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Serge Ng Tat Chung, recteur du collège Saint-Joseph

27 septembre 2010, 13:26

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Bientôt un quart de siècle que vous trimballez votre cartable, vos idées et votre savoir-faire dans l’univers scolaire. L’école va-t-elle si mal qu’on le dit ?

Non. Sortons d’emblée du mensonge sur le prétendu échec complet du système éducatif : l’école, dans bien des cas, fonctionne. Nous faisons partie des pays émergents, ce n’est pas tombé du ciel, le niveau d’éducation des Mauriciens a joué un rôle déterminant. Aujourd’hui, certains domaines affi chent une excellente santé, d’autres sont en friche. Dire que tout va mal, c’est caricaturer. Cela ne signifi e évidemment pas que tout est rose.

Qu’est-ce qui handicape l’école aujourd’hui ?

En premier lieu, l’absence d’égalité des chances. La cause est connue : l’élitisme du système éducatif est une machine à exclure. L’autre handicap, c’est la formation des enseignants : celleci ne correspond plus aux attentes du pays. Nous gérons les problèmes du jour avec des équipes d’hier, ça ne peut pas marcher.

Demain plus qu’hier, le rôle de l’enseignant va être déterminant pour apprendre aux enfants à choisir, à poser un regard critique sur le monde qui les entoure et sur l’information qui leur est posée. Or les enseignants ne sont pas formés pour cela. En 2010, nos écoles ont besoin de professionnels de la culture et des loisirs, de spécialistes de l’accompagnement social, de psychologues, de sociologues. Non pas comme simples intervenants, je parle ici de postes à temps-plein.

Dans votre livre, vous dites que l’adage du « travailler plus pour gagner plus » ne s’applique pas aux enseignants.Travailler plus, dites-vous, pour déprimer plus...

C’est une évidence.

Les enseignants sont-ils à ce point au bout du rouleau ?

Beaucoup, oui. Mais s’occupet-on assez d’eux ? Je ne le crois pas. Voilà un chantier urgent : revaloriser la condition enseignante, aider les professeurs à retrouver du plaisir à exercer leur métier.

Les débats sur l’éducation ont pour habitude de désigner des boucs-émissaires : l’enseignant démotivé, le parent démissionnaire, l’enfant-roi, le système inadapté, le ministre incompétent, etc. N’est-ce pas une façon d’évacuer la complexité des situations ?

C’est vrai. Désigner un coupable est facile, cela permet de se défausser. Pourtant, il n’y a pas un responsable, nous le sommes tous (il insiste sur ce mot). Cette responsabilité commune, il va bien falloir l’assumer un jour où l’autre. Reconnaissons notre part et apportons notre pierre. Nous vivons encore sous l’emprise de certains tabous. Toute situation d’apprentissage doit tendre vers un but, or certaines filières sont des impasses. La scolarisation sans finalité, dans bien des cas, est à l’origine des phénomènes de violence. C’est la voix royale pour fabriquer des délinquants.

N’êtes-vous pas frappé par le discours démagogique autour de la violence scolaire ?

C’est-à-dire ?

L’utilisation de quelques faits divers isolés pour dresser le constat d’une école à feu et à sang et proposer les solutions les plus simplistes et populistes comme remède : le tout répressif, la sempiternelle accusation d’un laxisme des parents…

Sans vouloir condamner les médias, c’est la course au sensationnalisme que vous décrivez là. Certains journalistes ont tendance à tout monter en épingle, ce qui n’a rien de pertinent. Mais face au piège de l’exagération se trouve celui, inverse, de la négation : « Après tout, ce n’est pas si grave, la violence scolaire a toujours existé ! ».

Pour moi, c’est un autre politiquement correct consistant à minimiser la réalité pour ne pas entacher la réputation des établissements.

Cette violence est-elle selon vous importée dans l’école par les problèmes de la société contemporaine, ou spécifi que à l’institution scolaire ? Autrement dit, est-on dans le modèlede la « forteresse assiégée » ou dans celui d’une institution qui générerait la violence ?

L’école ne sera jamais une forteresse ni un huis clos car tous les vents la traversent. Je ne crois pas que ce sont les institutions qui génèrent la violence. Un élève qui entre au Saint-Joseph n’est pas seulement l’enfant de ses parents, c’est aussi le nôtre et il nous appartient de l’aider à s’épanouir. Pour moi, chaque élève est une bouture de Mauricien, j’ai le devoir d’en prendre soin et de l’aider à grandir.

Selon vous, de quand date le dernier projet ambitieux pour l’Ecole de la Nation ?

Excellente question ! Beaucoup de plans voient le jour mais le suivi laisse souvent à désirer.

Serions-nous ce curieux pays peu attentif à sa jeunesse ?

C’est ce que je me dis parfois. Nous sommes le pays de la cybercité et du tourisme cinq étoiles. Pourquoi ce bond en avant sur le plan des affaires et ce retard en matière d’éducation ? La réponse est simple: le business est la priorité, l’éducation passe après. A mon sens, le moindre problème d’éducation devrait être prioritaire. Parce que nous touchons là à ce qui est fondamental dans la construction d’un pays, notre première richesse, notre seule et unique matière première : le cerveau de la jeunesse.

« L’éducation peut tout : elle fait danser les ours », disait Leibniz. Est-ce toujours vrai ? L’école peut-elle encore transformer la société ?

Je crois qu’on lui en demande beaucoup à l’école. Seule, elle ne peut rien. Mais associée aux parents et au monde du travail, l’école peut soulever des montages. Malheureusement, ces deux maillons ne s’impliquent pas suffi samment.

Des pédagogues suggèrent de couper les ponts avec Cambridge. Quel est votre avis ?

Conserver Cambridge tout en proposant des alternatives le baccalauréat international, par exemple - serait la formule idéale. Cambridge, c’est le sacro-saint. Sacré c’est certain mais saint j’ai des doutes. Les erreurs et les problèmes rencontrés ces dernières années avec Cambridge devraient nous faire réfléchir. Je crois qu’il est temps de faire de la place à d’autres examens.

Dans votre livre, vous fustigez les manquements du système mais en prenant bien soin de tremper votre plume dans du miel : pas la moindre égratignure aux six ministres de l’Education avec qui vous avez travaillé...

J’étais en coulisses, je sais comment ça se passe. D’Armoogum Parsuraman à Vasant Bunwaree, ils ont tous eu des contraintes, ils ne maîtrisaient pas toutes les données. Je les respecte, je n’en veux à personne.

Vous écrivez aussi que la vision de sir Seewoosagur Ramgoolam, « une éducation gratuite et plurielle pour tous », a aujourd’hui du plomb dans l’aile.

Quelque part, l’espérance de sir Seewoosagur Ramgoolam a été trahie. En 1976, il avait pensé une politique ambitieuse, mais la décennie des années 80, avec la création du CPE et des starschools a fait beaucoup de dégâts.

Qu’avons-nous fait de cette pluralité que le père de la Nation appelait de ses voeux ? Je me pose parfois la question.

L’avez-vous posée à son fils ?

Je crois qu’il en est conscient.

Cela vous suffit ?

Non.

En guise de conclusion, quelles sont les urgences pour oxygéner l’éducation ?

L’école doit donner sa chance à chaque enfant en fonction de ses talents. Proposer davantage de formations techniques. Se pencher sur les problèmes du primaire au lieu de se focaliser sur le secondaire. Recentrer les contenus autour des attentes des jeunes en termes de culture et de sport. Nous sommes encore trop élitistes, trop académiques, on finit par s’ennuyer à l’école : faisons-là respirer ! Enfi n, je milite pour apprendre à nos enfants à penser juste et à habiter ce monde au lieu de fuir dans des addictions et la virtualité. C’est d’éducation à la responsabilité dont il s’agit. Voilà qui nécessite les efforts de tous et qui mérite mieux que des caricatures.

 

Entretien réalisé par Fabrice Aquilina

 

 

Fabrice Aquilina