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Quand la morale dicte sa loi aux Réunionnais
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Quand la morale dicte sa loi aux Réunionnais
De l’annulation d’un concours de mini-miss à la polémique sur la venue d’Orelsan en passant par le retour à l’uniforme dans un collège de l’Est, la morale semble marquer son retour à la Réunion. Plusieurs observateurs de la société livrent leur point de vue sur ce phénomène.
Une question de morale ou de principe, c’est selon. Une chose est sûre, en octobre dernier, au Tampon, la présence d’une sorcière sur l’affiche de la fête de Kala collée en face de l’église du centre n’a pas franchement plu au curé de la paroisse.
Avec l’appui de deux élus, celui-ci est vivement monté au créneau en exigeant le retrait de la publicité. La mairie s’est aussitôt exécutée envoyant, le samedi matin, du personnel pour retirer l’affiche du sacrilège. Depuis quelques années, les exemples de ce type, réclamant le retrait ou l’annulation de certains événements, se multiplient à la Réunion. Il y a deux ans, la ville de Saint-Denis a fait sensation en demandant le retrait d’une publicité pour un opérateur satellite. L’image tentait de reprendre l’affiche célèbre d’un film d’Hitchcock avec un poignard au premier plan et une femme complètement paniquée en arrière-plan. La commune a obtenu gain de cause : l’affiche a immédiatement été modifiée.
Quelques mois plus tôt, les mêmes causes avaient produit les mêmes effets. La mairie avait dénoncé la publicité pour le salon du deux roues où une femme apparaissait en string. "Mes propres enfants m’ont interpellée lorsqu’ils ont vu cette publicité, affirme Monique Orphée, 1ère adjointe de Saint-Denis à l’origine d’une charte pour le respect de la femme. Si on ne leur explique pas ce genre d’images, ils peuvent être perturbés, s’interroger sur l’image de la femme et l’assimiler à un simple objet de consommation et de plaisir." Dans un département où les violences faites aux femmes sont très supérieures aux moyennes de la métropole*, l’utilisation abusive de l’image de la femme est régulièrement condamnée. Au point d’en arriver à demander l’annulation de la venue du rappeur Orelsan, coupable d’avoir diffusé, en 2009, une chanson intitulée "Sale pute". Tout ça, au nom de la morale ? "Non. La morale est une considération judéo-chrétienne. On peut d’ailleurs faire passer des choses extrêmement violentes en son nom. J’ai vécu à Mayotte et je sais qu’une fille ayant eu des rapports sexuels hors mariage s’est fait attacher puis brûler les mains par son propre père sans qu’il y ait de réactions négatives. Notre combat n’est pas non plus une question d’éthique. Il s’agit davantage de poser les bons repères dans notre société", affirme Leyla Atoui, vice-présidente de l’association Femmes 974 et montée au créneau récemment pour demander l’annulation du concert d’Orelsan au prochain Sakifo. "Ce n’est pas une question de morale, concède également Monique Orphée. Notre action vise simplement à interpeller les publicitaires pour montrer qu’on n’est pas obligé d’utiliser l’image de la femme pour vendre un produit".
Miss Mamie plutôt que Mini Miss
Passée plus inaperçue, l’annulation du casting Princess Réunion sous la pression de l’Union des femmes réunionnaises (UFR), fin mars, a une nouvelle fois démontré la puissance de certaines associations. "Il y a quelques années, peut-être qu’on baignait encore dans l’illusion de l’égalité homme-femme. Beaucoup de gens ont envie de briser le silence. Mais sur de nombreux sujets, on n’est pas libre de parler", regrette Leyla Atoui. "Les gens ne se mobilisent pas assez, nuance Monique Orphée. Alors effectivement, quelques associations sont très offensives et imposent leur vision. C’est une bonne chose".
Les violences faites aux femmes ne sont pas la seule raison d’une certaine exigence de valeurs morales. Publicitaires, humoristes, collectivités… De nombreux observateurs de la société se confrontent au quotidien à cette problématique. "On fait très attention à ne pas être partenaire de n’importe quel événement, confie Dominique Picardo, directeur de la communication à la mairie du Tampon. Avant, il y avait des concours de mini-miss. Aujourd’hui, c’est plutôt miss mamie. Il y a clairement un retour du politiquement correct et en tant que collectivité, on fait très attention à ne froisser personne. On constate une montée des droits et une baisse des devoirs".
Les humoristes jouent en permanence aux équilibristes. En métropole, certains comme Dieudonné et son sketch sur les juifs ou Patrick Timsit moquant les handicapés, ont même connu des démêlés judiciaires. À la Réunion, rien de tout cela. Du moins, pas encore. Mais un comique réputé comme Thierry Jardinot reconnaît faire attention à ce qu’il dit et éviter certains sujets. "C’est encore très délicat d’aborder et de mélanger les thèmes de la religion et des races. Il existe une espèce d’hypocrisie latente. On a peur que ça s’enflamme. On a rarement vu des humoristes réunionnais fustiger telle ou telle communauté. Les gens ne sont pas prêts à tout accepter. Si je fais un sketch sur la communauté mahoraise ou comorienne, ça créera immédiatement une polémique. Pourtant, un humoriste n’est pas là que pour se moquer. Mais aussi pour dénoncer".
La religion, sujet tabou
De l’avis de nombreux professionnels, la religion reste un sujet délicat. "La société réunionnaise est très pudique. Le thème de la religion est surveillé de très près. Très peu de publicités à la Réunion vont oser "taper" sur la religion alors qu’en métropole, c’est beaucoup plus fréquent. On est les premiers à s’auto-censurer et particulièrement sur tout ce qui touche à l’image de la femme", reconnaît Philippe Bonhomme, directeur associé de l’agence Globe Communication.
Le dessinateur du Journal de l’Île, Souch, a quelques fois été confronté à des réactions virulentes. Il y a deux ans, alors que plusieurs affaires de pédophilie au sein de l’église éclatent un peu partout dans le monde, y compris à la Réunion, il dessine un prêtre donnant ses recommandations à quelques jours du carême en disant à d’autres curés : "pas de sexe". L’accueil des lecteurs fut très mitigé. "Il y a eu beaucoup de réactions de personnes qui se disaient outrées, concède Souch. J’ai l’impression que les gens sont très vite choqués dès que l’on aborde la religion. Pourtant, je ne l’attaque jamais directement, uniquement l’utilisation qui en est faite ou ses dérives".
Heureusement, la Réunion a aussi appris à rire de sujets autrefois considérés comme sérieux. "Quand j’étais jeune, on ne pouvait pas parler du préfet ou du maire, ça ne se faisait pas. Aujourd’hui, le public est devenu plus tolérant. Antenne Réunion me laisse d’ailleurs carte blanche pour écrire mes sketchs. Quand j’ai commencé, ça ne se faisait pas de brocarder les politiques", affirme Thierry Jardinot. Il y a quelques semaines, celui-ci a pourtant reçu un courrier virulent d’une téléspectatrice lui reprochant un de ses sketchs simulant le point de vue d’un requin sur les attaques de surfeurs. Mais là, ce n’est plus une question de morale, simplement d’humour.
*Le taux brut de décès au sein du couple est de 5 décès pour un million d’habitants à La Réunion, contre 3 pour l’ensemble du territoire métropolitain (enquête Observatoire régional de santé sur les violences faites aux femmes, 2009)
(Source : Le Journal de l’île de La Réunion)
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