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Roland Ratsiraka: « La non implication de Maurice est presque un manque de vigilance »

22 octobre 2009, 07:50

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Le vice-président de la Haute Autorité de Transition à Madagascar fait un plaidoyer auprès des investisseurs mauriciens.

Roland Ratsiraka, neveu de l’ancien président Didier Ratsiraka, est l’actuel vice-président de la transition à Madagascar. L’ancien maire de Tamatave est un farouche opposant du président déchu en mars dernier, Marc Ravalomanana. Cette animosité a été à la base du rapprochement entre Andry Rajoelina, président de la Haute Autorité de la Transition (HAT), et lui.

Venu à Maurice pour rassurer les investisseurs mauriciens, il regrette la timidité de la diplomatie mauricienne et croit dans le potentiel des relations économiques mauriciano-malgaches.

Surtout, Roland Ratsiraka a en ligne de mire les élections malgaches de 2010, soit l’après-transition.

Vous êtes venu exhorter les hommes d’affaires mauriciens à ne pas se détourner de Madagascar. Pensez-vous que votre appel sera entendu ?

Un appel reste un appel. Je crois que les hommes d’affaires mauriciens aimeraient savoir quelle projection les hommes politiques malgaches ont de l’avenir afin qu’ils puissent eux-aussi  se projeter dans leur futur à Madagascar, avec sérénité. Toute information, dans ce contexte est bonne à prendre. Ce sera à eux de voir ce qu’ils peuvent en faire. Mais quelque soit la tendance, les dirigeants à Madagascar continuent d’essayer de faire confiance à tout le monde et de faire en sorte que la stabilité et la paix soit garantie. J’avoue que c’est la théorie. Dans la pratique, on voit bien qu’il y a eu des soucis engendrés par des gouvernants qui n’ont pas été à la hauteur ou qui sont coupables de dérives. Et cela a pu refroidir des partenaires économiques déjà implantés ou qui avaient l’intention de le faire.

Les investisseurs mauriciens se seraient donc montrés plus frileux depuis le début de la crise politique ?

Pour moi, Madagascar sera toujours un pays d’avenir pour des investisseurs mauriciens. La crise n’a pas eu les conséquences qu’on veut faire croire. Par exemple, un projet d’exploitation minière dans ma région (celle de Tamatave, sur la côte orientale de l’île, ndlr) figure parmi les plus gros projets de ce type au monde en terme de volume financier. Ce projet, pour une exploitation des gisements sur 30 ans, est opéré par le Sherrit International Corporation du Canada. Ce projet d’envergure, qui mêle différentes sources de financement, n’a pas cessé malgré la crise qu’a traversé le pays, la phase d’investissement s’arrête en 2010. C’est peut-être plus la crise financière qui a eu un impact.

Est-ce à dire que la crise est plus tananarivienne que malgache dans ce cas, si bien que les affaires en cours dans d’autres provinces ont été peu freinées ?

Ca n’a pas d’incidence directe en effet sur les investissements sur l’ensemble du pays, exception faite du tourisme. Les services touristiques, avec l’annulation de séjours, de vols, ont par contre souffert de cela. A Tananarive-ville, sur l’avenue de l’Indépendance, il y a eu des problèmes liés aux manifestations mais sinon les usines en question restaient en activité.

La zone franche, où les intérêts mauriciens sont nombreux, n’a donc pas été touchée ?

Non, elle continuait de tourner. Tout au plus, il y a eu quelques journées de cessation d’activité mais qui n’ont pas été handicapantes. Il n’y a pas eu de problèmes graves ou de chômage technique lié directement aux évènements.

L’accord politique de Maputo, sous l’égide de la médiation internationale dirigée par Joachim Chissano, ancien président mozambicain, n’a pas encore été entériné. Quand est-ce que ce sera le cas ?

Je viens d’avoir la date de la prochaine réunion que nous attendions. Du 3 au 5 novembre nous nous réunirons, cette fois, à Addis-Abeba, au siège de l’Union Africaine. Là, nous devrions avancer dans le sens de l’accord politique. Encore faut-il que tout le monde s’entende...

Quelles sont les points de blocage ?

Nous bloquons sur le partage des postes gouvernementaux et autres, et les nominations qui y sont attachées.

L’article premier de l’accord politique de Maputo stipule que la transition doit être « neutre, inclusive et consensuelle». Ce n’est donc pas le cas ?

D’après moi c’est facile d’avoir cette neutralité indiquée dans l’accord. Mais le plus important reste la mission de la transition et qu’on aboutisse à des élections fiables et transparentes. Plus qu’autre, c’est cela l’objectif.

Vous disiez récemment que les élections devraient se tenir entre avril et novembre 2010. Vous présenterez-vous d’autant que vous avez été candidat malheureux en 2006?

(sourire) Je reviendrai à Maurice au moment voulu pour vous donner la réponse.

Ces élections ne risquent-elles pas de raviver les tensions entre les quatre mouvances (mouvances des anciens présidents, Albert Zaky, Didier Ratsiraka, Marc Ravalomanana et de l’actuel président de la HAT, Andry Rajoelina, ndlr) ?

De toute façon, il nous faudra bien aller vers les élections. Je crois que la culture politique change à Madagascar. Il faut qu’on arrête avec nos réactions extrémistes qui ont fait tant de mal. Il faut que les gens apprennent la modération et la retenue, surtout en politique. Si la communauté internationale appuie financièrement et techniquement la tenue des élections et si les conditions politiques et sociales sont réunies, on peut s’attendre à des résultats fiables à 80%-90%.

Votre opposition au président déchu Marc Ravalomanana, en exil en Afrique du Sud, a-t-elle été un élément clé de votre rapprochement avec Andry Rajoelina, le chef de file de la contestation de janvier et actuel homme fort de la transition?

Oui, forcément. Cela dit, il a juste lutté à Tananarive et non à Tamatave, Diego, Tuléar etc. C’est notre présence qui a conféré à la contestation une envergure nationale.

Sinon ce serait resté un mouvement de rue strictement tananarivien…

En effet.

Peut-on s’attendre à une alliance entre vos deux mouvances au moment des élections ou après ? Cette idée a-t-elle été évoquée ?

On va attendre car tout n’est pas encore bien clair. Quoiqu’il en soit, ce n’est pas la priorité.

Vous parlez d’un soulèvement de rue, lié aux dérives du pouvoir Ravalomanana. De la même manière, n’y a-t-il pas le risque d’un soulèvement de rue pro-Ravalomanana cette fois, surtout si Andry Rajoelina reste au pouvoir ?
 
Il y a toujours des risques. C’est pourquoi il faut faire attention à ne pas répéter les erreurs de l’ancien régime. Je n’hésite pas dans ce sens à faire entendre ma voix lorsque je note une dérive, un manquement. Je suis là pour corriger les dirigeants, assurer la bonne gouvernance. Le problème de ce pays, c’est qu’il y a encore la possibilité que les dirigeants soient de mauvaise moralité, manquent d’éthique. Pour éliminer ces risques, il faut que les gens de bonne volonté prennent leur responsabilité, et qu’on oublie l’appât du gain facile par le pouvoir au détriment de l’intérêt général.

Vous êtes très critique vis-à-vis de Ravalomanana pourtant il jouissait d’une certaine confiance de la part des bailleurs internationaux…

Quand Ravalomanana a été installé au pouvoir, en 2002, on sortait d’une crise de six mois (opposant le président sortant, Didier Ratsiraka, oncle de Roland Ratsiraka, et Marc Ravalomanana, ancien maire de Tananarive, ndlr) qui a paralysé le pays. Du coup, les bailleurs de fonds ne voulaient pas pénaliser davantage le pays. En plus, il donnait de lui une image trompeuse, il se voulait homme d’affaires et démocrate alors qu’il y avait un véritable conflit d’intérêt. C’est ainsi que les bailleurs internationaux se sont rendus compte de l’opacité qui entourait Ravalomanana mais cela n’a pas changé le mutisme de ces institutions. Ce mutisme sur plusieurs affaires nous a beaucoup inquiété. L’Union Européenne a néanmoins tiré à deux ou trois reprises la sonnette d’alarme. Au mois de décembre par exemple, l’UE n’a pas accordé une ligne de crédits de plusieurs millions d’euros alors qu’on a obtenu cette enveloppe pendant la période de transition. C’est important de le noter.

Cette fois, contrairement à la crise de 2002, il n’y a pas eu de crispations entre Merina et côtiers pouvant mener, sinon à une balkanisation de l’île, au moins à l’enclavement du plateau central où se trouve la capitale. Doit-on craindre le réveil d’un éclatement de l’espace malgache ravivant l’opposition entre Merina, acquis à la cause soit de Rajoelina ou de Ravalomana, et les côtiers davantage de votre mouvance ou de celle d’Albert Zafy ?

Tout est à craindre tant que la culture de l’impunité aura cours. Pour ma part, il est inacceptable que des pays européens, les Etats-Unis ou encore les membres de la SADC, ne trouvent rien d’anormal à ce que Marc Ravalomanana soit à la tête de sa mouvance aujourd’hui. C’est de l’irrespect envers la population malgache compte tenu de ses agissements pendant cinq ans. Dans n’importe quel pays, on trouverait scandaleux qu’un président de la république monopolise tout le marché du sucre, de l’huile importée, des produits laitiers etc. Ce président aurait été vite débarqué de ses fonctions. Ce type de président aurait été jugé. Pourtant, c’est ce qu’il s’est passé avec Ravalomanana.

Malgré tout, on ne peut pas faire sans Ravalomanana…

Le problème c’est, qu’au nom de la paix et de la concorde nationale, on le remet en selle. Peut-être est-ce nécessaire pour les tous prochains mois, mais cela n’est pas acceptable si on ne s’intéresse pas aux prochaines années, si on l’inscrit dans le temps long car il ne peut pas être replacé dans le paysage politique malgache dans les années à venir.

Reste que l’article 17 de l’accord politique de Maputo sur le statut des anciens présidents, en plus de les nommer sénateurs à vie, garantie leur sécurité. La sécurité de Marc Ravalomanana, qui a été condamné à quatre ans de prison par contumace et qui craint les représailles, est-elle assurée ?

Marc Ravalomanana n’a pas le droit de rentrer à Madagascar pour le moment. Il faut que la médiation internationale sous la présidence de Joachim Chissano donne son accord à son retour. C’est encore un problème non résolu, qui devra être débattu entre les dirigeants des différentes mouvances lors de la prochaine rencontre à Addis-Abeba.

La Constitution malgache proscrit la candidature à la présidence de toute personne âgée de moins de 40 ans. Andry Rajoelina a 35 ans. L’accord politique prévoit une nouvelle république et donc une nouvelle Constitution. La clause sur l’âge minimal requis sera-t-il revu, permettant ainsi à Rajoelina de briguer, légalement, la présidence ?

Il faut être en accord avec ce qui est légal sinon à quoi bon dénoncer Ravalomanana. Donc effectivement, l’une des options est qu’on revoit la Constitution et auquel cas il faudra revoir cet âge si c’est le souhait d’une mouvance. Par contre, je vois mal le congrès se prononcer sur la question car ce n’est pas un congrès d’élus, ils ne sont pas représentatifs de l’électorat actuel. Au fond, ce n’est pas véritablement un souci tant que la démarche est légale et non contestée.

Néanmoins, Andry Rajoelina étant à la tête de la transition, le précédent est déjà créé…

En effet, on a créé un précédent. Malheureusement. Mais on n’a que ce qu’on mérite, le premier (Ravalomanana, ndlr) a fait n’importe quoi avant. On va vers des élections, il va falloir se battre pour que ce précédent ne créé pas plus de problèmes. 

Etes-vous confiant dans la bonne tenue des élections?

Si nous avons le soutien de la communauté internationale, je crois que oui, les élections se dérouleront dans de bonnes conditions.

Regrettez-vous la timidité de la diplomatie mauricienne dans le cas malgache?

Oui, je trouve que le gouvernement mauricien se détache un peu du cas de la Grande Ile alors qu’il aurait pu jouer un rôle de premier ordre dans la résolution de cette crise. La non implication de Maurice est presque un manque de vigilance car il y  a des Mauriciens qui y investissent et y vivent. N’oublions pas que Madagascar c’est une île de 20 millions d’habitants, de plus de 570,000 km² alors qu’à Maurice il n’y a qu’1 million d’habitants bien que l’île soit en avance sur le développement économique. De fait, le potentiel malgache ne peut qu’intéresser Maurice. Des délocalisations et des investissements se font déjà et continueront de plus belle. Ce n’est pas vers l’Inde que les Mauriciens iront investir mais dans leur périmètre premier, c’est-à-dire Madagascar. Je ne comprends donc pas bien ce désintérêt du gouvernement. 

Que doit-on vous souhaiter pour 2010…

Que le pays aille bien, c’est la priorité…

Et la présidence ?

Je vous dirai ça incessamment. Comme je vous l’ai dit, je reviendrai ici et je ferai les choses clairement.

 

Gilles RIBOUET