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Yves-Alain Corporeau : «Le ministère et moi n’avons pas la même approche de la culture »
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Yves-Alain Corporeau : «Le ministère et moi n’avons pas la même approche de la culture »
Yves-Alain Corporeau quitte Maurice après trois ans de service. Il revient sur l’élan insufflé à l’Institut Français de Maurice (IFM). Son successeur est Jean Claude Masselin.
A l’ouverture de l’IFM en 2010, vous parliez du pari du tout public. L’étiquette de l’élitisme, c’est fini ?
Qu’est-ce que j’entends par élitisme ? J’entends non pas m’adresser automatiquement à une élite sociale, qui demande, d’ailleurs, à être définie. Est-ce qu’elle est financière, intellectuelle, politique ? Quand je parle d’objectifs élitistes, cela signifie présenter des spectacles de très bonne qualité et amener les gens petit à petit vers cette qualité, à être de plus en plus exigeants. Et arriver à un public qui connaît et qui exige. C’est ça, mon élitisme à moi. Pour que, quand vous sortez de chez nous, vous ayez toujours l’impression d’avoir appris quelque chose sur ce que sont les autres et sur ce que vous êtes par rapport à eux.
L’une des fiertés du centre, c’est les bas tarifs des spectacles et concerts. Comment est-ce que cela s’accorde avec les temps de crise et les coupes budgétaires ?
(Sourires) Il y a un autre paramètre à tenir en compte, c’est les objectifs de qualité. Lorsqu’il y a une volonté de les tenir, il ne faut pas que le tarif soit un obstacle. L’obstacle que je veux combattre, c’est celui de l’ignorance. Il y a des gens qui ne savent pas ce que c’est que l’IFM et cela leur fait peur. Je me bats contre cela. Il ne faut pas que j’aie un autre obstacle qui soit financier. Je suis contraint, en effet, à limiter mes recettes en termes de billetterie. Il y a la crise et, d’un autre côté, je suis un fonctionnaire de l’Etat français qui me donne de moins en moins d’argent, en me disant qu’il faut aller le chercher ailleurs. Ce que je fais auprès de sponsors.
Regardez, par exemple, le catalogue de la rétrospective Khalid Nazroo : le groupe Currimjee en est le sponsor. On est obligé de trouver l’équilibre entre les prix bas et des complémentarités budgétaires qui nous permettent de garder la qualité. Je pourrais baisser la qualité. Si je fais ça, je paierais moins cher un artiste qui ne sera pas un vrai artiste, qui sera une espèce de gus que je n’aurais pas envie de présenter, parce qu’il n’aura rien à dire. C’est un peu la quadrature du cercle.
Vous acceptez le titre de plus gros organisateur de manifestations culturelles de l’île?
Pour moi, organisateur d’événement, cela renvoie plutôt à des groupes privés.
Il y a une manifestation pratiquement tous les jours à l’IFM.
Oui, mais moi, je n’ai rien à voir avec ce que fait Immedia, par exemple. Je ne suis pas un privé qui organise de grands spectacles.
Mais vous invitez le public à venir pratiquement tous les jours à l’IFM. On est bien d’accord ?
C’est vrai que si vous regardez la presse, nous sommes le premier organisateur d’événements à Maurice, et je tiens à tenir ce rang-là.
Qu’est-ce que vous pensez d’un pays où le plus gros organisateur de manifestations culturelles est étranger ?
(Longue pause). J’hésite un peu, mais pas parce que la question est embarrassante. A Maurice, qui s’est beaucoup développé, il y a des priorités. Donc les politiques sont obligés de faire des choix. Est-ce que nous ne sommes pas là justement pour faire ou aider l’Etat à faire ce qu’il ne peut pas toujours faire dans le domaine culturel et de l’éducation populaire ? Peut-être. Moi, ça ne me dérange pas du tout. Je me sens à l’aise par rapport à ça. Comme je travaille beaucoup avec les Mauriciens, je n’ai pas l’impression d’être un étranger.
Soutenir la création locale est l’une de vos missions. N’est-ce pas là le rôle de Maurice ?
Maurice a autre chose à faire pour Maurice. Quand on est dans une société communautarisée comme celle de Maurice, il est très difficile d’avoir une politique culturelle.
Ce qui n’est pas une raison pour rester sans politique culturelle cohérente.
Prenez le bureau du Premier ministre et la cellule Culture et Avenir. Elle travaille à la Galerie d’art national, à un festival du livre et à un festival du fi lm. Vous voyez que Maurice fait quand même quelque chose pour Maurice.
Et le ministère des Arts et de la Culture ? A-t-il été un partenaire sur lequel vous pouviez toujours compter ?
J’ai toujours pu compter sur sa compréhension.
C’est-à-dire ?
Sur son écoute, sur l’intérêt qu’il nous portait.
Il vous en a beaucoup témoigné ?
Je ne suis pas là pour le solliciter. Je suis là pour apparaître dans le paysage culturel et puis j’ai été très heureux de recevoir le ministre de la Culture à l’IFM quand il est venu me voir, une fois…
…Une fois en trois ans.
C’est vrai, je le regrette. Il n’a jamais pris part à nos activités. Ce n’est pas faute de l’avoir sollicité.
Qu’est-ce qui l’en empêche ?
La réponse, c’est la définition de la culture. On n’a peut-être pas la même approche de la culture.
Quelle est l’expression artistique la plus mal lotie ? Le théâtre, les courts-métrages…
C’est le théâtre malheureusement, alors qu’il y a eu des saisons théâtrales et une histoire du théâtre dans ce pays. Aujourd’hui, c’est vrai, ça manque. Que ce soit le théâtre de Port-Louis ou le Plaza, il faut qu’il y ait des politiques qui permettent aux théâtres de fonctionner à nouveau. Aujourd’hui les troupes qui restent me demandent de les aider. Ce que j’essaie de faire, mais je n’ai pas un réel théâtre, c’est un amphithéâtre de 180 places, il est ouvert et convient davantage à la musique. Quand vous avez un texte de Chazal, le soir avec le bruit des voitures, c’est difficile. Le théâtre de Vacoas est ce qu’il est. Mais si on n’avait, ne serait-ce que le théâtre de Port-Louis, cela drainerait, j’en suis sûr, un public énorme et cela susciterait la création. Quant au cinéma, c’est beaucoup plus difficile, c’est un art qui coûte cher. Avec le Festival Île Court, nous essayons d’entretenir la flamme du cinéma. Il y a des gens qui sont formés et d’autres qui se forment.
Vous avez eu des contacts avec la «Mauritius Film Development Corporation» ?
Bien sûr.
Qu’est-ce que cela a donné ?
Pas grand-chose.
La question est sans doute bizarre, mais est-ce qu’il vous semble qu’il y a des artistes qui n’osent pas venir vous voir à cause de certains a priori ?
D’abord, je ne suis pas censé le savoir, mais je vois ce que vous voulez dire. Il en existe très peu. Les artistes qui ont quelque chose à dire et qui ont très envie de le dire cherchent tous les moyens. Mais c’est vrai que je ne suis pas vraiment sollicité.
Vous le regrettez ?
Bien sûr, parce que l’on a envie d’être découvreur. On a fait un travail de longue haleine avec le centre culturel Charles Baudelaire, avec des écrivains, des bédéistes, des musiciens etc. Aujourd’hui, on recueille les fruits de ce travail. On a des artistes en pleine maturité qui se produisent chez nous, mais, encore une fois, je ne suis pas très sollicité.
Dans certains domaines encore moins que d’autres ?
Dans la musique cela explose, dans la littérature aussi. Quand on voit le travail de l’Atelier d’écriture, qui est mené par Barlen Pyamootoo, je suis surpris de voir le nombre de textes qui peut en sortir. Bon, ils ne sont pas toujours du même niveau, Barlen le reconnaît lui-même, mais quand même, il y a jaillissement dans la littérature et beaucoup moins dans d’autres domaines. Quand je regarde ce que nous avons présenté dans le cadre du cycle renaissance de pARTage, on voit qu’il y a de jeunes artistes mauriciens. Je trouve que c’est à moi de montrer cela.
L’autre jour, nous avons eu des performances. Cela ne peut se faire que chez nous. Vous les imaginez ailleurs ? (NdlR : l’une d’elle montrait notamment la lapidation d’une femme). Pourquoi cela ne peut se faire que chez nous ? Je vous pose la question.
Je vous la retourne.
C’est parce que je suis un espace de liberté. Je n’ai aucune contrainte.
Pas de censure ?
Jamais. Je ne peux pas imaginer la censure. Je considère que l’artiste qui vient chez nous a une responsabilité et je le renvoie à cette responsabilité. S’il veut dénoncer, il dénonce.
Vous ne dites pas, «attention à l’incident diplomatique» ?
Je ne l’ai jamais dit. Les autorités locales savent ce qui se passe à l’IFM et me laissent faire mon travail. J’aurais bien pu avoir des gens qui viennent me dire ce que c’est que ça. Mais je n’en ai jamais eu.
Propos recueillis par Aline GROËME-HARMON
(Source : l’express & moi, lundi 23 juillet 2012)
 
 
 
 
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