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Pierre Guillon : «Il y a de la méfiance entre le monde académique et professionnel»

1 novembre 2013, 08:59

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Pierre Guillon : «Il y a de la méfiance entre le monde académique et professionnel»

  Pierre Guillon, Directeur de l’université des Mascareignes

 

Le chômage chez les jeunes diplômés a été un des points majeurs abordés lors des assises de l’enseignement supérieur, cette semaine. Une promotion de l’université de Maurice met en moyenne deux ans avant de trouver un emploi. Les étudiants de l’université des Mascareignes trouvent un poste en un mois, selon le directeur français de cette institution, Pierre Guillon. Le secret ? Une approche dite «professionnalisante» de la formation.

 

Quelle analyse faites-vous de l’enseignement supérieur à Maurice ?

Je suis surpris par le fonctionnement correct du système universitaire mauricien qui est en passe de rentrer dans les standards les plus fouillés. Bien sûr, il y a encore des progrès à faire, mais le point de départ est quand même suffisamment haut pour avoir beaucoup d’espoir que le hub de la connaissance que veut développer le gouvernement soit un succès.

 

Que devrait-on améliorer dans ce secteur ?

Il faut se placer dans un context de globalisation. L’éducation ne se fait plus dans un pays isolé, mais dans une région. L’île Maurice, sur le plan culturel et géographique, a une position très importante, notamment pour accueillir beaucoup d’étudiants et de chercheurs de pays africains et asiatiques. Le système est à la fois francophone et anglophone. Il est susceptible d’attirer des personnalités de ces deux régions culturelles. C’est ce qu’on a voulu faire avec l’université des Mascareignes.

 

Un des problèmes abordés lors des assises est celui de la faible connectivité. Est-ce un obstacle majeur à l’expansion du secteur ?

C’est un problème à résoudre. Il faudra faire en sorte que le haut debit Internet puisse arriver à Maurice le plus rapidement possible. Ce qui existe doit être amélioré. Puis, bien sûr, la facilité d’accessibilité pour les étudiants et chercheurs par la voie aérienne doit être développée. Ça passe par une réduction des coûts des billets.

 

Est-ce que ces deux problèmes vous ont touché directement à l’université des Mascareignes ?

Le coût des billets, pas encore,parce qu’on est ouvert depuis un an.Les gens qui viennent sont plutôtde la proche périphérie ; Comores,Madagascar… Mais je penseque si on veut s’ouvrir à d’autrespays plus lointains, il faudra trouverune solution.Pour Internet, on est toujours unpeu sur le fil du rasoir. Ça n’est pasencore un problème, mais je crois quec’est à suivre avec attention pour queça n’en devienne pas un.

 

Qui dit knowledge hub, dit forcément étudiants étrangers. Qu’est-ce qu’y gagne l’étudiant mauricien exactement ?

À Maurice, il est très difficile de vivre une vie universitaire. Les jeunes quittent l’université après les cours et rentrent chez leurs parents. C’est un problème sociologique. L’étudiant est en lien étroit avec sa famille, mais il y a probablement une perte d’autonomie. On doit former aussi des hommes. Si on arrivait à créer des campus, c’est-à-dire des lieux de vie, ce serait un grand progrès. Il faudrait le faire pour attirer les étudiants étrangers, mais ce sera bénéfique aussi pour les étudiants mauriciens.

 

On explique le taux de chômage parmi les jeunes diplômés par le mismatch entre l’offre et la demande. Faudraitil repenser la formation offerte aux jeunes ?

Le problème, c’est que nombre d’enseignements ont été faits pour la culture et les sciences en général sans qu’on se préoccupe du domaine de l’emploi. C’est justement le contraire de ce que fait l’université des Mascareignes. On a décidé de s’orienter vers un enseignement professionnalisé. Dans nos cursus, qui sont établis en collaboration avec le monde de l’emploi, on a prévu des stages ouvriers obligatoires.

 

Une promotion de l’université de Maurice met en moyenne deux ans pour trouver un emploi. Qu’en est-il pour l’université des Mascareignes ?

L’université des Mascareignes est bâtie sur deux instituts : l’un à Pamplemousses qui donne des cours de management et l’autre à Rose-Hill pour des cours de sciences et techniques. Celui de Rose-Hill a déjà l’habitude de collaborer avec le monde de l’emploi. Il n’y a donc quasiment pas d’attente. Pour trouver un emploi, c’est un mois. Justement parce qu’il y a ce stage obligatoire en entreprise. À Pamplemousses, c’est un peu plus long, c’est trois mois. Mais Pamplemousses n’avait pas encore la culture du stage.

 

La formation professionnalisante est-elle valuable dans le domaine des sciences humaines ?

Les sciences humaines qui ne concernent pas l’économie ou le marketing, c’est difficile. Mais l’un des axes de l’université des Mascareignes, c’est l’interdisciplinarité. Cela crée l’imagination. Par exemple, pour créer un téléphone, il faut des compétences techniques. Mais pour savoir comment va être utilisé ce téléphone, cela relève de la sociologie, qui doit être incluse dès le départ dans le processus de création.

 

Devrait-on avoir une institution qui indiquerait aux étudiants dans quels domaines il y a le plus de postes à pourvoir ?

Il faut que Maurice développecette pratique. Il faut un lien étroitentre le monde académique et lemonde socioprofessionnel. Mais ily a de la méfiance des deux côtés, lemonde professionnel se demandenotamment ce que peut lui apporterle monde académique. Ces réticencesvont tomber au fur et à mesure quechacun va montrer qu’il peut bénéficier de l’autre.

 

N’y a-t-il pas une crainte légitime que l’indépendance du chercheur soit remise en question ?

Je n’y crois pas du tout ! Il y avait exactement le même débat en France il y a 25 ans. Le monde académique disait qu’il allait être vendu à l’industrie. Mais aujourd’hui, il ne reste plus que quelques îlots de résistance.

 

Comment concilier une expansion rapide du secteur et le gage de qualité ?

Il faut faire confiance aux pays avec lesquels on travaille. Si les enseignements ont été validés dans ces pays, je ne vois pas pourquoi ils ne seraient pas validés à Maurice.

 

À Maurice, il est évident qu’il faut une agence qui traite avec precision tous les programmes et toutes les accréditations de façon à ce que le niveau soit le meilleur possible.

 

Vous parlez de niveau, mais certaines institutions implantées à Maurice ont peu de prestige dans leur pays d’origine…

Il faut s’assurer que Maurice choisisse les universités avec lesquelles elle veut travailler. Privé ou public, le seul choix qui existe, c’est le choix de la compétence et de la qualité.

 

Avec les controverses, notamment les accusations de confl it d’intérêts contre le ministre, l’image de Maurice a-t-elle pris un coup au niveau international ?

Pas du tout. En France, l’image de Maurice est excellente. Il y a ceux qui sont installés depuis longtemps et les grandes écoles, comme Science Po, qui sont en train de s’installer. L’image de Maurice n’est pas du tout dégradée.