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Vijaya Teelock : « Il faut une enquête scientifique sur le castéisme à Maurice »

26 juin 2011, 09:50

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L’historienne Vijaya Teelock estime qu’il y a un malaise qui subsiste, génération après génération, par rapport au castéisme à Maurice. Elle recommande l’ouverture d’une enquête scientifique sur ce sujet qui soulève tant de controverses à Maurice.

La Commission Justice et Vérité a donné l’impression d’être victime d’une injustice de la part de la direction du Mahatma Gandhi Institute (MGI). Pourquoi ?

Parce qu’on nous a clairement fait comprendre, en plusieurs occasions, que nous n’étions pas les bienvenus. On nous a refusé l’accès aux archives du MGI , pendant près d’un an, alors que dans le passé, des organisations non-gouvernementales, des chercheurs étrangers, ont eu accès aux mêmes données que nous souhaitions consulter.

Le MGI a, pour sa défense, déclaré que vous souhaitiez avoir recours à des informations ‘sensibles’. Etait-ce différent pour ces chercheurs ?

Le fait est que les membres de la direction du MGI n’ont rien compris à notre mission. Ces chercheurs étrangers, tels que Marina Carter par exemple, ont utilisé ces informations, pour publier des livres, qui sont vendus partout à travers le monde. D’autre part, nous soupçonnons qu’il y a eu conflit d’intérêts. Car un membre du personnel du MGI travaille pour une ONG qui a aidé Marina Carter à publier ses livres.

Pourquoi les membres de la Commission ont, pendant un an, autant insisté pour avoir accès à des informations jugées ‘sensibles’ par la direction du MGI ?

Je suis choquée de constater qu’après deux ans d’existence de la Commission, certaines personnes ne parviennent toujours pas à nous cerner. Il y a eu la perception que la Commission Justice et Vérité voulait accéder à des informations révélant les castes des travailleurs indiens qui sont arrivés à Maurice dans les années 1800. Ce qui n’est pas nécessairement vrai. Nous voulons avoir accès à ces archives afin d’avoir la possibilité de mieux étudier d’autres éléments importants, tels que les méthodes de guérison qu’utilisaient les immigrés indiens ou encore leur niveau d’éducation. Mais cela nous a, en même temps, permis de constater qu’il y a un vrai malaise au sein de certaines communautés, surtout lorsqu’il est question de castes.

Les membres du Front Commun Hindou ont indiqué que le castéisme est révolu à Maurice. Paradoxalement, ils sont montés au créneau cette semaine, car ils ont émis des craintes que certaines vérités castéistes soient révélées aux Mauriciens….

Avant que je ne réponde à cette question, je veux juste apporter une précision. Les membres du Front Commun Hindou ne sont pas des historiens. D’autre part, tout cela démontre que le castéisme est et reste très sensible à Maurice. La direction du MGI veut garder certaines informations secrètes, car les membres de sa direction estiment que certaines informations sont trop sensibles et ne peuvent être révélées au grand jour. En tant qu’historienne, je pense que cacher certaines informations, ne rend service à personne. S’il y a eu des traces d’humiliation, il faut que cela soit rendu public, car c’est en agissant de la sorte, qu’on accepte ce que l’on est et que l’on se réconcilie avec son passé.

Pourquoi y a-t-il eu autant de pressions pour dissimuler les castes des travailleurs immigrés ?

Certaines personnes qui appartiennent aujourd’hui à des hautes castes ont peur de savoir que leurs ancêtres ont jadis appartenu à des castes inférieures. Ils considèrent que si ces informations venaient à être divulguées, ils risqueraient de perdre de leur importance sociale. Ce qui est tout à fait possible, car certains immigrés indiens ont, au fil du temps, eu une ascension liée à une caste particulière. Sauf qu’aujourd’hui, il y a peu de personnes à Maurice qui sont des descendants directs des travailleurs engagés. Toutes ces complexités au sujet du castéisme me donnent raison de penser qu’il faut avoir une enquête scientifique sur le castéisme. Peut-être par la Commission, ou d’autres professionnels.

Les rapports des Commissions Justice et Vérité comme celle d’Afrique du Sud ont déçu. Cela ne risque-t-il pas de se reproduire ici ?

C’est une crainte que nous avons déjà évoquée. Mais nous avons la chance d’avoir un président comme Alex Boraine qui a, dans le passé, siégé sur plusieurs commissions similaires à la nôtre. Ce qui fait qu’il pourra nous apporter beaucoup de son expertise.

Quelles seront les grandes lignes du rapport ?

Ce rapport sera principalement axé sur la démocratie économique, ainsi que la justice sociale. Certains ajustements sociaux doivent être effectués pour réconcilier certaines communautés avec d’autres.

Propos recueillis par Thierry Laurent