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Rundheersing Beenick: «L’inflation devrait rester dans la fourchettede 5 % à 6 % d’ici fin 2011»
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Rundheersing Beenick: «L’inflation devrait rester dans la fourchettede 5 % à 6 % d’ici fin 2011»
? Vous préconisez un nouveau durcissement monétaire. Pourquoi ?
D’emblée je vous fais remarquer que je ne préconise pas un nouveau durcissement monétaire. Cette décision relève uniquement du Comité de Politique Monétaire. Je tiens, par ailleurs, à vous rappeler qu’un des objectifs fondamentaux de la Banque est la stabilité des prix. Notre mandat comprend un volet économique aussi bien que social, selon lequel la politique monétaire, tout en assurant la stabilité des prix, contribue à une croissance durable, à la prospérité économique et à la création d’emplois. Les inconvénients et les coûts liés à l’infl ation sont considérables. La stabilité des prix prévient l’apparition de ces coûts et offre des avantages majeurs à l’ensemble des citoyens.
? Les tensions inflationnistes se manifestent ?
D’après nos prévisions, la croissance sera de l’ordre de 4,6 % cette année. Une performance relativement solide et honorable, compte tenu des développements au niveau international, particulièrement dans la zone euro, notre marché principal. Les commandes pour nos exportations sont encourageantes, le climat des affaires positif, les arrivées touristiques, les fl ux d’investissements étrangers et les exportations sont en hausse. Ce sont là des signes qu’il ne faut pas négliger. Tout en étant proactif, nous avions vu récemment une montée de l’infl ation et nous avions prévu que dans l’inaction, cette poussée infl ationniste allait s’accentuer et éventuellement, pousser l’infl ation dans la zone rouge. Souvenez-vous, nous avions fait ressortir, dans notre dernier communiqué du Comité de Politique Monétaire, que nous devions agir afi n d’éviter les effets de second tour et la spirale prix-salaires.
? Quelles sont vos prévisions en terme d’inflation?
Lorsque nous analysons les derniers chiffres de l’infl ation, nous constatons que l’infl ation en glissement annuel (year-onyear infl ation) a légèrement reculé de 7,2 % en mars 2011 pour atteindre 7 % en avril 2011. Par contre, l’infl ation (headline infl ation) a augmenté de 4 % en mars 2011 pour atteindre 4,4 % en avril 2011. La Banque s’attend à ce que le taux d’infl ation demeure dans la fourchette de 5 % à 6 % d’ici fi n 2011. Cet objectif sera atteint dans l’éventualité d’un scénario selon lequel la Banque et le Trésor Public continuent à coordonner leurs politiques, visant ainsi à limiter les pressions infl ationnistes. Par exemple, la réduction des prix des produits de base, y compris le carburant, ainsi que la hausse du taux directeur en mars 2011, ont certainement contribué à limiter les pressions infl ationnistes.
Nous ne pouvons donc déduire que l’infl ation est en escalade ou qu’elle échappe au contrôle de la Banque. Au niveau international, l’indice des prix alimentaires du FAO est resté pratiquement inchangé par rapport à l’estimation de mars, il demeure à 36 % au-dessus de l’indice d’avril 2010, mais se situe à 2 % seulement en dessous du sommet atteint en février 2011.
? Donc, un relèvement du taux repo est plutôt probable ou non?
La Banque Centrale n’a pas d’autre arme que son taux directeur. Donc, un durcissement de la politique monétaire est normalement envisagé dans le cas où nous voulons éviter tout dérapage de l’infl ation. Je vous fais remarquer que nous n’avons pas été les seules banques centrales à resserrer la politique  monétaire – il y a plusieurs autres banques centrales qui ont procédé de la même manière. Les banques centrales du Brésil, de la Colombie, du Pérou, de la zone Euro, de la Suède, de la Pologne, de la Russie, de la Thaïlande, du Chili, de l’Inde, de la Malaisie et des Philippines ont récemment rehaussé leur taux directeur. En fait, nous avons été un des premiers à procéder à une augmentation substantielle et malgré cette augmentation, notre taux directeur est toujours derrière la courbe (behind the curve). Et c’était le souci du Comité de Politique Monétaire que de vouloir normaliser les taux. Cela dit, il faudra attendre maintenant la prochaine réunion du comité (NdLR : le 13 juin) quand toutes les autres pièces du puzzle seront connues et que l’effet de la précédente hausse du taux directeur sera plus manifeste. Je souligne aussi que l’effet des mesures ne sera visible qu’après un certain temps, dépendant de l’interaction des différents acteurs économiques du pays. De plus, il nous faut reconnaître les limites de la politique monétaire et à cet effet, il est bon de préciser que la politique monétaire doit être synchronisée avec la politique fi scale. Il doit exister une certaine complémentarité entre les deux.
? Des observateurs estiment que le relèvement destaux ne peut pas enrayer la hausse de l’infl ation qui est essentiellement importée. Qu’en pensez-vous ?
Il n’y a aucun doute que le facteur le plus important dans la montée de l’infl ation à Maurice est l’augmentation des prix sur les marchés internationaux. Plusieurs des Infl ation Expectations Surveys que nous avions initiés à la fi n de 2008, démontrent justement que plus de 80% des analystes considèrent les facteurs extérieurs comme étant la première source d’infl ation à Maurice. Mais l’infl ation, importée ou pas, est un mal qu’on doit combattre. C’est vrai qu’un pays ouvert comme le nôtre va subir les effets des coûts ascendants des pays d’où nous importons nos matières premières et denrées alimentaires. Mais ce que nous devons éviter à tout prix, ce sont les effets de second tour et c’est là où la politique monétaire a un rôle prépondérant à jouer. Nous devons à tout prix empêcher que les effets de second tour n’impactent trop sur la cherté de la vie à Maurice.
? Vous avez régulièrement mis en garde contre ce risque de «second round effect» et milité pour la prudence dans la fi xation des prix. Qu’entendez-vous par là ?
C’est là une des sources infl ationnistes que nous essayons de contrôler. Les effets de second tour sont liés dans un premier temps à une augmentation généralisée des prix, c’est-àdire que l’impact d’une hausse de prix des matières premières et denrées se refl ète sur l’ensemble du panier du Consumer Price Index (CPI). Avec la cherté de la vie, les employés réclament une augmentation pour compenser la perte de leur pouvoir d’achat. Cette demande, si acceptée, génère une vague d’augmentations : les revenus des employés augmentent, ainsi devront les coûts de production des entreprises.
Comment celles-ci maintiendront-elles leurs profi ts? En augmentant à leur tour les prix de leurs produits. Les exportateurs, eux, n’ont pas cette marge de manoeuvre. Ils sollicitent l’aide des autorités en suggérant une dépréciation de la roupie pour maintenir leurs entreprises à fl ot. Ce qui vient alimenter encore l’infl ation par l’exchange rate pass-through. Ce sont des raisons additionnelles pour maintenir le cap. Il est bon de faire ressortir que si on prévient cette deuxième vague d’augmentations, on limiterait les dégâts ou les effets de second tour. C’est pour cela qu’il faut que toute augmentation soit accompagnée d’une hausse correspondante de la productivité. Un environnement infl ationniste peut créer la perception que les prix de plusieurs produits vont grimper. Profi tant de cette perception, plusieurs acteurs économiques - commerçants, producteurs, travailleurs - essaient d’ajuster leurs prix, au-dessus de ce que le cours monétaire pourrait justifi er, en s’attendant que la situation monétaire ne change pas. La hausse du taux directeur a aidé à estomper ces perceptions, décourageant ainsi les augmentations injustifi ées et en évitant que l’infl ation ne dégénère.
La Banque, en empêchant ce pass-through, veille à ce qu’il n’y ait pas de dérapage dans l’ensemble des prix. Il est primordial de veiller à ce que ces effets ne se produisent pas. A cet effet, nous devons saluer la création de l’Observatoire des Prix. Nous espérons que le consommateur en sortira gagnant. Mais à mon avis, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
? L’excès de liquidités sur le marché monétaire estil en train d’être résorbé ?
Nous notons un revirement de situation. En mai 2010, l’excédent de liquidités se chiffrait à Rs 4,1 milliards. Cette année, à la fi n du mois d’avril nous avions un excès de Rs 2,9 milliards et jusqu’à la fi n du mois de mai, nous projetons que l’excédent sera d’environ 1,5 milliards de roupies. Ces chiffres démontrent que les efforts de la Banque pour éponger l’excédent de liquidités portent leurs fruits. En tant que régulateur, et dans le but de maintenir des conditions normales, la Banque a pris des mesures additionnelles pour gérer le niveau de liquidités, à savoir le lancement des instruments à plus long terme, notamment, les bons de deux, trois et quatre ans. La Banque a aussi émis ses propres papers à une fréquence assez régulière pour éponger l’excédent de liquidités. Nous ne nous sommes pas restreints au overnight money – nous nous sommes vus dans l’obligation de prolonger la maturité des papiers, qui était limitée à sept jours en début de l’année dernière. Nous sommes même allés au-delà de ce que font normalement les autres banques centrales. Si nous n’avions pas pris cette mesure, nous nous serions retrouvés dans l’obligation d’aller sur le marché chaque semaine. La Banque a émis pour près de Rs 4 milliards de ces instruments depuis le début de cette année, et leur montant total à ce jour est de 8,3 milliards de roupies, et ce malgré la fragilité de notre bilan. Ces mesures prises par la Banque à partir de son propre bilan ont permis une réduction du niveau de liquidités dans le système et d’assurer la stabilité fi nancière, bien que nous ayons subi des pertes. Si on accepte le principe que la Banque Centrale peut subir des pertes, nous pouvons envisager alors d’émettre plus de BoM Bills et BoM Notes. Mais on doit aussi s’assurer qu’il y ait une coordination avec le Gouvernement en ce qu’il s’agit de la dette et du fi nancement de celle-ci. Après les deux hausses du Cash Reserve Ratio (CRR) l’année dernière, la Banque a eu recours à une autre hausse en février 2011, ce qui ramène notre CRR à 7 %. La Banque a également procédé à la réouverture des obligations de 5 ans en novembre 2010, les obligations de 10 ans ainsi que les obligations indexées à l’infl ation de 15 ans en décembre 2010. Il faut noter que l’excès de liquidités sur le marché monétaire est quasi-structurelle parce qu’il refl ète le fait qu’il n’y a pas assez de demandes de crédit et aussi parce qu’il y a eu une offre restreinte de «Government papers».
? Vous avez pendant plusieurs semaines refusé d’émettre à très court terme. Pourquoi ?
Le modèle d’appel d’offres des banques pour les bons du trésor dépend du niveau de leurs réserves excédentaires. Depuis le troisième trimestre de 2010, les offres étaient, la plupart du temps, penchées en faveur du court terme, c’est-à dire, les bons à 91 jours d’échéance contre ceux de 182 jours et de 364 jours d’échéance, les banques n’étant pas disposées à verrouiller leurs fonds pour des périodes plus longues en prévision des hausses prochaines des taux. En conséquence, les rendements sur ces bons ont été tirés vers le bas et dans certains cas, bien en deçà de la limite inférieure du corridor de taux d’intérêt. Nos chiffres montrent que l’offre moyenne de ratio de couverture, qui s’établissait à 2,8 en 2010, a diminué à 2,6 sur la période janvier à avril 2011. Depuis février 2011, les soumissions des banques ont été très faibles et n’ont pas été correctement tarifées – à la suite de quoi la Banque a rejeté les adjudications de bons à 91 jours pour plus de neuf semaines consécutives. Ce n’est que récemment que les offres ont été acceptées. Ainsi, nous pouvons observer que le signal que nous avions voulu envoyer au marché, quant à la nécessité que le rendement augmente «at the short-end of the spectrum», a effectivement été bien entendu par les soumissionnaires.
? Vous avez été actif sur le marché des changes en achetant notamment du dollar. Pourtant il baisse face à la roupie. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
D’abord, pourquoi le dollar ? Tout simplement parce que le dollar est notre principale monnaie d’échange. La faiblesse du dollar sur le marché mondial est en train d’influencer les mouvements de la roupie. Et il n’y a pas que le dollar. Si nous procédons à une petite analyse du taux de change de la roupie par rapport aux monnaies de nos principaux partenaires commerciaux, nous notons que sur une période de 12 mois, c’est-à-dire d’avril 2010 à avril 2011, la roupie a apprécié vis-à-vis du dollar hongkongais (+2,4 %) du dollar américain (+1,9 %) de la livre sterling (+4,6 %) et de l’euro (+8,7 %). D’un côté, le dollar a été assez faible depuis la crise, grâce aux injections monétaires massives de la Federal Reserve. L’économie américaine tourne au ralenti avec la conséquence que l’on sait sur le billet vert, sans compter que les marchés fi nanciers sont très volatiles en ce moment. De l’autre côté, notre petite économie a eu une performance honorable l’année dernière, compte tenu de la crise, avec un taux de croissance de 4,4 %, et une rentrée record de fl ux d’investissements étrangers de Rs 13,95 milliards. Nos interventions sur le marché n’ont nullement pour but de faire changer le cours du dollar car nous sommes pleinement conscients de notre impuissance face au cours du dollar sur le marché mondial.
Toutefois, je souligne que, de par notre positionnement en tant que Banque Centrale, nous détenons plus d’informations sur les développements économiques et nous essayons tout simplement de donner une direction au marché afi n d’éviter une volatilité excessive des cours.
? Vous êtes partisan d’une plus grande complémentarité entre politique monétaire et politique économique. Qu’est-ce que cela veut dire dans les faits ?
Bien-sûr que je suis partisan d’une plus grande complémentarité entre politique monétaire et politique économique. C’est la recette par excellence de notre réussite économique. Il est impératif que tous les décideurs regardent dans la même direction si nous voulons atteindre les objectifs fi xés. Sinon tout ce qui est fait d’une part peut être défait d’autre part.
D’ailleurs nous avons bien démontré notre capacité à travailler de concert, la Banque de Maurice et le Trésor Public – c’est ce qui a permis à notre pays de traverser sans encombre la crise. Le Fonds Monétaire International (FMI) a reconnu cela et a d’ailleurs recommandé, dans le cadre de la Consultation de l’Article IV en février dernier, que cette collaboration continue.
Le FMI est venu me donner raison quand il dit dans son rapport que le «Monetary Policy supported the domestic recovery with the key Repo Rate cut by 100 basis points». Cela a démontré parfaitement le fait que la politique monétaire a aidé et joué un rôle important pour soutenir la croissance économique dans une situation où le monde faisait face à la pire crise fi nancière depuis des générations.
? Pourquoi souhaitez-vous une réforme du comité de politique monétaire ?
D’abord il faut savoir que le Comité de Politique Monétaire avait été mis en place avec certains objectifs dans un contexte autre que celui dans lequel nous évoluons à présent. La crise fi nancière a changé bien des choses. Plusieurs aspects du Comité de Politique Monétaire sont en train d’être revus dans les pays qui ont plus d’expérience en la matière. Le Comité de Politique Monétaire a atteint sa vitesse de croisière et a acquis une certaine maturité dans ses décisions, mais il n’en demeure pas moins qu’après trois à quatre années de fonctionnement, le moment est opportun de revoir le Comité, notamment sa composition, son fonctionnement – il est impératif pour le Comité de demeurer à l’avant de la courbe. Comme le prévoient certaines grandes banques centrales, ce genre d’exercice se fait tous les cinq ans pour assurer un fonctionnement effi cace du Comité. Depuis 2008, nous avons fait des recommandations à l’effet que le procès verbal du Comité soit rendu public et que le voting pattern des membres y soit incorporé – notre objectif étant de renforcer la transparence et la responsabilité publique (public accountability) du Comité. J’ai donc accueilli favorablement l’annonce du ministre des Finances et du Développement Économique, lors de la présentation du Budget 2011, à l’effet que le Comité allait être revu par un consultant indépendant, en l’occurrence Sir Alan Budd. Je n’ai pas de doute que cet exercice conduira à un Comité encore plus solide opérant dans une plus grande transparence et dont le mandat accordera plus d’accent sur le secteur réel et sa complexité. Je souhaiterais aussi que le rôle de la Banque Centrale par rapport à la stabilité macroéconomique et fi nancière soit clarifi é. Notre Comité de Politique Monétaire est assez distinct de ceux des pays émergents. Nous avons deux membres étrangers qui y siègent et le fait que ces deux membres ne puissent pas participer aux discussions ni que leurs votes soient comptabilisés puisqu’ils ne sont pas physiquement présents, représente une contrainte majeure. Nous voulons leur permettre de participer aux délibérations par téléconférence. Par ailleurs, le lien qui unit le Conseil d’Administration de la Banque et le Comité de Politique Monétaire n’a plus sa raison d’être. Il est devenu caduque et doit être éliminé.
Propos recueillis par Pierrick PEDEL
 
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