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Vijay Makhan : «nous avons une réputation à entretenir au sein du continent»

10 août 2010, 08:58

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Vijay Makhan, ancien secrétaire général adjoint de l’Organisation de l’unité africaine, nous livre ses impressions sur le rapport de l’«African Peer Review Mechanism».

 

 Qu’est-ce que l’«African Peer Review Mechanism» (APRM) ?

 

C’est un instrument purement africain, un mécanisme mis en place à travers le New Partnership for Africa’s Development.

 

C’est un instrument unique au monde qui permet une évaluation politique, socioéconomique et culturelle d’un pays. Les pays qui souhaitent se soumettre à cette évaluation le font volontairement.

 

Ce mécanisme est basé sur la déclaration des objectifs de l’APRM.

 

L’APRM a été lancé lors du sommet de l’Union africaine (UA), en 2002, à Durban. Il a été élaboré par et pour les Africains dans le but de favoriser l’adoption de politiques et pratiques qui devraient amener vers une stabilité politique et une croissance économique accrues.

 

Cela dans le respect des droits humains et en vue d’une intégration régionale et continentale. A ce jour, trente pays y ont souscrit, et Maurice fut l’un des premiers à avoir signé le Memorandum of Understanding entourant l’APRM.

 

? Est-ce un mécanisme purement théorique et sans effet réel pour le pays participant ?

 

Le principe veut que chaque pays fasse une selfevaluation, c’est-à-dire que l’évaluation soit faite par un comité local. Une fois cette self-assessment effecuée et le rapport ainsi qu’un plan d’actions en découlant soumis à l’APRM, une équipe dirigée par une personnalité africaine éminente (il y en a sept au sein de l’APRM) et composée d’experts vient à son tour évaluer le pays.

 

Ils le font en fonction des critères suivants : a) Democracy and Political Governance, b) Economic Governance and Management, c) Corporate Governance et enfin d) Socioeconomic Development. Un deuxième rapport, cette fois une country review, est rédigé et le plan d’action se voit étoffé par les commentaires de l’équipe de l’APRM. Ce rapport est débattu au cours des African Peer Review Forums, comité formé de chefs d’Etats membres de l’Union africaine, qui chapeautent l’APRM.

 

Selon mon expérience, l’UA préconise aux pays évalués de mettre en place les structures nécessaires, selon les conclusions de la country review. Dans plusieurs pays, ces structures se sont désintégrées au bout d’un certain temps. J’espère que tel ne sera pas le cas à Maurice. Nous avons une certaine image, une réputation à entretenir au sein du continent.

 

? Vous soulignez, dans une correspondance à «l’express», que Maurice a mis sept ans à faire cet exercice alors que l’Afrique du Sud n’en a pris que deux. Pourquoi ?

 

Le mécanisme se décline en cinq étapes, étalées sur neuf à 12 mois. Maurice était parmi les quatre premiers pays à se faire évaluer. J’étais au ministère des Affaires étrangères pendant que se faisait la self-assessment de Maurice. L’évaluation fut confiée au National Economic and Social Council (NESC).

 

Déjà, près de la moitié des assesseurs étaient nommés par le gouvernement, alors que, selon l’APRM, ce comité doit être indépendant. Le NESC a fait avec les moyens du bord.

 

Cependant, il faut reconnaître que ce n’est pas évident de couvrir correctement les quatre thèmes du rapport. Surtout que les fonds alloués pour ces enquêtes étaient insuffisants et inférieurs à ceux qui étaient alloués par les autres pays évalués. Il y a eu une tentative de vulgarisation en vue

 de faciliter les recherches.

 

Un premier rapport fut soumis en 2005. Celui-ci n’a pas été validé. Puis, il y a eu tergiversation.

 

Avant la relance à travers un steering committee chapeauté par des fonctionnaires du Bureau du Premier ministre, du ministère des Affaires étrangères, du Joint Economic Council et des syndicats, entre autres. Le New Partnership for Africa’s Development s’enquérait régulièrement du progrès.

 

Des ateliers de travail se sont finalement tenus entre août et décembre 2007. Une première série de questionnaires, trop longs, ne reçut pas un accueil favorable.

 

Un deuxième questionnaire fut élaboré. Il ne reçut pas la participation espérée. La self assessment fut finalement envoyée en 2009 et la country review fut faite en juillet 2009.

 

? Dans les grandes lignes, que dit ce rapport de l’APRM sur Maurice et pourquoi dérange-t-il ?

 

Tout d’abord, il a établi un décalage, des disparités entre la réalité mauricienne et la couverture de la self-assessment.

 

Ensuite, il expose quelques lacunes dans les institutions publiques, certaines lois et mesures qui ne se traduisent pas dans la pratique. Par exemple, l’Equal Opportunities Act ou la réforme électorale toujours pas concrétisés, ou encore le rapport de l’Audit auquel on accorde peu de considération et le manque de compétition dans le secteur des affaires sont autant de points que le rapport a fait ressortir.

 

? L’APRM a pour but d’améliorer la gouvernance dans les pays de l’UA. L’attitude du gouvernement mauricien a été de mettre en avant les points positifs du rapport et de taire les critiques. Doit-on craindre que ce rapport se retrouve aux oubliettes alors que Maurice, en 2010, veut être un modèle de gouvernance en Afrique ?

 

Je pense que ce rapport devrait être mieux accueilli, pour deux raisons.

 

Tout d’abord, il n’émane pas d’une institution étrangère avec un agenda précis, comme le Front monétaire international. Il provient de nos pairs africains, avec qui nous avons signé un Memorandum of Understanding.

 

Ensuite, il constitue un avantage pour notre propre pays car il nous permet de consolider nos acquis tout en démontrant nos faiblesses. Il nous faut avoir l’honnêteté et la sagesse de les reconnaître.

 

Moi qui me considère comme un Africain de cœur et d’esprit, je trouve que ce rapport est correct. Ce serait vraiment dommage qu’on l’oublie alors qu’on a pris un engagement auprès de l’UA.

 

Je le répète, nous avons une image à défendre.

 

? Comment le faire ?

 

Il faut constituer un mécanisme de suivi, comme le préconise l’APRM. Celui-ci devra solliciter la participation de membres de la société civile, du monde des affaires, entre autres, et pas seulement les officiers du ministère des Affaires étrangères.

 

Il faudrait éplucher ce rapport et établir des références, des critères à atteindre.

 

Enfin, le Parlement devrait débattre à partir de ses conclusions.

 

? A quoi peut prétendre l’UA si elle atteint l’idéal de gouvernance que l’APRM essaie de formuler ?

 

Il faut faire la part des choses. Malgré l’image désolante de l’Afrique, elle a fait beaucoup de progrès.

 

Si elle continue dans cette lancée de mise en place de structures démocratiques et économiques, elle sera en passe d’être partie prenante dans les prises de décision au niveau global, sur les plans politique aussi bien que socioéconomique. Etre sur le même pied d’égalité que ses partenaires sur le plan international, voilà à quoi elle aspire. Elle a toutes les ressources nécessaires pour le faire.