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Saoud Lallmahomed: « Le foot n’a jamais déclenché de bagarres raciales, c’est un mythe ! »

18 novembre 2013, 08:51

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Saoud Lallmahomed: « Le foot n’a jamais déclenché de bagarres raciales, c’est un mythe ! »

Il a joué avec le roi Pelé et pris le thé chez sir Alex. Le premier lui a hurlé dessus en portugais, le second a lâché cette phrase qu’il n’a jamais oubliée : « En football, quand tu as une idée, ne la laisse jamais s’endormir ». On dirait que Saoud Lallmahomed a retenu la leçon.

 
●Les Anglais ont inventé le foot,foot, les Brésiliens l’ont fait danser, les Mauriciens l’ont tué. Pourquoi ?
Pour une raison bien simple : l’ignorance des décideurs de ce pays. Ils n’ont pas su mesurer ce que représente le football dans les sociétés modernes, son utilité sociale, son impact économique. Cette ignorance a donné la régionalisation. Le football sans public n’est plus du football, le niveau de jeu est devenu désespérant. Il n’y a plus qu’à la télé que l’on peut voir du jeu, vivre des ambiances, respirer une culture.
 
● D’où la transhumance des gradins au sofa…
Heureusement que le gouvernement anglais, lui, n’a pas sacrifié la Premier League pour contrer le hooliganisme ! Si Ravi Yerrigadoo avait été ministre des Sports là-bas, nous n’aurions plus jamais vu un Liverpool - Man U… Le football, on le sait, est un puissant foyer d’expression identitaire, c’est vrai partout sur la planète. Mais pour peu que l’on sache l’encadrer, il peut transcender les clivages. Regardez ce qui se passe en Ecosse, à Glasgow. Le Celtic contre les Rangers, c’est la plus forte des rivalités entre clubs de foot. Longtemps, ce derby a été un affrontement religieux et politique : le catholicisme face au protestantisme, le nationalisme contre le respect de la Couronne. Aujourd’hui, cette rivalité est essentiellementsportive.
 
● Que vous inspire la frayeur collective qui a suivi l’annonce de la relance du football local ?
Les Mauriciens manquent de confiance en eux, notre peuple a du génie et ne le sait pas. La relance du foot n’est pas un risque, c’est une opportunité. Le foot à Maurice n’a jamais déclenché de bagarres raciales, c’est un mythe ! C’était parfois tendu en tribune, mais celui qui prenait le plus de coups, c’était toujours le ballon. Je pense que le football a incarné le coupable idéal des maux de l’époque. Prenez l’incendie de l’Amicale, ça n’avait rien à voir avec le foot. Les politiques ont créé un lien artificiel parce que ça les arrangeait bien, ce n’était plus leur échec. Et comme le foot n’avait personne pour le défendre, il a encaissé.
 
 
● Le débat sur le retour des clubs traditionnels a été kidnappé. D’un côté, les nostalgiques applaudissent et, de l’autre, les inquiets sifflent. N’y a-t-il pas une troisième voie ?
Je ne suis ni inquiet, ni nostalgique, je regarde l’avenir. Le foot, c’est toute ma vie. Aujourd’hui, je vois en lui un outil pédagogique capable de faire grandir mon pays. J’ai la conviction que ce sport peut nous aider à nous comporter en vrais Mauriciens, et pas en fonction des dogmes de nos ethnies. Je veux faire du foot un vecteur du mauricianisme.
 
● Bienvenue à l’Angélisme Football Club…
Au contraire. Je fais partie de ceux qui pensent que le communalisme est ancré en nous, qu’il fait partie de nos gènes et qu’il faut savoir vivre avec plutôt que de nier son existence. L’instinct animal pousse parfois la bête à se retrancher dans son habitat naturel...
 
● Le Mauricien est un animal communal… et ce n’est pas si grave ?
Le Mauricien est pourvu d’un instinct communal, mais il est aussi doué de raison. Si on lui permet de s’épanouir avec les autres, il dépasse son instinct. Moi-même, j’ai évolué au sein d’un club communal, les Muslim Scouts, jusqu’au jour où j’ai décidé de porter les couleurs du Racing Club [en 1982, ndlr]. Un Saoud chez les mulâtres, c’était ma façon d’apporter ma pierre à l’édifice, celui de la décommunalisation des clubs. Elle s’est faite il y a trente ans, je ne comprends pas pourquoi on remet ça sur le tapis. Quand j’entraînais la Fire Brigade, j’avais un président créole, un team manager sino- mauricien et un responsable médical hindou. Je faisais mon équipe avec Sébastien Bax (un Blanc), Sylvain Content (un créole), Suraj Teelwa (un hindou) ou Patrice d’Avrincourt (un mulâtre). Ces clubs que l’on dit « traditionnels » étaient des mosaïques.
 
● Alors, de quel football communal parle-t-on ?
Le problème n’était pas sur le terrain mais en tribune. En mai dernier, j’ai présenté un plan de relance du football lors d’une conférence à l’université. J’ai focalisé sur deux axes : la qualité du jeu et la sécurité dans les gradins. Contrer les risques de débordement n’est pas difficile. Primo, les fans doivent être à l’image de leur équipe, une mosaïque, aux responsables des clubs de supporters de faire ce qu’il faut. Secundo, il faut une forte présence des dames et des enfants au stade. Pour les matchs chauds, un homme n’entre pas seul. Il vient accompagné de sa soeur, sa femme, sa mère, qui il veut. Les femmes ont un coté sécurisant.
 
● Sexisme contre communalisme : c’est l’idée la plus ahurie de l’année !
Mais pas du tout ! La femme est l’antidote du poison de l’homme. L’emmener au stade, c’est emmener la famille. Dimanche dernier, devant ma télé, j’observais les tribunes d’Old Trafford. Il y avait de tout : des veilles dames, des gamins, des musulmanes voilées. Ce match [Man U - Arsenal, ndlr] déchaînait les passions, mais en tribune, chacun était à l’aise. Non seulement tout le monde peut cohabiter dans un stade, mais c’est souhaitable pour éviter les dérapages.
 
● Pourquoi la relance du football local passe-t-elle forcément par le retour des clubs traditionnels ?
Parce que seuls les « historiques» peuvent faire revenir les gens au stade. Personne ne s’identifie à l’équipe de sa région. Par contre, Sunrise, Cadets, Scouts, Fire, Racing ou Dodo, ça parle aux gens. C’est la rivalité entre ces clubs qui ramènera le public en tribune. Tout le challenge est de laisser vivre cette rivalité sur le plan sportif sans réveiller le démon communal. Il est évidemment hors de question d’aligner un onze musulman ou un onze hindou. Mais encore une fois, cela ne se faisait déjà plus au début des années 1980, et sans intervention politique. Alors, de quoi avons-nous peur ?
 
● Paul Bérenger, lui, y voit une décision « archaïque et rétrograde»…
En matière d’archaïsmes, Paul Bérenger en connaît un rayon. Le retour des anciens clubs ne pose aucun problème à partir du moment où il est soumis à conditions. Si le leader de l’opposition le souhaite, je suis prêt à lui faire un exposé personnalisé.
 
● Vous commenceriez par lui dire quoi ?
Qu’il parle trop souvent pour ne rien dire. Les politiques sont des opportunistes. Le foot, c’est porteur. Chacun, pour ou contre le retour de ces clubs, va essayer d’en tirer un capital politique. Au monde du foot d’être vigilant pour ne pas se laisser instrumentaliser.
 
● Ce monde est allé plus vite que celui de la politique : si un Saoud peut jouer dans n’importe quel club, il ne peut pas être candidat dans n’importe quelle circonscription…
C’est très juste. Il y a beaucoup plus d’invectives communales en campagne électorale que dans tous les stades du pays réunis. Le football peut réussir là où le politique a échoué.
 
● En général, c’est la fédération qui pense le football. A Maurice, c’est le gouvernement. Cela vous inspire quoi ?
Honte à la fédération, avec un « H » majuscule, voilà ce que ça m’inspire. Et je tire mon chapeau au gouvernement. Entendons-nous bien : je suis pour la séparation des pouvoirs entre les autorités politiques et les autorités sportives. Je pense qu’il doit y avoir une ligne de démarcation entre le gouvernement et la fédération, mais encore fautil avoir une fédération digne de ce nom. La nôtre est en carton, ce sont des comiques.
 
● L’autre volet du plan de relance, c’est la semi-professionnalisation. Le gouvernement a promis 10 millions, est-ce suffisant ?
Non et le gouvernement va vite s’en rendre compte ! Dix millions à répartir entre dix équipes, ça fait un million par équipe et par an. Je pense que ce sera le budget d’une équipe pour un mois. Une équipe semi- pro aura besoin de douze millions par an.
 
● Il en reste onze à trouver. Où ?
Le football est tout à fait capable de subvenir à ses besoins. Une fois qu’on aura assaini les gradins, les sponsors feront la queue pour être sur les maillots. Les responsables marketing des grosses boîtes connaissent trop bien la force médiatique du foot…
 
● Combien un joueur de l’élite est-il payé aujourd’hui et combien peut-il espérer demain ?
Entre Rs 3000 et Rs 10 000 aujourd’hui. Avec la semi-professionnalisation, il faudrait un minimum de Rs 25 000, hors primes.
 
● Admettons que cette nouvelle ligue tourne bien. L’étape d’après, ce sera quoi ?
Un football intelligemment repensé peut nous emmener loin. Maurice a les moyens de viser une participation à la Coupe du monde, celle de 2022 ou de 2026. Avec un championnat rehaussé, des stades pleins et des choix techniques opportuns, on peut se qualifier pour un Mondial. On dit qu’un joueur est mûr à 26 ans. Le calcul est simple : 26 ans en 2026, ce joueur-là a 13 ans aujourd’hui. Or des pépites de 13 ans, ce n’est pas ce qui manque. Je sillonne l’île pour voir jouer des gamins, je sais qu’il y a du talent dans ce pays. Accompagner ces jeunes, faire éclore leur potentiel et les emmener à une Coupe du monde, c’est mon rêve. Le plus fou, c’est qu’il est réalisable, faites confiance au technicien qui vous parle…
 
● Qu’appelez-vous des « choix techniques opportuns» ?
J’ai des idées, je vous en donne deux. La première, toutes les équipes sont obligées d’intégrer trois joueurs étrangers pour rehausser le niveau. L’objectif, c’est le frottement : un joueur mauricien moyen qui côtoie un très bon à l’entraînement finit par se hisser à son niveau.
 
●Ils sortent d’où, ces joueurs ?
Du fin fond du Mali, du Togo… En Afrique, vous avez d’excellents footballeurs totalement inconnus et donc pas chers, aux techniciens de chaque club d’aller les dénicher. Le but est d’en faire venir une trentaine. Avec des salaires de 1000 à 2000 dollars par mois [entre Rs 30 000 et Rs 60 000, ndlr], c’est tout à fait jouable.
 
●Qui paie ? 
Dans un premier temps, c’est le gouvernement. C’est un investissement sur l’avenir car les meilleurs étrangers sont naturalisés, c’est ma deuxième proposition. Je préfère un Club M qui tutoie le haut niveau avec cinq étrangers, plutôt qu’une équipe 100 % mauricienne qui ne va nulle part.
 
● 178e du classement FIFA, en ce moment, c’est à peu près nulle part, non ?
Ce qui me fait le plus mal au coeur, c’est quand je nous vois sauter au plafond après une petite victoire contre les Comores, qu’on étrillait dans le temps. (Il s’emporte) Ça me fait c… parce que je connais le potentiel mauricien, c’est du gâchis !
 
● Les entraîneurs de votre génération ont tous été, à un moment donné, aux commandes de l’équipe nationale. Tous, sauf vous…
La fédé n’a jamais cru bon de mettre mes compétences à contribution. Cela ne me chagrine pas, je sais que le meilleur reste à venir...