesse des monnaies dites fortes comme le dollar ou l’euro, qui est sans doute voulue, implique une appréciation des monnaies dites faibles comme la roupie. C’est pour toutes ces raisons que nous allons avoir des taux de croissance moins importants que ceux qui ont été précédemment estimés.

? Les derniers chiffres montrent que l’inflation reste soutenue. A quoi faut-il s’attendre en matière de taux d’intérêt ?

Tout le monde sait que c’est par la remontée des taux d’intérêt que l’on combat l’inflation et surtout l’inflation sous-jacente, c’est-à-dire celle qui ne dépend pas des prix des produits importés. Mais la fixation des taux dépend également du niveau des taux dans les autres pays. Un différentiel de taux trop important provoque en général du «carry trade». Cette technique, qui implique d’emprunter dans une monnaie à faible taux pour investir dans une autre monnaie à taux plus élevé, peut provoquer des distorsions sur le niveau des taux de changes.

? La production sucrière a été révisée drastiquement à la baisse. Cela constitue-t-il un danger pour l’économie ?

Il s’agit certainement d’une mauvaise nouvelle pour les sucriers et d’un manque à gagner pour l’économie. Mais je ne parlerai pas de danger. Le sucre ne représente plus qu’environ 1 % du produit intérieur brut. Sans doute un peu plus, si l’on tient compte des effets indirects comme le transport ou l’effet revenu des coupeurs de cannes lors des bonnes campagnes. Le poids du sucre dans notre économie est beaucoup moins important qu’auparavant.

? Le tourisme vit l’une de ses pires basses saisons. On parle de la nécessité d’un nouveau «business model». Etes-vous d’accord ? Par quoi devrait passer ce nouveau modèle ?

Il me semble que nous n’avons pas besoin d’un nouveau «business model» mais d’une remise à neuf de l’actuel. Il faut maintenir une stratégie touristique basée sur le haut de gamme. Le secteur informel (NdlR : les bungalows), les petits hôtels et les restaurants doivent suivre cette mouvance pour atteindre le haut de gamme. Nous devons relever les critères et penser à présenter aux touristes un environnement de qualité à travers l’île. La spécificité du tourisme mauricien, c’est d’offrir un beau pays, de charmants sourires, de belles randonnées et un grand confort. Il faut s’assurer que le produit est excellent avant de se lancer dans la communication.
L’ouverture du ciel mauricien est également devenu une nécessité. Mais il s’agit d’un éternel conflit entre Air Mauritius et les hôteliers. Il serait nécessaire d’avoir un régulateur pour le prix des billets d’avions. La Competition Commission pourrait, par exemple, se pencher sur la question afin de déterminer s’il s’agit de justes prix. L’ouverture vers l’Asie constitue également un élément indispensable et, en la matière, il est intéressant de voir Air Mauritius s’envoler vers la Chine toutes les semaines. Mais d’autres destinations devraient être desservies.

Vis à vis de l’Inde, il est dommage que l’on offre des créneaux à Air India que cette compagnie ne peut pas assurer alors que d’autres firmes indiennes souhaitent se poser à Maurice. Il faut aussi que le produit touristique mauricien s’adapte aux coutumes des touristes indiens et chinois tout en maintenant un standard élevé de qualité. C’est dans ce sens que j’estime qu’il n’y a pas besoin de nouveau modèle mais bien d’une extension du modèle existant.

? Que pensez-vous de l’affolement actuel des marchés financiers ?

Les Etats-Unis ne nous ont pas rendu service. On peut s’interroger sur le rôle des agences de notation qui n’ont pas été capables de prévoir la crise des «subprimes» et qui, aujourd’hui, s’attaquent aux pays. L’affolement des marchés est une mauvaise chose car les marchés prennent désormais le dessus sur les Etats. Cette situation difficile est la conséquence de la crise de 2008. A l’époque, on a renfloué les Etats et soutenu l’activité économique avec l’utilisation massive des finances publiques. Mais on peut se demander ce qu’il se serait passé si on n’avait pas eu recours à cette solution. Reste qu’aujourd’hui, les Etats sont devenus prisonniers des prêteurs. Mais ces prêteurs n’ont également aucun intérêt à voir la valeur de leurs investissements s’effondrer. La situation est alarmante et pour Maurice, cela pose beaucoup de questions. Déjà, quand on voit que le centre de gravité de richesse mondiale est en train de se déplacer vers l’Est, il faudrait que Maurice suive le mouvement.

Propos recueillis par Pierrick Pédel