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Rada Tirvassen: «La langue créole peut être bénéfique à la scolarisation de l’enfant»

29 juin 2010, 10:49

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Quel a été votre postulat en réalisant cet ouvrage?

Les langues ont des fonctions cruciales dans un système éducatif. Elles aident à assurer la transition entre la famille et l’école. Les langues d’enseignement sont le support de la transmission de connaissances à l’école. Par ailleurs, c’est aussi le support de l’expression de l’enfant, notamment dans les activités d’évaluation.

Les langues, c’est également un des types de compétences essentiels à la vie socioprofessionnelle surtout dans les sociétés multilingues où les langues ont des statuts hiérarchisés. En un mot, la langue, c’est le support de la scolarisation.

On entre dans l’écrit – la lecture et l’écriture – dans une langue… et on se sert de cette aptitude pour accéder aux autres connaissances transmises par l’école. L’échec scolaire, c’est, en général, l’incapacité d’accéder à l’écrit. C’est un point de départ de tous ceux qui font de la recherche sur la question du langage à l’école.

Le second point important, ce sont les problèmes qu’entraînent les situations de plurilinguisme.

Dans ces situations, une langue ne peut, seule, assurer l’ensemble de ces fonctions.

L’école doit alors opérer un choix. Il lui faut identifier les langues qui peuvent permettre à l’école d’atteindre ses objectifs linguistiques.

Les choix ne sont jamais aisés car une seule langue ne dispose pas de tous les atouts pour remplir les fonctions importantes.

Enfin, il y a les fonctions de l’école dans la société : c’est une des institutions majeures qui produit le type de société dans laquelle vivront nos enfants puisque la formation du citoyen de demain, c’est la production d’une société. Et les langues sont, pardonnez-moi l’expression, constitutives du type de connaissances que l’on offre aux enfants, de la manière dont on forme les citoyens, donc du type de citoyen que l’on forme.

? Quelles ont été les articulations majeures de cet ouvrage ?

J’ai conduit une étude qui présente trios traits majeurs. Il est d’abord historique. J’examine l’histoire des rapports entre les langues et la colonisation/décolonisation, l’implantation de l’école et les réorganisations successives des systèmes éducatifs, l’évolution de la notion de langues nationales.

Deuxièmement, l’étude se poursuit sur la période contemporaine. C’est cela la partie la plus intéressante. Je regrette d’ailleurs de ne pas avoir eu la possibilité d’observer suffisamment les classes dans les îles voisines.

Mais surtout, troisième aspect : en dépit des difficultés que pose le recueil des données, j’ai travaillé sur l’ensemble des îles du sud-ouest de l’océan Indien. Il y a eu la rédaction mais ensuite on est entré dans le processus de fabrication du livre. Là, je dois avouer que j’ai eu la possibilité de travailler avec l’excellent Pr Michel Beniamino qui est un très bon relecteur et un brillant informaticien. Après, j’ai encore travaillé avec les Editions l’Harmattan à Paris… C’est un travail exigeant et prenant.

? Qu’est-ce qui ressort de la langue maternelle dans les îles voisines ?

Madagascar présente une situation différente puisque le système malgache fut caractérisé, lors de l’accession de l’île à la souveraineté nationale, par l’existence de deux enseignements parallèles dans le cycle primaire, l’un en malgache et l’autre en français alors que l’enseignement secondaire est, lui, exclusivement en français.

Dans les autres îles, les langues premières, surtout aux Seychelles et à Maurice, sont employées comme ce qu’on appelle des «langues support». Les deux pays qui prennent les décisions les plus significatives en matière de politique éducative sont Madagascar et les Seychelles.

J’ai eu l’occasion de le dire : à Maurice, on ignore souvent le fil des événements. Mais surtout, on ignore que ce n’est pas ce qu’on peut appeler les bases théoriques des réformes conduites dans ces deux îles qui est contestable mais la manière dont on a procédé avec la mise en oeuvre de ces réformes. Par ailleurs, à Madagascar, on passe d’un type de réforme à un autre… pour des raisons plus politiques que psycho-pédagogiques.

? Cet ouvrage est publié à un moment où il est beaucoup question de l’introduction du créole comme médium d’enseignement à Maurice. A la suite de votre travail, quel regard jetez-vous sur tout ce débat ?

La décision du gouvernement est prise : le créole sera enseigné comme une discipline optionnelle. Je dois d’abord souligner le coût d’opportunité d’une telle décision. Le créole, un des rares biens de la communauté mauricienne qui pouvait instrumentaliser l’unité nationale, à condition qu’elle s’appuie sur d’autres éléments, risque de se diluer dans la masse des réalités marquées par le sceau ethnique. Je suis peut être un idéaliste mais je continue à penser qu’il serait judicieux d’envisager l’enseignement de cette langue à l’ensemble des élèves mauriciens.

En attendant des réponses à ces questions, je considère que l’avancée majeure du projet du gouvernement réside dans la formalisation de l’utilisation du créole «to facilitate teaching and learning». Il faut toutefois prendre toutes les précautions nécessaires afin que l’on passe à une mise en oeuvre rigoureuse de cette décision.

La langue créole a un potentiel énorme et elle peut être bénéfique à la scolarisation de l’enfant.

Mais attention : il ne faut pas croire qu’une décision de politique linguistique, seule, résoudra le problème de l’échec scolaire. Comme on le dit dans le jargon de la sociologie, l’échec scolaire a des causes multifactorielles. Isoler un facteur n’est pas suffisant pour résoudre un problème aux causes complexes et multiples.