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Vijay Makhan Ancien secrétaire général de l’OUA et ancien commissaire de l’UA

19 juillet 2012, 14:37

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L’Union africaine (UA) a choisi, à sa présidence, Nkosazana Dlamini- Zuma. Selon vous, qu’apportera- t-elle à l’organisation ?

Elle a la personnalité qu’il faut, elle a le caractère pour la fonction. Elle a été de toutes les luttes de l’ANC et est très décisionnelle. Si elle arrive, avec ce caractère qu’on lui connaît, à asseoir sa présidence dès le début de son mandat, cela fera toute la différence. Elle pourrait se servir de sa position pour apporter les changements qu’il faut à l’organisation, et ce, de deux façons. La première, à travers l’accaparement, la seconde, en gagnant à sa cause les chefs d’Etat. On pourrait même concevoir un mélange des deux. Ayant été ministre des Affaires étrangères de son pays, elle a la capacité pour le poste. Il faut maintenant qu’elle trouve le moyen de bien s’entourer.

Quels sont ces changements que demande l’UA ?

L’UA a besoin, à sa tête, d’une personne qui soit représentative du continent, qui ait une vision panafricaine de celui ci.

Elle ne devra pas penser en termes de sous-régions ou de nations. Il faut qu’elle puisse faire passer les intérêts continentaux avant même ceux de son propre pays. C’est difficile, mais pas impossible.

Votre ton suggère que ce n’était pas le cas avant…

Jean Ping était un diplomate de carrière. Mais au départ, il a souffert de la perception qu’il était proche de Paris. Il n’avait surtout pas de contrôle sur ses commissaires, ce qui souligne un problème administratif, du fait qu’il ne pouvait pas redistribuer les portefeuilles. Et c’est aussi un peu la faute aux Etats membres.

Le président de la commission doit maintenant se poser en entité juridique de la commission afin de parler au nom de l’UA, au lieu d’avoir les poings et pieds liés.

On pourrait reprocher à l’UA d’avoir beaucoup de bonnes intentions, sans pour autant s’imposer comme une organisation d’Etats digne de ce nom. Qu’en pensez-vous ?

L’UA doit faire face à de nombreux problèmes d’ordre institutionnel. Le président de la Commission de l’UA n’a pas une indépendance d’action. Et ce, parce que le Comité de représentants permanents []NdlR : nommés par les chefs d’Etats de l’Union] a tendance à se substituer à la présidence. Cela fait que les partenaires à l’extérieur de l’UA ont l’impression que ces derniers ont plus d’influence, ce qui diminue la force de frappe de l’institution.

De même, ces représentants ont tendance à ne pas répercuter les décisions des chefs d’Etats de l’UA, voire l’esprit de ceux qui ont conceptualisé l’Acte constitutif de l’UA, tout en s’immisçant dans l’administration au jour le jour et freinant les actions de l’organisation. En 2007, un audit a été réalisé par d’éminentes personnalités, dont je faisais partie, pour soulever ce point. Parmi les recommandations, on évoquait l’élection des commissaires et l’accent à mettre sur les compétences.

La méritocratie serait-elle mise à mal au sein de l’institution ?

Aujourd’hui, les commissaires n’ont pas l’étoffe du secrétaire général de l’OUA. Les critères pour lesquels ils sont choisis sont tellement subjectifs qu’on voit que la représentativité prend le pas sur la méritocratie. Par exemple, chaque sous-région envoie deux commissaires, un homme et une femme obligatoirement.

Si une femme a déjà été élue, une autre, aussi compétente, ne passe pas. Pourtant l’Afrique regorge de compétences ! De plus, le partage des portefeuilles ne se fait pas selon les compétences, mais plutôt par rapport aux préférences de leur sous-région. Les intérêts braqués prévalent sur ceux du continent. On peut aussi mentionner que les considérations personnelles (ethniques, linguistiques etc.) sont souvent transposées sur celles de l’UA.

Avec les conflits qui ont secoué le continent ces derniers temps (Printemps arabe, Mali, République démocratique du Congo), on pourrait penser que l’UA a manqué quelques grands rendez- vous, voire des opportunités de se poser en institution continentale…

L’UA a pris pas mal de coups ces derniers temps, avec les crises politiques qui semblent se propager comme un incendie. La communauté internationale ne nous a pas fait de cadeau, tenant compte des événements comme le Printemps arabe. En Libye ou en Egypte, l’UA a été carrément mise à l’écart par les instances internationales.

C’était un revers. Ce qu’il lui faut, c’est devenir une organisation forte et respectée qui aurait les moyens de ses ambitions, surtout celle de positionner les Etats africains dans le concert des nations. Mais bien que ces ambitions soient évoquées, elles ne sont pas concrétisées. Le gros problème de l’Afrique, en somme, c’est qu’on a beaucoup de plans de développement qu’on ne met pas en oeuvre cependant.

Peut-on donc voir l’UA comme un chien sans dents ?

Malheureusement, les conflits sont toujours d’ordre intra ou interétatique. Si c’est un petit pays, c’est plus simple. Mais pour les grands conflits, le manque de ressources, en termes financiers ou militaires, se fait bien sentir. C’est là qu’il faut faire appel aux autres partenaires internationaux. Ces derniers ne donnent toutefois rien gratuitement, ils ont leurs intérêts aussi.

L’UA, comme l’Organisation des Nations unies, est aussi mandatée pour intervenir sur le continent. Mais il faut qu’elle s’octroie une légitimité en tant qu’institution pour taper du poing sur la table, qu’elle puisse prendre des sanctions quand il le faut. Elle doit se donner les moyens de ses ambitions. L’histoire retiendra, par exemple, que les militaires de l’OTAN sont intervenus, dans le conflit libyen, alors que l’UA faisait ses tentatives pacifiques. On peut aussi parler de l’absence de l’Union au sommet de Rio+20. Des exemples qui font penser qu’il faut donner à l’Afrique son existence, sa voix au chapitre.

Propos recueillis par Ludovic AGATHE


 

Ludovic AGATHE