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Roshni Mooneeram, Group PR Manager chez Lux Resorts : « L’hégémonie hindoue est un nouveau colonialisme »

1 août 2013, 12:19

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 Roshni Mooneeram, Group PR Manager chez Lux Resorts : « L’hégémonie hindoue  est un nouveau colonialisme »

Il n’y a pas un an, cette universitaire globe-trotter enseignait la littérature anglaise en Chine. Aujourd’hui, elle entame une nouvelle vie dans l’hôtellerie. Entre les deux, elle a démissionné du ministère des Affaires étrangères. Trois bonnes raisons pour ouvrir la discussion...

 

Etes-vous aussi odieuse que votre CV le prétend ?

(Elle tique)J’espère que non ! Qu’a-t-il d’odieux, mon CV ?

 

La sociolinguistique, c’est aimable peut-être ?

Evidemment que ça l’est (sourire), c’est même passionnant ! La sociolinguistique a occupé une moitié de ma carrière universitaire, j’ai consacré l’autre à la littérature post-coloniale anglaise et mauricienne. Des domaines tout aussi aimables et passionnants !

 

Après vingt ans de recherche et d’enseignement en Europe et en Asie, vous voilà « madame relations publiques » du groupe hôtelier Lux Resorts...

Voilà, c’est tout frais, depuis le 1er juillet.

 

Pas banal comme plan de carrière... 

Le plan était différent. Je n’avais pas prévu de revenir un jour à Maurice.

 

Qu’est-ce qui vous pousse à partir en Angleterre, seule, à 19 ans ?

(Tranchante)La colère. Adolescente, je me suis fâchée avec mon pays. Je le trouvais étroit, manque d’espace, manque d’esprit. La littérature a été une porte de sortie. A 15 ans, j’ai découvert Achebe, Tolstoï, Tagore, la Bhagavad Gita.Ces écrits m’ont donné faim d’aventures. Plus je lisais, plus j’étais en quête d’un monde plus grand, d’idées plus larges. Un beau matin, j’ai fait ma valise, direction Leeds, dans le Yorkshire.

 

Pour le foot ou pour la bière en fût ?

Pour la littérature anglaise. C’est le point de départ de mes études. Finalement, je me suis spécialisée en littérature africaine post-coloniale et j’ai consacré ma thèse à la littérature créole.

 

Vingt ans plus tard, êtes-vous réconciliée avec votre pays ?

Pas encore. Je suis rentrée pour ça.

 

Vous évoquiez tout à l’heure une colère qui a mis du vent dans vos voiles. Contre qui ?

Contre les œillères et la complaisance des miens. Le parcours de ma famille a été fabuleux. Mon arrière grand-père était un laboureur analphabète, il est devenu sirdar. Il a appris à lire, à écrire et à compter, il a monté un business et il a fait fortune. Son argent, il l’a investi dans l’éducation de ses descendants, et pour trois générations. Mon histoire, j’en suis fière. C’est celle de beaucoup d’autres familles indo-mauriciennes. Mais cette fierté ne justifie pas notre complaisance à l’égard de ceux qui n’ont pas connu la même réussite sociale. Nos familles ne peuvent pas continuer à grandir en vase clos, en ignorant le mal-être des autres, en fermant les yeux sur les ravages de la pauvreté, de la drogue ou de la prostitution infantile. 

 

Vous parlez comme une affiche…

Cette polémique [autour de la campagne « Nou pei bien malad », ndlr] en dit long sur le sentiment de toute-puissance des autorités. Un message déplaît au pouvoir, ce message doit disparaître. Comme si le fait de tuer le messager allait résoudre le problème… Quelle naïveté ! Cette attitude, évidemment, s’est retournée contre les censeurs. En critiquant cette publicité, ils lui ont donné une visibilité énorme. Tout cela est symptomatique aussi de nos peurs. Notre démocratie n’a pas appris à gérer les conflits, on préfère fuir le débat au lieu de le nourrir. On réduit l’autre au silence, on l’intimide en envoyant des inspecteurs dans son usine. J’ai même lu que les touristes allaient déserter le pays en croyant à une épidémie de choléra [dixit Patrick Assirvaden, ndlr]. Heureusement que le ridicule ne tue pas... Les touristes sont plus malins que ça. Et ils sont probablement ravis de constater que les citoyens mauriciens ont une conscience écologique.

 

Revenons à votre parcours. Votre thèse en poche, vous quittez Leeds. Direction l’université de Birmingham, à 150 km au sud…

C’est le début de ma carrière, en 2002. J’enseigne la linguistique et la littérature anglaise. Mes travaux de recherche sont publiés chez Cambridge University Press : je suis là où je voulais être.

 

Pourtant, l’expérience ne dure que cinq ans…

C’est l’époque de la globalisation de l'offre éducative, des campus entiers commencent à délocaliser en Chine. L'université de Nottingham décide d’ouvrir un campus près de Shanghai, elle cherche un responsable pour diriger le département English Studies. Je postule, je suis retenue et me voilà repartie....

 

Cap sur Ningbo, sympathique « bourgade » industrielle chinoise de 7 millions d’habitants…

Sur la côte orientale,dans la province du Zhejiang. La ville est surtout connue pour son port qui est l’un des plus actifsdu monde. Bon, on ne va pas à Ningbo pour faire du tourisme. Moi, ce n’était pas la ville qui m’intéressait, mais la Chine. Je suis tombée amoureuse de cette culture quand j’étais au collège. Mes meilleures copines étaient toutes des Sino-Mauriciennes. Je mangeais chez elles, elles m’apprenaient le mandarin. Quand je leur raconterai que j’ai traversé la Chine avec mon sac à dos... (sourire)

 

La matière grise, c’est la nouvelle révolution chinoise ?

Absolument. La Chine ne se contente plus d'être l'atelier du monde. Ce pays est en train de s'imposer comme l'une des principales usines à matière grise de la planète. Partout, des campus ouvrent. Des parcs high-tech et des centres de recherche et de développement surgissent de terre. La Chine est actuellement le marché de l'éducation qui connaît l'expansion la plus rapide au monde.

 

Vous vous y plaisiez ?

Enormément. J’ai vécu en Chine les meilleurs moments de ma carrière. Devenir, à 37 ans, associate professorà l’université de Nottingham, c’était on top of the world. Je dirigeais le département English Studies et un centre de recherche en linguistique. Ces années-là ont aiguisé mon sens du rapport à l’autre. Je travaillais dans une équipe avec 40 nationalités différentes.

 

Pourquoi avoir tout envoyé balader, il y a dix mois ?

Le besoin de me reconnecter à Maurice. J’ai eu envie que mes enfants [7 et 9 ans, ndlr] découvrent leurs racines, qu’ils sachent d’où ils viennent. Et puis, il y a eu la maladie. On m’a découvert une tumeur. Ma mère est décédée d’un cancer à la quarantaine. Tout cela m’a fait réfléchir... (Elle marque une pause) Dans la vie, j’avais toujours été très ambitieuse. Et là, pour la première fois, j’ai fait la part des choses entre success et significant. L’envie de faire quelque chose pour mon pays a pris le dessus. Quelque chose de plus concret que la littérature. Je sais, c’est un peu cliché (sourire gêné) mais c’est la vérité.

 

Comment se sont passées les retrouvailles ?

Elles ont été douloureuses. Pendant quinze ans, j’ai travaillé sur Maurice - la langue, la littérature, la culture - à distance. J’ai écrit et publié énormément d’articles sans jamais me confronter directement, physiquement, à mon objet d’étude. J’étais dans mon labo de recherche, à l’autre bout du monde. Je ne côtoyais pas le laid, je ne mettais pas les mains dans le cambouis. A mon retour, j’ai vu la crasse du castéisme. Elle bouchait déjà les artères du pays quand je suis partie, mais c’est pire aujourd’hui. Ce système compromet notre futur. Pour moi, le castéisme est le pire ennemi du développement. 

 

Dans vos yeux, on lit une grande tension intérieure…

Oui, parfois, ça bout. Certains jours, il m’arrive de ne pas reconnaître mon pays. Pas une semaine ne passe sans que la presse ne déterre un nouveau scandale. Hier, c’était le MITD. Aujourd’hui, c’est le judiciaire. Nos institutions les plus solides sont décrédibilisées, je trouve cela terrible. L’affaiblissement de la conscience politique m’inquiète aussi. Comme si chacun se contentait de son petit confort. Tout cela ne m’aide pas à me reconnecter. Parfois, j’ai l’impression d’être une touriste (sourire).

 

Vous avez consacré une large partie de vos travaux universitaires au concept de créolité. Cette créolité, vous vous en revendiquez ?

Oui. Mon identité indo-mauricienne est créole, elle n’est pas indienne. Ma créolité, c’est mon métissage. Je suis le produit de grandes cultures, mais je refuse l’idée selon laquelle tout ce qui vient de la terre de mes ancêtres est sain et productif. Le castéisme fait partie de ces boulets à oublier. Nous aurions dû laisser cette abomination dans le kala pani [l’océan traversé par les engagés indiens, ndlr].

 

Votre père était professeur d’anglais, votre mère psychologue. On parlait de quoi chez les Mooneeram ?

De politique, beaucoup. Surtout lorsque mes oncles passaient à la maison.

 

Vos oncles ?

Dev Virahsawmy et Jayen Cuttaree. Je me souviens de débats animés…

 

Il y a deux mois, lors d’un autre débat animé, dans l’express dimanche, vous avez eu cette phrase : « On assiste à une ‘malbarisation’ de la fonction publique. La communauté hindoue est devenue hégémonique ». Cette phrase, l’avez-vous payée ?

Oui, on a essayé de m’intimider. Pourtant, je n’ai fait que décrire une réalité. Dans la vie publique, l’omnipotence hindoue est une nouvelle forme de colonialisme. Un impérialisme succède à un autre. L’hégémonie hindoue copie l’hégémonie coloniale. Elle a adopté ses réflexes, ses codes, ses structures. On est dans le « protez-so-montagne », dans une vision autocentrée du développement. Le but est de défendre son prestige et ses intérêts économiques au détriment du reste de la population.

 

Vous en avez parlé à Arvin Boolell ? [Jusqu’en mai dernier, elle était conseillère au ministère des Affaires étrangères, ndlr]

(Directe)Il ne m’avait pas recrutée pour ça.

 

Ce ministère, c’était un choix de carrière ou un piston ?

C’était une envie. Vu mon parcours en Europe et en Chine, à mon retour j’ai cherché un poste vers l’international. J’ai envoyé mon CV au ministère des Affaires étrangères, on m’a appelée pour une entrevue et ma candidature a été retenue, aussi simple que ça. C’était une bonne expérience, j’ai beaucoup appris.

 

Pourtant, après six mois d’Arvin Boolell, vous jetez l’éponge...

(Eclat de rire)

 

Il est si insupportable que ça le troisième homme politique préféré des Mauriciens ?

Du tout ! J’ai démissionné parce que j’ai compris que j’étais plus à l’aise dans un autre environnement, avec moins de hiérarchie et davantage de créativité.

 

Votre retour au pays sera heureux si…

Si mon île choisit un développement équitable qui inclut tous les groupes ethniques. Si l’on délaisse nos obsessions communautaires. Si l’on investit dans l’humain plutôt que dans des systèmes d’alarme qui protègent des ghettos d'autres ghettos.

 

Finalement, a-t-on raison de croire que l’herbe est plus verte ailleurs ?

(Elle réfléchit)Non. L’Angleterre est malade du chômage et de la précarité, la Chine de la pollution et de l’absence de libertés. Ici, sous sommes riches d’un modèle culturel unique. Je ne connais pas d’autres pays qui m’auraient mieux préparée à vivre la grande aventure dont j'ai rêvé à 19 ans. Ce n’est pas le « big world » qui a préparé mon retour à Maurice, c'est le contraire. L'herbe sous nos pieds ne demande qu’à verdir, à nous d’apprendre à la nourrir.


Ses dates

1972. Naissance à Curepipe

1992. Départ en Angleterre

2007. S’installe en Chine.

2009. Publie From Creole to Standard : Shakespeare, language, and literature in a postcolonial context (éditions Rodopi).

2012. Conseillère au ministère des Affaires étrangères

2013. Responsable des relations publiques chez Lux Resorts