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Rama Sithanen, ministre des Finances : « Quand Pravind Jugnauth me cible, il insulte Navin Ramgoolam »
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Rama Sithanen, ministre des Finances : « Quand Pravind Jugnauth me cible, il insulte Navin Ramgoolam »
Rama Sithanen n’entend pas se laisser faire. A deux semaines de son budget, il fait un tour de l’actualité économique. Mais lance aussi quelques pics à Pravind Jugnauth qui voudrait bien le remplacer aux Finances.
Vous présentez un budget pour six mois le 22 mai. Est-ce un simple exercice comptable en attendant le vrai budget de novembre ?
Le contexte est très particulier. Pour la première fois dans l’histoire de Maurice, quatre budgets s’enchaîneront sur une période de 17 mois. Nous en avons eu un en juin dernier, le Stimulus Package (SP) de décembre, le budget du 22 mai puis celui de novembre prochain.
C’est un budget de transition avec une emphase particulière pour préserver l’emploi, protéger la population et sauvegarder le pouvoir d’achat. L’impératif, c’est de mitiger l’impact de la récession sur le pays, sauver et créer des emplois sans plomber le déficit de l’Etat.
Faudra-t-il choisir entre préserver et créer l’emploi?
Non. Il faut faire les deux. Préserver l’emploi là où on le peut car certains perdront leur job. Parce que le secteur dans lequel ils sont n’est pas compétitif ou viable sur le long terme.
Mais on doit leur permettre de se former pour un nouveau job. Ou leur en trouver un nouveau dans un autre secteur. Il faut aussi créer des emplois à travers le SP et en investissant dans l’infrastructure pour que le pays soit l’un des premiers à tirer avantage de la reprise économique.
Il s’agit donc de protéger les travailleurs sans maintenir artificiellement en vie certains secteurs d’activités…
Certaines entreprises ne peuvent être aidées à travers le SP. Leur problème n’étant pas conjoncturel mais plus profond. En temps de crise, le mot-clef est flexibilité. Si certains sont licenciés, la National Empowerment Foundation sera là pour les former et leur permettre de redémarrer dans un autre job.
Avec la crise, les revenus de l’Etat chutent. Le tourisme et le textile, notamment, rapportent moins. Comment allez-vous financer ce budget ?
C’est difficile. Ce budget et celui de novembre sont les deux budgets les plus difficiles que je serai appelé à présenter.
C’est un slogan…
Les chiffres le démontrent ! Mon grand regret, c’est qu’on est frappé de plein fouet par la récession pile au moment où nous commençons à profiter des fruits de la réforme économique. 80 % des revenus de l’Etat proviennent de la TVA, l’impôt sur les sociétés et les droits d’accise. Les trois baisseront l’an prochain. Sur les 20 % des revenus restants, nous avons suspendu ou éliminé certaines taxes pour ne pas pénaliser les secteurs en difficulté.
Parallèlement, les dividendes que nous recevrons de la Banque de Maurice ou des compagnies d’Etat baissent. Par ailleurs, les organismes parapublics qui remboursaient leurs dettes ont cessé de le faire. Quand ces quatre choses arrivent en même temps, on ne peut pas bluffer sur la situation. Il y a aussi les dépenses liées à l’Additional Stimulus Package. Sans dépenser plus que l’an dernier, le déficit budgétaire atteindra 8 % du Produit Intérieur Brut (PIB) l’an prochain.
Un niveau inacceptable…
Depuis 2006, nous avons fait passer le déficit de 8 % à 3,5 %. Mais comme il faut augmenter quelques dépenses, le déficit va croître. Si le déficit dépasse 5,5 % du PIB, mais qu’il finance l’investissement dans les infrastructures, la formation, la production, il est « sustainable » sur le long terme, car il améliore notre compétitivité globale. Mais si c’est pour financer les dépenses courantes, c’est très mauvais.
Quels projets d’investissements publics n’êtes-vous pas prêt à sacrifier ?
La dernière chose à faire, c’est de sacrifier notre budget de développement. Les investissements dans l’aéroport, le port, les routes, l’énergie, l’assainissement et les TIC seront maintenus.
Un déficit lourd paraît inévitable…
Il y a deux façons de réduire le déficit : augmenter les taxes ou réduire les dépenses de l’Etat. La solution réside dans une combinaison de contrôle des dépenses et la maîtrise de la fiscalité. Les possibilités sont identifiées. Il faut maintenant choisir. Toutefois, nous n’augmenterons pas la TVA pour financer le déficit.
L’augmentation écartée, excluez-vous également un élargissement de l’assiette de la TVA ?
Non. Je serai responsable. Pour l’assiette, il faut voir. Cela dépend de l’évolution du déficit.
Le Fonds monétaire international (FMI) va-t-il être appelé à la rescousse ?
La flexible credit linedu FMI n’est donnée qu’aux pays performants. Si la crise continue et si les fondamentaux (dette et déficit) se détériorent, nous ne serons plus éligibles. Dans ce cas, il faudra avoir recours au Stand-by
Agreement dont les conditions sont bien plus rigides. C’est un exercice d’équilibriste. Une partie du financement sera classique, une autre proviendra du secteur bancaire et financier. Et une partie de l’étranger.
Le SP est le dispositif central de votre stratégie de résilience économique. Or, le secteur privé lui reproche sa lenteur. Cette structure n’est-elle pas trop bureaucratique ?
Non. A l’exception du comité sur l’infrastructure publique, les dix autres comités du SP sont coprésidés par le secteur privé qui est en train de faire de la politique. Que veulent les représentants du secteur privé ? Que leurs membres reçoivent de l’argent gratuitement ? Sans qu’on examine chaque cas ! Ils ne sont pas sérieux car ils ne veulent pas passer par les banques en croyant qu’il suffit de passer par le robinet du gouvernement pour recevoir une aide financière.
Mais la structure est perfectible…
Oui, on peut accélérer l’examen des dossiers mais aussi élargir le champ d’action du SP. D’ailleurs, je voudrais faire cesser la mauvaise foi sur un sujet. Jamais le gouvernement n’a interdit aux bénéficiaires du SP de licencier. Nous avons seulement précisé que les licenciements ne doivent intervenir qu’en dernier ressort. Si on bénéficie de l’argent public, on doit s’attendre à devoir rendre des comptes avant de licencier.
Le SP sert d’abord à financer des infrastructures et dans une certaine mesure, à aider les entreprises. Mais la population ne voit pas beaucoup la couleur de cet argent. Comment rectifier cela ?
La meilleure façon de préserver le pouvoir d’achat, c’est de préserver les jobs. C’est l’objectif numéro 1 du SP. Si on perd son job, on n’a plus de pouvoir d’achat ! La Chine et l’Inde ont respectivement perdu 26 millions et 10 millions d’emplois.
Par ailleurs, nous avons gardé les subventions sur le riz et la farine, ce qui a permis de faire baisser les prix. Le SP permet un excellent équilibre entre l’économie et le social en préservant la stabilité sociale.
On discute actuellement de la compensation salariale. Les salariés vont devoir consentir à des sacrifices. Symboliquement, le gouvernement pourrait-il montrer sa solidarité en réduisant le salaire des ministres ?
Attendons voir. Il y a des mesures avec un poids économique fort. Ou un poids symbolique très fort.
Après le 1er Mai, Navin Ramgoolam semble en position de force. Si vous êtes réélu et que ce gouvernement revient au pouvoir, allez-vous devoir céder votre place à Pravind Jugnauth ?
Nommer les ministres est la prérogative du Premier ministre (PM). Navin Ramgoolam m’a assuré que s’il revient au pouvoir, je resterai le ministre des Finances. Il n’est pas dans l’intérêt de Maurice, du Parti travailliste, et du PM, que Pravind Jugnauth soit ministre des Finances à ma place.
L’objectivité prime-t-elle donc en politique ?
Cela se justifie objectivement, subjectivement et politiquement. Objectivement, Ramgoolam a un sens de responsabilité trop fort pour remplacer quelqu’un qui a démontré sa capacité à gérer une situation économique difficile par une personne qui n’a aucune compétence et connaissance en économie et finance.
Attention à ce que vous dites. Pravind Jugnauth pourrait s’allier au Parti travailliste bientôt...
On ne parachute pas au ministère des Finances quelqu’un qui ne sait pas calculer la dette publique et qui ne connaît pas l’impact de la fiscalité sur la croissance. Subjectivement, il y a une complémentarité entre le Premier ministre et moi. Quand Pravind Jugnauth m’insulte, c’est le Premier ministre qu’il insulte.
Navin Ramgoolam est le plus présidentiel des Premiers ministres que le pays a connu. Toutes les décisions que j’ai prises en matière économique, je les ai prises avec lui. Il n’y a aucune décision économique importante qui n’est prise sans qu’il soit au courant. On le sait. Tout comme on sait qu’il ne fait pas confiance et qu’il est très suspicieux. Il veut tout savoir.
Vous êtes en train de dire qu’il vous fait confiance ?
Nous avons travaillé ensemble pendant plus de huit ans. Nous avons produit des résultats dans l’opposition comme au gouvernement. Nous sommes complémentaires. Et subjectivement, je n’ai pas l’ambition de prendre la place de Ramgoolam ! L’autre, j’entends qu’il veut tantôt remplacer Rashid Beebeejaun, tantôt Xaviel Duval ou moi. Il faut être inconscient pour placer un adversaire potentiel dans un ministère clé qu’il utilisera pour son avancement personnel.
L’opposition abrite deux partis qui voudraient s’allier à Ramgoolam. Chacun a son « shadow finance minister ». Vous ne vous sentez pas de trop ?
Certainement pas parce que je suis le ministre des Finances. Le PM l’a dit : on ne change pas une équipe qui produit des résultats. Surtout dans un contexte difficile.
Pourtant, certains ont pu déceler un léger froid dans votre relation avec le PM…
Depuis deux semaines, je vois le PM une à deux heures par jour pour discuter du budget. Mais certains veulent semer la zizanie. Le MSM veut donner l’impression que c’est moi seul qui prends les décisions économiques et ainsi créer une tension entre le PM et moi. Cela ne marchera pas. Navin Ramgoolam a dit au Parlement que c’est lui qui est le maître à bord du navire.
On vous a vu aller à la rencontre des ménagères dans un supermarché. Essayez-vous de vous reconnecter à une réalité dont on dit que vous êtes coupé ?
Je connais la réalité car je viens d’une famille pauvre et j’ai toujours de la famille qui n’est pas riche. Je ne suis pas né avec une cuillère en argent dans la bouche. Je ne comprends pas certaines personnes qui défendent leurs intérêts personnels en se cachant derrière les pauvres.
Mais vous n’êtes plus pauvre !
Heureusement. Tout ce que j’ai eu, c’est grâce à mes compétences et mon dur labeur. C’est pour ça que je dédaigne ceux qui sont contre la National Residential Property Tax ou les taxes sur les intérêts bancaires pour des raisons personnelles. Et qui insistent pour qu’on augmente la TVA à la place. Ceux qui se réclament de gauche sont parfois les pires réactionnaires.
Vous en oubliez presque le MMM. Ou êtes-vous juste en train d’indiquer vos préférences pour une alliance avec les mauves ?
Certainement pas.Je réponds à vos questions. Je suis un des plus virulents critiques de Bérenger. Je lui ai lancé un défi pour qu’il présente une alternative sur l’économie, le social et l’environnement. Il ne l’a pas fait. Je lui propose un débat sur l’économie et il se sauve.
Vous n’avez donc pas de préférence ?
C’est le PM qui choisira.
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