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Manifeste électoral de l’Alliance Lepep
Arts et cultures : continuité du réchauffé
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Manifeste électoral de l’Alliance Lepep
Arts et cultures : continuité du réchauffé
Entre la promesse de la hausse de la pension de vieillesse de Rs 15 000 à Rs 20 000 par mois et l’allocation mensuelle de Rs 2 000 aux femmes au foyer, il n’y a aucune nouvelle proposition pour les arts et les cultures dans les 17 mesures phares du manifeste électoral de l’Alliance Lepep. Dans ce document présenté le mercredi 23 octobre, un chapitre en six points est consacré aux arts et cultures, sans omettre les institutions religieuses. Le Mouvement socialiste militant et ses partenaires y reprennent des refrains souvent chantés et fréquemment critiqués par les artistes et organisateurs de manifestations culturelles.
Sponsoring du privé
La mesure : «Des exemptions fiscales seront accordées aux entreprises sponsorisant les artistes»
Rien de nouveau sous le soleil. Présenté en juin, le Budget 2024-2025 prévoit que les compagnies qui soutiennent un artiste dûment enregistré auront droit à une double déduction fiscale sur les coûts encourus. Un Premium Investor Certificate sera accordé aux promoteurs privés qui investissent dans une salle de concert ou un théâtre. L’Alliance Lepep promeut l’injection de capitaux alors que l’État peine à rénover (par manque de fonds ou manque de volonté ?) ses deux théâtres historiques. Le Plaza est fermé pour rénovation depuis 2004, ce qui fait pile 20 ans et le théâtre de Port-Louis est également fermé pour rénovation depuis 2008, donc depuis 16 ans. Pour la présente année financière, le Lotto Fund comprend Rs 1 million pour poursuivre la rénovation du théâtre du Plaza et Rs 10 millions pour la phase II de la rénovation du théâtre de Port-Louis. Des sommes nettement en deçà des estimations des coûts des travaux restants.
Subvention de l’État
La mesure : «Introduction d’un projet de financement pour encourager la tenue d’événements artistiques et culturels»
Dressons la liste des subventions existantes. La dernière en date – pas encore mise en place – qui figure dans le Budget 2024-2025, c’est Rs 25 millions pour le Professional in the Arts Council pour «financer des programmes de soutien aux artistes». L’an dernier, le Budget 2023-2024 a augmenté les subventions du National Arts Fund (NAF) par 15 %. Mais depuis le huitième appel à projets en octobre 2023, il n’y en a pas eu d’autre cette année. Le NAF, c’est un production grant, une subvention pour les talents émergents, le digital creative art grant, entre autres.
Même si la mesure est évasive, le contexte difficile pour l’organisation de manifestations culturelles est bien concret. Depuis l’intrusion d’un groupuscule lors d’un concert à La Citadelle, il y a un an, le 21 octobre 2023, les conditions ont été véritablement durcies. Annulations de dernière minute alors que l’artiste étranger est déjà arrivé à Maurice comme dans le cas de Dadju et de Marcus Gad. Interdiction de vendre de l’alcool sur place, alors que la buvette est une source de financement non négligeable pour les organisateurs, obligation de mettre fin aux concerts à minuit, contrôle des décibels, les tracasseries administratives sont nombreuses. Les déclarations répétées sur la création d’un one-stop-shop au ministère des Arts et du Patrimoine culturel pour faciliter l’obtention d’une demi-douzaine de permis par les organisateurs de concerts – y compris le sésame de la police - sont restées au stade d’effets d’annonce.
Rappelons que l’an dernier, le Budget avait prévu Rs 80 millions pour (re)faire du stade Anjalay Coopen un lieu de concert. Ce qui n’a pas encore abouti.
Heritage trail
La mesure : «Pour valoriser les sites faisant partie de notre patrimoine, des parcours du patrimoine tangible et intangible seront élaborés»
Souhaite-t-on nous balader ? Il y a un an, le Budget 2023-2024 prévoyait la création d’un trail artistique et culturel de 3.8 km de la station de métro Victoria jusqu’à Chinatown. Le même discours annonçait la «régénérescence» du quartier de la Jummah Mosque et la «revitalisation» de Chinatown. Nous ne demandons qu’à nous y promener.
Par contre au Morne, un nouveau parcours partant de Trou Chenille a été ouvert en avril, après un éboulement. En mai de cette année, un autre sentier de 3.5 km menant à la Vallée des ossements a été inauguré.
Pour la présente année financière, le Budget 2023-2024 a annoncé la mise en place d’un «cultural heritage district» dans la région de l’Aapravasi Ghat, qui comprend une série de vestiges historiques et qui voisine avec le musée de l’esclavage intercontinental. Un projet de longue date.
À titre d’exemple, un heritage slave trail existe à Pamplemousses depuis 2019. Le parcours passe par le Bassin des esclaves, le cimetière des esclaves, l’église Saint François d’Assises, le jardin botanique SSR, le Moulin à Poudre. Sauf que ce site a été transformé en dépotoir.
Troupe culturelle
La mesure : «Le projet de mise sur pied d’une troupe culturelle sera reconsidéré»
Le vendredi 16 juin 2023, le conseil des ministres avait pris note de la constitution du board of directors de la National Troupe of Mauritius Ltd, avec Ashish Beesoondial, theatre manager du Caudan Arts Centre, comme président à temps partiel. Des artistes d’horizons divers, dont des chanteurs connus, des grands noms des danses classiques indiennes, entre autres, ont aussi été choisis par les autorités.
Du ministère des Arts et du Patrimoine culturel, il ressort que le board aurait véritablement pris forme il y a environ trois mois. Des discussions auraient eu lieu sur la portée à la fois locale et internationale de ce projet. Il aurait été question de partenariat avec la Mauritius Tourism Promotion Authority qui travaille à la visibilité de la destination Maurice. La prise de contact avec des troupes nationales existantes dans d’autres pays aurait aussi été évoquée. Les propositions devaient être validées par le ministère des Arts et du Patrimoine culturel ainsi que d’autres instances, mais les élections générales ont été annoncées.
Subventions religieuses
La mesure : «Le soutien en faveur des organisations socioculturelles sera maintenu et consolidé en vue de promouvoir les traditions religieuses, culturelles et linguistiques de toutes les communautés»
C’est l’une des constantes des Budgets du gouvernement sortant. En juin de cette année, le Budget 2024- 2025 a annoncé une hausse qui dépasse tout ce qui avait été donné par l’État jusquelà. La subvention aux religions a augmenté de 60 % passant de Rs 125 millions à Rs 200 millions. L’année précédente, la subvention aux religions était passée de Rs 108 millions à Rs 125 millions.
Cette tendance s’est dessinée dès le Budget 2019- 2020, quand la subvention était passée de Rs 85 millions à 93 millions. L’année suivante, dans le Budget 2020-2021, l’enveloppe a augmenté de Rs 93 millions à Rs 103 millions. Le Budget 2023-2024 soulignait que depuis 2014, la subvention religieuse avait augmenté par 71 %. Les religions subventionnées par l’État ont aussi eu droit à un don one-off de Rs 10 millions. One-off sur trois années consécutives.
Autre mesure dans ce secteur : les voitures duty free pour les hommes religieux. La mesure a pris effet le 1er octobre. Pas plus tard que le vendredi 11 octobre dernier, le ministère des Arts et du Patrimoine culturel a ouvert les procédures de demandes pour que les hommes religieux bénéficient de remises sur des véhicules jusqu’à 1450 cc tous les sept ans. Si les hommes religieux éprouvent des difficultés à remplir les formalités en ligne, une assistance est disponible dans les bureaux de poste.
Le Budget 2024-2025 a aussi étendu le Water Tank Scheme aux institutions religieuses. Il a également augmenté le Solar PV Scheme pour les institutions religieuses jusqu’à un maximum de dix panneaux solaires.
Pèlerinages subventionnés
La mesure : «Un package de privilèges pour nos compatriotes désirant se rendre à l’étranger pour des pèlerinages religieux sera élaboré et mis en pratique»
Encore une proposition du manifeste électoral de l’Alliance Lepep que l’on retrouve dans le Budget 2024-2025. Annoncé à partir du 1er janvier 2025, l’État va subventionner les pèlerinages religieux. Le ministère des Arts et du Patrimoine culturel va proposer des packages en collaboration avec les institutions religieuses.
Après la lecture du Budget en juin, Bhojraj Ghoorbin, président de la Mauritius Sanatan Dharma Temples Federation avait expliqué qu’au lancement du Char dham yatra – pèlerinage dans quatre lieux sacrés en Inde – «nous avons eu un grand coup de main du Premier ministre et du ministre de la Santé avec un vaccin gratuit pour tous les pèlerins». La subvention des billets d’avion avait aussi été demandée.
Réactions
Nirveda Alleck, artiste : «Cela n’inspire pas confiance»
«Des mesures culturelles c’est quoi ? Un mix-match de toutes sortes de choses ?» se demande l’artiste Nirveda Alleck. «Cela n’inspire pas confiance.» La lecture des mesures pour les arts et la culture dans le manifeste de l’Alliance Lepep lui donne le sentiment que, «l’on a simplement rempli un espace».
Sa véritable interrogation concerne l’application du Status of the Artist Act, loi-cadre pour la création du Professional in the Arts Council. Une institution qui va accorder la carte professionnelle aux artistes.
«Encourager la tenue d’événements culturels ? Mais est-ce que jusqu’à présent on n’a pas plutôt découragé la tenue de ces manifestations ?» se demande Nirveda Alleck. Selon elle, les incitations fiscales annoncées dans le passé n’ont pas été mises en place. L’artiste rappelle que les subventions aux religions «sortent du budget de la culture». Elle estime que l’aide accordée aux socioculturels «aurait dû venir des fonds du bureau du Premier ministre. On utilise trop le ministère des Arts et du Patrimoine culturel pour créer des divisions».
Pierre Argo, artiste nommé sur le board du Professional in the Arts Council : «Trop de religion tue la religion»
«Pour les politiques de tous bords le fait de s’enfermer dans un lieu avec ses coreligionnaires est un atout pour continuer à diviser le peuple. Il y a trop de lieux de culte, pas assez de lieux pour des manifestations culturelles qui sont des engrais pour faire fleurir une nation». Pierre Argo rappelle que nous avons assisté «avec stupeur» à des annulations de concerts à la dernière minute, «où des raisons naïves ont été avancées». Il note que le manifeste de l’Alliance Lepep souhaite maintenant que des manifestations culturelles soient organisées. Pour Pierre Argo, les politiques, «doivent sortir de leur inculture et promouvoir le brassage culturel, qui est le garant du mauricianisme».«C’est la culture qui donnera à Maurice son âme authentique. Est-ce normal d’avoir toutes sortes de centres culturels, sauf un centre culturel mauricien ? Il faut avoir des politiciens comme nous en avons pour cautionner cela !»
Stephan Rezannah, producteur : «Joli emballage, mais le produit est déjà expiré»
«J’ai l’impression que l’État a été aveugle pendant 10 ans. Et que maintenant on va soi-disant avoir de la considération pour les artistes. C’est un joli emballage, mais le produit est déjà expiré. Ce ne sont pas des couleuvres que l’on veut nous faire avaler mais des anacondas.»
Arrmaan Shamachurn, président de SOS Patrimoine en péril : «Arrêter de s’ingérer dans les affaires religieuses»
Dans une analyse sur la page Facebook Nou Patrimoine Nou Richesse, Arrmaan Shamachurn, qui a été responsable de l’ONG SOS Patrimoine en péril, rappelle que «considérer le domaine des arts et du patrimoine culturel comme un pilier économique n’est pas quelque chose de nouveau». En 2014, un White Paper avec pour objectif Creative Mauritius – Vision 2025 «a été mis au placard. Lors des consultations pré-budgétaires de ces dernières années, il a été proposé de mettre en oeuvre ce rapport mais rien n’a été fait. Cette inaction a occasionné plusieurs années de retard. Dire qu’on va valoriser notre diversité culturelle pour en faire un pilier économique ne convainc guère.»
Il estime que les incitations pour la création d’infrastructures pour accueillir des concerts et activités artistiques seront «largement insuffisantes pour en faire un pilier économique».
Concernant spécifiquement la proposition de parcours du patrimoine, Arrmaan Shamachurn ironise : «Le ministre sortant, qui est candidat, doit attirer l’attention de son leader que cette mesure est comme une aiguille dans une botte de foin. Les problématiques majeures de ce secteur sont largement ignorées et si on insiste avec cette approche, d’ici une année, le patrimoine culturel va encore une fois être voué à l’échec.»
Il insiste également sur la laïcité de l’État mauricien, qui «doit arrêter de s’ingérer dans des affaires religieuses comme recommandé par la Commission Justice et Vérité. Si l’Alliance Lepep veut créer un ministère des Affaires religieuses, il est libre de le faire mais nous dénonçons cette pratique d’utiliser les ressources de la culture pour soutenir des mesures qui frisent le clientélisme et de l’autre côté, ignorer complètement les vrais enjeux du patrimoine culturel supposément à cause des contraintes financières».
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