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Vassen Kauppaymuthoo : « Nous devrions retenir la leçon du dodo et du bois d’ébène »
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Vassen Kauppaymuthoo : « Nous devrions retenir la leçon du dodo et du bois d’ébène »
L’océanographe et ingénieur en environnement répond aux questions de Ludovic Agathe.
Demain c’est la Journée mondiale des océans. Le thème de cette année est «Youth : the next wave of change». Dans la pratique, préparons-nous les jeunes à mesurer la valeur des océans ?
Clairement non. On l’a vu dans le discours-programme, on parle d’orientation vers le large. Mais, globalement, la mer n’est synonyme que de plage ou de pique-nique. D’ailleurs, beaucoup de gens n’ont jamais appris à nager. De ce fait, ils n’ont pas accès à cet environnement. Il suffi t de voir le cursus scolaire. On met beaucoup d’accent sur la canne à sucre, sur l’intérieur de l’île. Mais, par rapport aux océans, on est en retard et il faut pallier ce manque de connaissances. Pour cadrer avec le thème de cette journée, la jeunesse est la nouvelle vague du changement, il faut l’orienter, de sorte à ce qu’elle comprenne que l’océan qui nous entoure nous est essentiel.
Y a-t-il des activités pour sensibiliser au rôle clé de l’océan ?
Nous faisons partie des 20 premiers pays en termes de superficie, grâce à notre territoire océanique. Nous sommes clairement un Etat-océan. Malheureusement, cela ne se reflète pas au niveau des activités. Nous avons pourtant des autorités compétentes (Mauritius Oceanography Institute, le ministère de la Pêche, ou encore Albion Fisheries Research Centre). Mais, on ne voit pas de publicité ou d’activités, surtout destinées aux enfants.
Que pourrait-on faire alors ?
A court et moyen termes, c’est d’amener les gens à aller à la plage, à entrer dans l’eau, à mettre un masque. C’est promouvoir les cours de natation dans les écoles. Bref, pousser les gens à aller à l’encontre de leur peur de l’eau. Je crois surtout que les jeunes ont un rôle à jouer en éduquant les adultes, à travers un échange «bottom to top». C’est inquiétant de voir l’attitude des autorités, fonctionnaires comme politiciens. On comble la mer, on crée des plages artificielles, on écrase les coraux pour permettre aux touristes de faire du ski nautique ou on bloque l’accès aux plages publiques. Des plages sont déproclamées, alors que c’est un loisir gratuit, que la mer fait partie du domaine commun, tout comme l’air que nous respirons. Sans compter que c’est un lieu de rencontre et de partage.
Les océans ont un rôle fondamental dans la survie des espèces marines, mais aussi terrestres. En dehors d’être la première source d’oxygène du monde, quelles sont les vertus de nos mers que nous avons tendance à ignorer ?
Nous oublions que la composition du plasma sanguin de l’homme se rapproche de celle de l’eau de mer. Nous avons clairement un lien avec la mer. De plus, nous avons une biodiversité unique au monde. Tout comme sur terre nous avions le dodo, nous avons aussi des espèces uniques dans l’eau. Sans compter le rôle fondamental des océans dans la régulation du climat, ils sont une importante source de nourriture et ils ont beaucoup de potentiel en matière de pharmacologie ou d’énergie. La mer est également le premier puits de CO2 de la planète, stockant ce «carbone bleu», le fixant et en faisant de la matière organique.
Les prévisions démographiques parlent d’une population mondiale de 10 milliards d’habitants d’ici 2050. Vu le poids que nous mettons sur nos océans actuellement, en quoi notre mode de vie peut-il leur nuire et quelles seraient les conséquences si nous ne changeons pas nos habitudes ?
Il faudra trouver la nourriture et l’espace pour cette population. La mer est notre seul espoir, espoir qui peut être bien ou mal utilisé. Nous ne devons pas reproduire la même erreur que nous avons faite sur terre, à savoir détruire 98 % de nos forêts. Nos lagons sont en danger. Eaux usées, destruction pour des projets sur le littoral… On fait beaucoup de déclarations d’intention en ce qui concerne la protection, mais rien de concret n’a été fait encore. Si nous exploitons les océans comme nous le faisons pour les terres, nous courons vers l’anéantissement de la planète.
A Maurice, on réalise à présent qu’une «économie bleue» peut aussi rapporter. Pensez-vous que ce concept est bien compris par les autorités compétentes ?
Avant de s’emporter, il faut qu’on sache dans quoi nous nous embarquons. Actuellement, nos ressources maritimes sont littéralement pillées par des puissances étrangères. Nous aurions dû retenir la leçon du dodo et du bois d’ébène. Le point central dans cette économie bleue, est d’assurer la protection de notre patrimoine marin. Selon des études, un tiers du stock de poissons, à l’échelle mondiale, a disparu et un autre tiers devrait connaître le même sort dans quatre ou cinq ans. De sorte qu’en 2050, il n’y aura plus de poissons en milieu sauvage. Ce serait ironique de devoir élever cette richesse que nous avions déjà à l’état naturel. L’idée est d’aller vers une gestion responsable de nos ressources océaniques, d’y voir autre chose que des roupies ou des dollars. C’est là où les jeunes ont un rôle à jouer.
Propos recueillis par Ludovic AGATHE
(Source : l’express iD, jeudi 7 juin 2012)
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