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Romain Mesnil : « Je suis accro au saut à la perche »

8 novembre 2009, 00:00

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Romain Mesnil : « Je suis accro au saut à la perche »

Le perchiste français n’est jamais où on l’attend. Abandonné par son équipementier, il court nu dans les rues de Paris et se vend aux enchères sur Internet. Eclipsé une partie de l’été par Renaud Lavillenie, star montante de la discipline, il s’offre une médaille d’argent aux Mondiaux de Berlin. Rencontre avec un homme plein d’imprévu et de convictions.

Vous étiez deuxième aux championnats d’Europe en 2006, puis aux Mondiaux en 2007. Et encore deuxième, le mois dernier, aux championnats du monde à Berlin. Vous avez un problème avec la première place ?

 Au contraire, je suis en attente d’un grand titre. En 2006 et 2007, la médaille m’argent m’avait fait très plaisir. J’étais sur la boite. Je prenais cela comme un aboutissement de carrière. Mais à Berlin, le mois dernier, je voulais gagner. La deuxième place m’a laissé un sentiment de frustration, une pointe de déception. J’ai été premier en 1999, aux championnats d’Europe espoirs. Je sais que, sur la première marche, on ressent l’impression d’être allé au bout, sans nourrir le moindre regret. C’est ce que je vais m’employer à retrouver.

Mais le temps ne joue pas pour vous. A 32 ans, vous avez cinq ans de plus que le champion du monde, l’Australien Steve Hooker, et neuf de plus que Renaud Lavillenie, médaillé de bronze à Berlin…

Je crois même que j’étais le plus vieux de la finale. Mais je n’en fais pas toute une affaire. J’ai commencé à gagner des médailles à presque 30 ans. A 28 ans, je sortais d’une longue période de blessures et j’étais prêt à arrêter ma carrière. Mais je suis accro au saut à la perche. J’ai encore envie de savoir jusqu’où je peux aller, avec mes qualités physiques et mentales. Je n’ai toujours pas fait le tour de la question.

Plus jeune, vous vous imaginiez faire profession de sauteur à la perche passé la trentaine ?

Sûrement pas. Je n’avais même jamais pensé que j’en ferais un jour un métier. J’ai commencé le sport par la gymnastique, une discipline où le professionnalisme n’existe pas. Et j’ai toujours fait passer mes études avant le sport. Quand je suis entré en école d’ingénieurs, je sautais seulement 5,15 m. Le haut niveau m’est tombé dessus presque sans que je le veuille.

Aujourd’hui, le saut à la perche est devenu votre métier ?

J’en suis un professionnel. Mais je n’ai jamais eu l’impression d’aller au boulot en me rendant à l’entraînement. Et encore moins en disputant une compétition. En revanche, tous les à-côtés de la vie de sportif de haut niveau, le sponsoring, les relations avec la presse, l’image, constituent un vrai métier. Et beaucoup plus complexe que je l’imaginais.

Vous vous en sortez comment ?

J’essaye d’innover. En fin d’année passée, par exemple, quand mon contrat n’a pas été renouvelé par mon équipementier, je me suis trouvé dans la peau d’un chef d’entreprise qui aurait perdu un gros client, l’équivalent d’un tiers de ses revenus. Je me suis mis à la recherche de nouveaux clients, en imaginant une démarche commerciale. Pour y arriver, j’avais besoin d’une performance. Et d’un projet innovant. C’est là que j’ai eu l’idée de me vendre aux enchères, et de tourner une pub pour le faire savoir.

Vous avez donc couru nu, avec votre perche, dans les rues de Paris. On vous imaginait mal réaliser une chose pareille…

Moi non plus. J’ai toujours été plutôt timide. Plus jeune, j’étais même très pudique. Mais je me suis mis dans la peau d’un acteur. Pour relever ce défi, j’ai dû dégoupiller une partie de moi-même. Je me suis dit que c’était un délire, qu’il fallait le faire à fond. Mais le plus difficile, finalement, n’a pas été de courir nu avec ma perche dans les rues de Paris, mais de poster la vidéo sur internet sans donner la moindre explication. Là, j’ai eu peur du regard des autres.

Votre médaille d’argent aux derniers championnats du monde a fait revenir les sponsors ?

Pour l’instant, non, je n’ai rien de contrat. J’ai des contacts, quelques rendez-vous, mais pas encore de contrats. Je saute avec mes anciennes chaussures. A Berlin, j’étais même peut-être le seul médaillé, parmi les athlètes des grandes nations, à ne pas avoir un contrat avec un équipementier.

Comment avez-vous vécu l’arrivée au sommet de Renaud Lavillenie, votre jeune rival français, perché cette saison à 6,01 m ?

Mal. J’ai été sous le choc, une première fois, en le voyant franchir 5,96 m, car il était alors plus haut que moi. Et j’ai reçu un autre coup de bambou à 6,01 m. Devenir le numéro 2 français m’a vraiment giflé dans mon orgueil. Jusque-là, j’étais le chef du bac à sable, et tout d’un coup j’en étais chassé par un autre. Je me demandais comment j’allais réagir, si j’allais être boosté ou cassé. J’ai appris sur moi-même, avec cette épreuve. Et je crois avoir su répondre, en devenant champion de France puis en terminant deuxième aux Mondiaux.

Vous passez pour un athlète engagé, voire militant. On vous a beaucoup entendu, par exemple, au moment du débat sur le Tibet, l’an dernier, avant les Jeux de Pékin. La politique vous démange ?

Pas du tout. Mais j’ai du mal à me satisfaire intellectuellement de faire seulement du saut à la perche. Les études m’ont longtemps occupé. Mais avec l’âge, j’ai ressenti l’envie de m’impliquer. L’an passé, mon engagement dans le débat sur les droits de l’homme, au moment de la crise du Tibet, est parti d’un coup de téléphone de RTL, un matin, alors que je conduisais mon fils à l’école. Le journaliste m’a demandé quelle était ma position d’athlète sur cette question. J’ai eu envie de réagir. Puis j’ai décidé d’insister, d’agir en proposant l’idée que les sportifs portent un bracelet pendant les Jeux, car j’ai toujours voulu savoir quelle place le sport pouvait tenir dans la société.

Vous êtes finalement allé à Pékin, pour les Jeux. Vous en avez ramené quelle impression ?

L’impression d’avoir vu une belle vitrine. Mais je ne suis pas dupe. Je regrette seulement qu’il n’y ait pas eu un véritable bilan médiatique après les Jeux, à la hauteur de tout ce qui a pu être dit et écrit avant l’évènement.

Aujourd’hui, vous regrettez votre engagement personnel dans ce débat ?

Non. Je crois avoir contribué, à ma petite échelle, à ce que les athlètes ne soient pas perçus comme de simples exécutants des Jeux.

Propos recueillis par Alain Mercier pour www.lexpress.mu

Alain MERCIER