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Population : Comment gérer le vieillissement ?

25 avril 2010, 08:01

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« Sous les cheveux gris, il y a de la matière grise », dédramatise Vinaye Ancharaz. « Une solution serait de repousser l’âge légal de la retraite », propose Rajen Suntoo.

Moins féconde, vivant plus longtemps, la population mauricienne vieillit. Comment appréhender ce papy boom ?

Rajen Suntoo. En commençant par dire qu’il s’agit d’un progrès ! Démographie rime souvent avec pessimisme, mais l’allongement de la durée de vie des Mauriciens démontre que nous sommes sur la voie des pays développés, que nous avons amélioré nos services de santé. On a tendance à oublier qu’en 1963, le taux de fécondité dépassait 6 enfants par femmes ! Maurice, à l’époque, était au bord de l’implosion démographique.

Vinaye Ancharaz. Aujourd’hui émerge un nouvel objet d’inquiétude : l’humanité est vieillissante. Cette tendance était déjà visible dans les pays développés, elle se propage désormais dans certains pays en développement, qu’il s’agisse de petits pays comme Maurice ou de géants comme l’Inde ou la Chine. Ce qu’il est important de souligner, c’est que les pays en développement devront gérer un vieillissement beaucoup plus rapide que celui des pays développés. A Maurice, il ne faudra que 20 ans pour que la proportion de personnes âgées de plus de 65 ans passe de 7 % à 14 % (alors qu''''il a fallu un siècle pour que la France enregistre la même évolution, NdlR). Les conséquences sont d’ores et déjà connues : le nombre d’inactifs va fortement augmenter tandis que, parallèlement, la population active connaîtra une augmentation moins importante.

Le vieillissement impactera priorité le marché du travail ?

V.Ancharaz. Ce phénomène aura des incidences sur de très nombreux aspects de la vie en société : l’épargne, la consommation, la croissance économique, les retraites, la solidarité intergénérationnelle, les dépenses de santé, la fiscalité, la productivité, bref, des pans entiers de nos existences risquent d’être bouleversés. Les premiers effets du vieillissement sont déjà là, des métiers se retrouvent sous-tension, d’autres en pénurie de main d’œuvre. D’où la nécessité pour les pouvoirs publics et les entreprises d’agir dès maintenant. A l’avenir, certains secteurs risquent d’avoir encore plus de difficultés à recruter et seront obligés de recourir massivement à l’immigration pour renouveler les générations actives. Ce sera le cas du textile, de la canne ou du seafood. En fait, le problème sera plus aigu pour les métiers manuels et physiques. En revanche, le secteur des services est prometteur pour les papy-boomers.

R.Suntoo. La question de la prise en charge du grand âge me paraît cruciale : qui va s’occuper des personnes dépendantes ? Dans les familles traditionnelles élargies, les vieux avaient naturellement leur place. Le problème, c’est que ce modèle recule aux profits des familles recomposées ou monoparentales. Conséquence : le nombre des « aidants » potentiels diminue et l''entourage familial risque de s''épuiser en l''absence de services professionnels. La prise en charge du grand âge est donc un gros défi à moyen terme. Le vieillissement risque également d’impacter les pensions. Aujourd’hui, Maurice compte sept actifs pour un retraité. En 2030, le ratio passera à trois actifs pour un retraité. La pression exercée sur le régime de protection sociale sera alors énorme.

V.Ancharaz. Ces constatations doivent inviter à une réflexion de fond sur les conséquences du vieillissement, sur les tensions du marché du travail, sur la dépendance ou la fin de vie. Réflexion qui, soit dit en passant, est superbement ignorée par la campagne électorale.

R.Suntoo. Ça t’étonne, Vinaye ?

V.Ancharaz. Non ! Les retraités ne représentent pour l’instant que 7 % de la population, stratégiquement cette cible n’est pas intéressante pour les politiques. 

R.Suntoo. De toute façon, le gouvernement sortant est convaincu que le vote des vieux est dans la poche depuis l’instauration du transport gratuit...

V.Ancharaz. (Il coupe.) Mais alors que fait l’opposition ? N’a-t-elle rien à proposer pour rassurer les vieux et reconquérir leurs votes ? Bah, c’est un autre débat...

Vers 2025, pour la première fois dans l’histoire de Maurice, les plus de 60 ans seront plus nombreux que les moins de 15 ans. Face à cette déferlante qui menace les équilibres économiques, que peut faire un gouvernement ? 

R.Suntoo. Une solution serait de repousser l’âge légal de la retraite. Si l’on admet que nos dirigeants politiques (le Premier ministre, le leader de l’opposition, etc.) sont des gens âgés qui ont régulièrement à prendre des décisions importantes, pourquoi ne travaillerait-on pas jusqu’à 67 ou 68 ans dans la fonction publique ? Après tout, dans le privé, certains sont actifs jusqu’à 80 ans.

V.Ancharaz. Aussi longtemps que ça fonctionne là-dedans (il pointe son crâne avec l’index), toute retraite est prématurée. Néanmoins, je suis contre une nouvelle loi pour retarder l’âge de la retraite. Dans la plupart des pays développés, elle intervient, comme à Maurice, à 65 ans, inutile d’y toucher,  mais cela ne veut pas dire qu’il faut interdire aux gens de travailler au-delà. Je crois que nous aurons à nous adapter avec souplesse à l’allongement de la durée de la vie, sans légiférer à chaque fois. (Selon le célèbre démographe Shripad Tuljapurkar, de l’université de Stanford, il faudrait d’ores et déjà penser, dans les pays développés, à travailler jusqu’à 75, voire 80 ans, NdlR.)

Un pays qui vieillit, n’est-ce pas un pays qui mûrît ? Cette évolution présente-t-elle des opportunités de changements bénéfiques ?

R.Suntoo. Absolument ! Les seniors d''aujourd''hui, et plus encore ceux de demain, sont en en pleine forme. Ils sont prêts à s''investir dans la vie associative, dans la fonction publique ou en donnant un coup de main à leurs enfants. Leur expérience vaut de l’or.

V.Ancharaz. Sous les cheveux gris, il y a de la matière grise, certains pays l’ont bien compris. Maurice vieillit, c’est loin d’être une catastrophe. L’alternative, c’est mourir : vous préférerez quoi, vous ? Dans un pays où la moyenne d''âge augmente (33 ans actuellement, NdlR), l''expérience banne vie dimoune peut aider à stabiliser la société, comme une boussole, un repère.

 Qui se plaindrait que Maurice devienne un peu plus sage et expérimentée ?

R.Suntoo. On dit que Maurice n’a pas de ressources naturelles mais qu’elle a les Mauriciens. Il faudrait ajouter que l’on aura bientôt comme richesse collective des quantités d’hommes et de femmes retraités, en pleine santé, désireux de ne pas s’ennuyer, prêts à agir et à se rendre utiles.

V.Ancharaz. Le vieillissement n’est pas une calamité, l’économie va s’adapter comme elle l’a toujours fait. Maurice, qui compte 10 % de 60 ans et plus, verra ce taux passer à 25 % à l’horizon 2040 : les seniors sont l’avenir de Maurice, pas un fardeau.
R.Suntoo. A conditions que les entreprises et les pouvoirs publics agissent dès maintenant. Les futurs problèmes sont prévisibles, il est important d''anticiper les solutions à mettre en oeuvre sans attendre d''être dans l''urgence. Face au vieillissement, Maurice a déjà amorcé des réformes en repoussant l’âge de la retraite. Continuons dans cette voie et gardons un oeil sur les solutions qui marchent ailleurs.

V.Ancharaz. C’est le cas des maisons de retraite et des activités de prestations à domicile. Demain, ce secteur aura de quoi se frotter les mains, nous allons devenir de plus en plus européens.

R.Suntoo. De plus en plus individualistes. 

V.Ancharaz. Non, ce n’est pas une question d’individualisme ni d’égoïsme, l’explication est économique. Autrefois, il y a avait toujours quelqu’un à la maison pour s’occuper du grand-père, mais aujourd’hui tout le monde travail et c’est bien là le problème. Une dernière chose cependant, ne confondons pas vieillissement et vieillesse : le premier progresse, mais la seconde recule.