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Sunil Banymandhub : «On n’est pas équipé pour se battre»

23 septembre 2010, 09:37

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«Starjobs Learning Centre». Ou la proposition de Sunil Banymandhub pour élargir les compétences du management mauricien. Il lance ce centre de formation demain, vendredi 24 septembre. Fort de 35 ans passés à la direction de diverses sociétés, il nous parle de cette entreprise personnelle.

Qu’est-ce que le «Starjobs Learning Centre» ?

C’est une entreprise associée au groupe TMI International, qui offre des services-conseils et des programmes de formation dans 48 pays, dont aux Etats- Unis, en Europe et en Asie. Les programmes du groupe traitent de sujets tels que le Leadership Development, le Performance Management, le Customer service ou le Branding. Nous aurons une offre réduite dans un premier temps. Notre palette s’élargira pendant la prochaine année, en fonction de la demande. Notre clientèle-cible dépend des programmes, qui toucheront plusieurs niveaux hiérarchiques, du management au front office staff, en passant par les supervisors. Il existe aussi, à travers le réseau TMI, des compétences très pointues, dans plusieurs secteurs d’activité, dans de nombreux domaines, tels que le branded customer service. Dépendant des besoins de nos compagnies locales, Starjobs pourra puiser des compétences qui existent à travers ce réseau et offrir conseils et programmes de formation taillés sur mesure.

Après une carrière riche et éclectique, vous vous lancez dans la formation à présent… Un besoin de transmettre votre savoir ?

Ce projet est l’aboutissement d’un vieux rêve. J’ai enseigné au Collège Eden pendant huit mois, avant de partir pour des études en 1969, et cela a été une belle expérience, avec laquelle j’espère renouer maintenant. Je souhaite, en outre, pouvoir allier la théorie – que j’ai apprise non seulement à la London Business School mais aussi d’une manière continue à travers conférences et lectures – à la pratique, en partageant avec les jeunes mes 35 ans d’expérience. Je pense qu’il y a beaucoup de théories de management qui doivent néanmoins être adaptées aux réalités de chaque pays. En plus, comme toutes les théories dans n’importe quel secteur, il faut savoir quand les appliquer, quand les relativiser, et quand les écarter.

Votre carrière épouse les différentes phases de la stratégie économique nationale à travers le temps. Quel regard jetez-vous sur celle-ci, fort de votre expérience ?

Cela fait 45 à 50 ans que je suis le développement du pays. Le professeur James Meade avait trouvé que l’île Maurice n’avait aucun avenir. We proved him wrong. Quand on ne vit qu’au quotidien, on se concentre sur le détail, sur les carcans et les palabres, on se laisse envahir par la négativité et le découragement. Cependant, quand on se détache pour prendre une vue d’ensemble à long terme, on voit une tout autre image émerger. Le pays a connu des temps forts : le lancement de la Zone Franche et son succès, rendu possible par l’éducation pour tous depuis les années 50 le décollage remarquable de l’industrie du textile et du tourisme des années 1980 le budget 1984 le lancement de l’offshore en 1992. Je retiens aussi la réforme de l’industrie sucrière pour passer à une industrie de la canne en 2001, et la grande réforme de 2006, tant au niveau du budget que du Business Facilitation Act.

Nous avons aujourd’hui des secteurs de l’économie qui sont solides, malgré la conjoncture difficile actuelle. Nous avons développé des compétences locales dans le tourisme, le textile, les services financiers. Cette réalisation, qui ne date que de 30 à 40 ans, est quand même extraordinaire. Je ne connais personne qui aurait prédit, en 1970, l’émergence d’une île Maurice comme celle de 2010. C’est un parcours remarquable, qui a été réalisé depuis 40 ans grâce à une population qui a su relever les défis. Grâce, aussi, à des leaders, dans les secteurs public et privé, qui se sont montrés visionnaires et ont eu de l’audace, un sens de l’initiative et l’esprit d’entreprise, dans le cadre d’une stabilité sociale et politique.

Le secteur offshore semble vous intéresser particulièrement… Pourquoi ?

J’étais chairman de la conférence Euromoney en 1992, qui a lancé ces activités. Dans quelques jours, je quitte le groupe CIM et de ce fait, le secteur offshore. Et je suis très inquiet pour l’avenir. Les propos qui suivent n’engagent que moi, et non le groupe CIM, ou l’Association of Trust and Management Companies (ATMC). On a mis en place de bonnes lois et une réglementation adéquate. On a aussi été favorisés par les dieux. En 1990, l’Inde, à court de devises, avait subi la loi du Fonds monétaire international (FMI), notamment, y compris une libéralisation de son économie, qui a entraîné des investissements massifs de l’étranger. Vu que nous avions signé dix ans auparavant un Double Taxation Avoidance Agreement (DTAA) très avantageux avec l’Inde, les éléments étaient réunis pour le décollage.

Or, les dieux ne seront plus aussi accommodants. Nous serons bientôt sur un pied d’égalité avec les autres juridictions. Mais nous ne sommes pas équipés pour nous battre. Il nous faut une unité de recherche au Board of Investment, et unePolicy Unit, au ministère des Finances, menée par un spécialiste en la matière. Ces compétences n’existent pas actuellement. En outre, notre attitude envers la fiscalité doit subir un paradigm shift. En appliquant du 0%, nous avons construit un secteur qui génère une valeur ajoutée probablement supérieure à Rs 15 milliards, dont une grande partie est taxée à 15%.

Et en quoi est-ce un problème ?

Dans certaines instances gouvernementales, il existe une école de pensée, chez ceux que j’appelle les «chercheurs d’or», qui consiste à se dire : «On a une bonne clientèle, et si on peut lui soustraire quelques millions de plus, tant mieux». Ce sont les fossoyeurs de notre secteur offshore, les «gold diggers turning into grave diggers». Nous avons ici quelque 800 «investment funds», dont nous bénéficions grâce au DTAA avec l’Inde, alors qu’aux îles Cayman, sans DTAA, ils en ont 10 000, au Luxembourg, 13 000. Le jour où le DTAA disparaît, beaucoup de nos clients s’en iront.

Heureusement, il y a certaines personnes à la Mauritius Revenue Authority (MRA) et dans d’autres instances du pouvoir qui comprennent les enjeux. Il s’agit de protéger nos acquis, et de s’approprier une part du «non-treaty business». Pour cela, il faut une fiscalité compétitive, et un «mindset» approprié. Par exemple, la loi prévoit un délai de 30 jours pour que la MRA fournisse un Advanced Ruling à un demandeur. Or, je connais des cas où, après un mois, on ne sait toujours pas quand viendra la réponse. En plus, quand la MRA applique une méthode pour taxer les fonds d’investissement qui est unique au monde, de par son incohérence, elle nuit sérieusement à l’image de Maurice. Nous avons la chance d’avoir, à Maurice, des compétences certaines au sein des Offshore Management Companies, des grosses banques internationales. Nous devons les mettre à contribution. Non seulement ce secteur nous rapporte-t-il financièrement, mais il a aussi une valeur sociale significative, employant des milliers de jeunes, entre 25 et 40 ans, issus de milieux des plus modestes des quatre coins de l’île et qui touchent entre Rs 30 000 et Rs 150 000 par mois. C’est ça la mobilité sociale, la vraie démocratisation. Si l’offshore piétine, je ne vois pas quel autre secteur pourrait assurer un avenir à tous ceux qui seront sur le marché du travail dans cinq ou dix ans, diplômes en main.

Interview réalisée par Ludovic AGATHE
Photos : Krishna PATHER