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Télé vérité
Du «mauvais journalisme». L’enquête diffusée lundi sur «M6» est ainsi commentée par certains internautes et notables.S’il faut se réjouir que l’esprit critique des citoyens face aux médias semble s’affi rmer, il faut aussi distinguer, dans le regard qu’ils portent sur cette émission, ce qui relève proprement de la nature de l’exercice journalistique et ce qui relève de la conception du citoyen mauricien de ce qui «doit» être montré.
Ce n’est pas du «mauvais journalisme». Loin de là. Les renseignements sont exacts et les méthodes ne sont pas déloyales. C’est au contraire un exercice d’investigation de qualité, où la surface est grattée pour révéler des faits dissimulés. La vérité montrée n’est que partielle ? Soit. C’est le propre de tout média de porter un regard partiel. Transmettre une information, c’est obligatoirement donner un point de vue sur la réalité. On choisit toujours un angle. L’exercice n’est pas «mauvais» parce qu’il est partiel. Il le serait si la sélection trahissait l’information. Mais ce n’est pas vraiment le cas ici.
Une fois acceptée l’idée qu’aucun média n’est «transparent», une fois accepté cet autre principe qui est que les bonnes nouvelles ne font pas du bon journalisme, il est légitime de se demander pourquoi avoir choisi tel angle plutôt que tel autre. Toute lecture critique d’un travail journalistique doit prendre en considération les conditions de production et de diffusion. Qui produit, pourquoi, pour qui, quels messages passer, etc. Dans un univers de forte concurrence, comme l’est l’audiovisuel français, certains ingrédients sont essentiels pour conquérir l’audimat : du «vécu», de la proximité, de l’émotion, du drame, de l’argent, des révélations, des hors-la-loi… C’est le cocktail que réussit «M6».
De l’émotion, d’abord. Au public français à qui le reportage se destine, les enquêteurs racontent l’histoire de ce couple de Français qui poursuit ses rêves et persévère pour s’en sortir. C’est d’ailleurs les seuls des quatre personnages croqués à bénéficier de tant de sollicitude. Les autres sont tous un peu suspects. Coindreau ? Le clinquant du conte de fées, un brin trop riche pour être honnête. Guimbeau ? Avantage de naissance, grosse richesse qui agace. Woo ? Trop joli succès, on l’étouffe par une transition rapide sur les faussaires-esclavagistes. Autant d’ingrédients essentiels de la formule à succès. Cerise sur le gâteau, «l’exclusivité», la promesse du titre. Le «ce qu’on vous a toujours caché». Les caméras qui courent dans les quartiers chauds, dans les arrière-cours des marchands. Choquer par la facilité avec laquelle la drogue circule. Choquer en montrant des policiers totalement dépassés.
On peut reprocher à ces journalistes d’être soumis à la loi de la concurrence, qui exige émotions et scoop. C’est la tendance, ils n’y échappent pas. On peut reprocher à ce média, la télé, de grossir certaines réalités c’est la force de l’image. Mais de faire du «mauvais journalisme», certainement pas. Il y a dans notre jugement, péremptoire, ce bon vieux réflexe que connaissent bien les politiques : quand le miroir nous gêne, on le casse. Il y a aussi le malaise face à l’écran qui montre aussi crûment les faits. Un malaise né de la nouveauté, de la surprise. Notre écran à nous montre un pays tellement lisse, un pays où il fait bon vivre. Un média au service de l’Etat ne fait pas autrement. Bien bête un Premier ministre qui accepterait de montrer que son pays est pollué par les trafiquants.
Instructif donc à plus d’un titre, le reportage de «M6». Le citoyen vient de mesurer la différence entre la propagande et l’information. Il vient de mesurer le pouvoir de l’image. Et il se demande... Combien de caïds aurait-on pu démasquer si la télé était libre ?
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