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Tidiane Dioh : «Mal pensée, la libéralisation audiovisuelle peut être de mauvaise qualité»

28 juillet 2011, 12:11

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Participant aux travaux de la Commission d’appui à la presse francophone de l’OIF, le responsable du programme média de l’institution estime que l’instance de régulation de la libéralisation audiovisuelle doit être non politisée.

Que retenez-vous des visites que vous avez effectuées dans les groupes de presse mauriciens ?

Le constat, partagé par tous les membres de la Commission du fonds d’appui à la presse francophone de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), est très net : la presse mauricienne est d’un niveau appréciable, ce qui change avec les réalités d’Afrique subsaharienne francophone. On est venu s’abreuver aux sources du modèle mauricien. Cela se voit sur divers points. D’abord, les équipements et les tirages. Sur le continent, dans la partie francophone, les meilleurs tirages dans de nombreux pays ne dépassent pas les 10 000 exemplaires. C’est L’Observateur à Dakar qui a le plus gros tirage avec 65 000 exemplaires par jour. Ici, c’est le cas pour plusieurs titres alors que le marché est plus restreint. En outre, le marché publicitaire est très important ici contrairement à ce qui se fait sur le continent. Enfin, la liberté de ton et la diversité des opinions. La presse mauricienne, de bonne qualité, semble très politisée, en ce sens qu’elle participe du débat.

Justement, vos visites vous ont permis d’être témoin de l’effervescence dans les salles de rédaction, compte tenu de l’actualité politique du moment...

En effet, on est arrivé à un moment important de la vie politique locale. On a vu que l’information politique est prisée par les rédacteurs et aussi par le public qui la commente.

Quelle est votre appréciation des relations presse-pouvoir dans le contexte mauricien ?

Il est compliqué de se faire une idée précise mais à en croire le discours du ministre des Affaires étrangères, Arvin Bolell, à l’ouverture des travaux de la Commission du fonds d’appui à la presse francophone de l’OIF (NdlR : lundi 25 juillet), ces relations semblent correctes. Les tiraillements font partie du jeu démocratique.

Mais quand les autorités utilisent le boycott publicitaire...

L’OIF a pour principe de ne jamais s’immiscer dans la politique ou les affaires intérieures d’un Etat. Cela dit, on rappelle les principes universels que promeut l’OIF dont la liberté de ton et l’accès à l’information.

Un «Freedom of Information Bill» irait donc dans le bon sens...

Ce genre de loi rejoint les préoccupations de l’OIF à tous les niveaux de responsabilités. Nous prônons cet accès à l’information, pour les professionnels des médias et l’ensemble des citoyens, dans un cadre apaisé.

L’information est continuelle, est desservie en flot massif par divers canaux, postée et commentée sur les réseaux sociaux etc. Ce faisant, le terme de «journalisme-citoyen» s’est presque imposé. C’est un «dévoyage» de la fonction de journaliste ?

N’importe quel citoyen n’est pas journaliste car c’est un métier. La dimension déontonlogique ne peut jamais être occultée de la pratique de ce métier.

Le fonds d’appui à la presse de l’OIF n’est pas destiné aux radiotélévisions. De quels soutiens peuvent bénéficier celles-ci ?

Notre soutien est destiné à la presse mais l’OIF soutient les radiotélévisions notamment publiques. Elle le fait par le biais du Conseil international des radios et télévisions d’expression française en finançant des projets comme celui qui porte sur les archives de la Mauritius Broadcasting Corporation. Il y a également des fonds d’appui à la production audiovisuelle.

N’empêche que l’information circule surtout grâce à n’importe quel quidam muni d’un téléphone ou ayant un accès à Internet...

Ce sont des faits et non des informations. L’information répond à des critères spécifiques, notamment juridiques puisqu’on doit pouvoir en répondre. En clair, elle doit être datée, «sourcée» et responsable. Le journaliste a à sa charge la maturation et la construction de l’information qu’il rend pertinente, hiérarchise et met en perspective.

Au-delà de vos fonctions à l’OIF, vous êtes aussi enseignant à l’Université Sorbonne Nouvelle à Paris et auteur d’une «Histoire de la télévision en Afrique noire francophone, des origines à nos jours». De ce point de vue, pensez-vous qu’il est souhaitable d’aller vers une libéralisation audiovisuelle en Afrique subsaharienne en général et à Maurice en particulier ?

Ici, malgré le monopole d’Etat sur la télévision, il y a une grande offre venant de l’extérieur comme en Côte d’Ivoire. La libéralisation audiovisuelle est le chemin à suivre mais elle doit être bien pensée. La libéralisation peut être de mauvaise qualité comme c’est le cas dans certains pays.

Il faut donc un cahier des charges rigoureux et clarifier les conditions d’accréditation et de retrait des licences. C’est important pour éviter que  des fréquences ne soient allouées à des proches et qu’on ne crie à la sanction politique, ce qui est parfois le cas, je le reconnais, lors du retrait d’une licence.

Je le répète, la libéralisation doit être bien pensée. A Kinshasa par exemple, on compte 60 chaînes de télévision mais ce n’est pas un bon modèle. Les modalités de régulation doivent être assurées par une instance forte, non politisée et capable de rappeler les acteurs à leurs devoirs.

Entretien réalisé par Gilles Ribouët
(l’express iD, jeudi 28 juillet 2011)