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Roukaya Kasenally : « Le consensus mou ne mène nulle part »

13 avril 2010, 16:11

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Chargée de cours en communication à l’université de Maurice, Roukaya Kasenally livre ses réflexions sur les grands enjeux de l’île.

¦ Quels sont les enjeux de la présente campagne électorale?

- Cela devrait être le cas pour toutes les élections : savoir définir une vision pour son pays. La politique, c’est précisément la définition d’un contrat social entre les partis et les électeurs. Ces partis doivent présenter leurs politiques générales pour le pays, proposer des débats et des idées. L’essence même de la politique, c’est un équilibrage entre les propositions politiques et les attentes de l’électorat.

¦ Quels sont justement les grands débats à mettre sur le tapis?

- Le débat autour de l’éducation est fondamental. On a beaucoup parlé d’une société inclusive. Cela passe par l’éducation. Or, depuis janvier et même avant, qu’est-ce qu’on fait? On n’arrête pas d’évoquer le jeu des alliances. Les médias en font leurs choux gras et le public reste suspendu à cette mascarade malsaine. C’est la raison pour laquelle je dis que, quelque part, nous sommes aussi à blâmer. Au lieu de nous poser en demandeurs de débat, nous subissons la seule actualité politique comme si elle était l’alpha et l’oméga de notre société. L’actualité politique devrait, pour moi, tourner autour des idées politiques comme la réforme électorale. Cette réforme est cruciale car elle permettrait à notre société de changer sa manière de concevoir la politique. Une politique qui ne consiste pas seulement à élire des gens pour cinq ans. Exercer son droit civique, ce n’est pas uniquement mettre ses trois petites croix sur un bulletin de vote. Nous devons être demandeurs d’un agenda progressiste. Il faut faire émerger de nouvelles idées. C’est notre passivité qui fait que les partis publient leur manifeste électoral à la veille du jour du scrutin. Si nous étions plus agressifs, nous aurions pu pousser les politiques vers un débat d’idées. Malheureusement, on n’a fait que parler d’alliances, réduisant tout le débat à un enjeu politico-politicaille. Ici, tout est déterminé selon une partisanerie politique. Nous sommes tous à blâmer pour cela.

¦ Pourquoi est-ce le cas?

Très souvent à Maurice, on ne confronte pas les idées par précaution. Il y a une sorte d’obsession dans la recherche du consensus qui fait qu’au plan des idées, on demeure dans le statu quo, l’immobilisme. Or, le consensus mou ne mène nulle part. On a peur d’imposer les grandes idées et de les faire émerger dans la sphère publique. De la même manière, je pense que nous sommes piégés dans un blame game où règne le «pa mwa sa li sa». Chacun rejette le blâme sur l’autre, tout en sachant qu’il a sa part de responsabilité. La notion de responsabilité collective n’existe pas. Les politiques en profitent pour imposer leurs règles du jeu car la société est fragilisée à cause de ce blame game. C’est ce qui explique aussi que ces politiques nous imposent un débat ethnicisé.

¦ Comment en est-on arrivé là?

Je crois que nous sommes un peu paresseux. Nous sommes fi gés dans une zone de confort. C’est lorsqu’il y a des défis qu’une société se motive. Or, que faisons- nous actuellement? Nous n’arrêtons pas de dire que nous sommes les premiers en Afrique. Qu’est-ce qu’être les premiers en Afrique? Il ne faut pas se leurrer. Ensuite, il y a le fait que la question ethnique a pris le dessus sur tout. On n’a jamais eu de débat authentique sur le fait de savoir ce que c’est qu’être Mauricien. Actuellement, c’est chacun pour soi, perché sur sa petite montagne. Les politiques tirent profit de cette situation.

¦ En quoi est-il important ce débat sur le mauricianisme?

Il est essentiel afin de se débarrasser d’une manière de faire de la politique où tout est régi par l’ethnicité. Nous sommes trop focalisés sur le communalisme. Le Président, le Premier ministre et les ministres sont choisis en fonction de leur appartenance ethnique. Pourtant, tous les Mauriciens auraient dû pouvoir aspirer à occuper ces fonctions. Quelle égalité de chances, donc? De surcroît, nous subissons pleinement les lobbies ethniques et ces associations dites socioculturelles. Il faudrait commencer ce grand voyage vers le mauricianisme en nous appuyant sur des modèles. Un pays comme le Rwanda, qui a connu des années de guerre civile entre Tutsis et Hutus, devient graduellement un pays progressiste où, par exemple, la représentation des femmes au Parlement est assurée. L’Afrique a beaucoup de choses à nous apprendre. Ici, on a choisi d’être musulman, hindou, catholique avant d’être Mauricien.

¦ Justement, par rapport à la question des femmes, comment analysez- vous la demande de «Women in Politics» (WIP) pour que chaque parti aligne une candidate dans chaque circonscription?

D’eux-mêmes, les politiques n’ouvriront pas l’espace politique à plus de femmes. Ils vous diront qu’ils le font en rajoutant une ou deux femmes à leurs listes de candidats et cela s’arrête là. Il y a un système de quota qu’on devrait étudier sérieusement. On a dit que le quota est anticonstitutionnel mais c’est un système qui a permis de corriger des déséquilibres dans beaucoup de pays. D’ailleurs, nous avons déjà un système de quota à Maurice. Le quota ethnique! Pourquoi pas un quota de genres? Il va falloir dépassionner le débat sur le quota car c’est la solution pour une plus grande représentation des femmes. Ou alors attendre une réforme électorale qui introduirait une forme de représentation proportionnelle, ce dont les femmes pourront profiter.

¦ Avez-vous l’espoir que la société civile devienne plus agressive?

Il faut regarder vers les jeunes et là, il y a quelques motifs d’espoir. Au sein de la blogosphère, on peut voir comment une certaine expression est en train de se libérer. Les nouvelles technologies ont permis à ces jeunes de devenir actifs. Il y a un début d’éveil. Toutefois, comme en toute chose, on doit avoir une masse critique pour être effectif. Il faut aussi savoir que la société comprend plusieurs partenaires. A ce titre, on doit s’assurer des leaderships autres que politiques. Il y a déjà des balbutiements dans le bon sens. Ce sont des balbutiements qui annoncent des révolutions.

Propos recueillis par Nazim ESOOF

 

Nazim ESOOF