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Théâtre engagé

Baraz: condamnation sans retenue des divisions politiciennes

13 mai 2024, 20:00

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Baraz: condamnation sans retenue des divisions politiciennes

Jérôme Boulle et Yousouf Elahee érigent toujours plus de «baraz» dans leur rôle de politicien. © Sumeet Mudhoo

Pas de langue de bois. Avec la version 2024 de la pièce de théâtre 100 % mauricienne, «Baraz», l’auteur et metteur en scène Gaston Valayden dit explicitement «kot sa nou’nn fote». C’était le vendredi 10 mai, au Caudan Arts Centre.

Rien qu’en montrant Jérôme Boulle dans son personnage de politicien de «lalians galimatia», juché sur une caisse de savon, Baraz a rempli son contrat. Celui de faire voler en éclat une série de barrières. Pour libérer l’esprit et la parole. La nouvelle version de cette pièce de théâtre écrite et mise en scène par Gaston Valayden était à l’affiche le vendredi 10 et le samedi 11 mai, au Caudan Arts Centre. Un rendez-vous proposé par l’agence Immedia.

Comme le toofan qui rythme la pièce à coups d’avertissements, la tension va crescendo entre deux pères de famille, deux archétypes de Mauriciens. Le texte-coup de poing balance des rafales de préjugés qui empoisonnent l’existence d’une famille hindoue voisine d’une famille de la population générale.

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Sous la plume de Gaston Valayden, pas de périphrase. L’auteur ne fait pas de concession au politiquement correct. Seule compte l’urgence de dire, de dénoncer cette longue division des calculs politiques, qui sépare les circonscriptions 4 à 14 du reste du pays. Entre les noubann et les bannla, pour mieux exclure les perdi bann.

L’impact est d’autant plus grand sur le spectateur que l’auteur et metteur en scène fait résonner des mots qui sont utilisés au quotidien, mais que l’on prend d’habitude la précaution de n’employer que dans l’entre-soi. Par hypocrisie. Par convention sociale. Des mots tabous que l’on crache pour rabaisser l’autre, quand on est dans le confort du chez-soi. Les entendre sur scène, se répondre préjugé pour préjugé met le spectateur dans une position inconfortable. Car, obligé de reconnaître kot li’nn fote.

Que celui qui n’a jamais pêché jette la première pierre à Gaston Valayden. Lui qui appuie fort là où cela fait mal. En nous montrant comment à l’intérieur d’un territoire dit petit comme Maurice, l’espace est morcelé selon l’appartenance ethnique. Nombre de nos compatriotes vivent repliés sur leurs croyances, convaincus que, par naissance et par essence, ils sont supérieurs à leurs voisins d’origines diverses. Gaston Valayden nous rappelle que 56 ans après l’Indépendance, les mentalités d’une population issue de l’immigration n’ont pas fini d’être décolonisées.

Comment le pourraient-elles quand depuis l’Indépendance, les divisions sont sciemment cultivées par les hommes politiques, se demande l’auteur et metteur en scène. Ce n’est pas une coïncidence si Baraz, pièce créée en 2002, lors du festival de théâtre de Port-Louis, a été remise au goût du jour en cette année électorale. Le texte-tsunami est si pertinent plus de 20 ans après, qu’il faudrait (re) monter Baraz à l’approche de chaque échéance électorale. Comme une piqûre de rappel salutaire. Qu’il faut prendre tous ces discours qui se disent rassembleurs avec des pincettes.

Fait notable : dans la version 2024 de Baraz, Gaston Valayden a féminisé les deux rôles représentant l’espoir de la nouvelle génération. Pour le metteur en scène, «la femme est l’avenir de l’homme», ne serait pas qu’un poncif. Lui qui met en scène des personnages de jeunes filles qui fréquentent l’université et tiennent tête à leurs parents. Des personnages qui incarnent la contradiction et le refus des idées reçues. Celles qui arrivent à voir plus loin que cet horizon indépassable du «lider maximo pe dir». Pour les deux jeunes comédiennes, le potentiel est là, reste à peaufiner certaines intonations pour ne pas rester perpétuellement dans l’aigu.

Avec le texte raz-de-marée de Baraz, Gaston Valayden montre que le théâtre à message en kreol 100 % mauricien, n’est pas mort. Et que même si les pierres pleurent (aux théâtres de Port-Louis et du Plaza toujours fermés pour rénovation), les hommes crient plus fort que jamais. Que la fraternité est le seul choix possible.


Mise en scène épurée

Comment mettre en scène un texte dont la force est celui d’un avertissement de cyclone de classe 4, sur l’échelle des raclées verbales ? Solution de Gaston Valayden dans Baraz : less is more. Fidèle à son théâtre des idées, il nous sert les siennes dans un décor ultra-épuré.

Sur scène, uniquement un baraz. Ou plutôt deux. Le metteur en scène joue à fond l’effet miroir. On y voit tout en double. Double trouble.

Le meeting est le clou du spectacle, dans une scène qui comporte des longueurs. Jérôme Boulle et Yousouf Elahee miment tour à tour le même discours dans un ballet cynique de bonnet blanc, blanc bonnet, entre lalians galimatia et le parti golmal. Un accro dans ce ballet : le placement des comédiens, qui par moments donnent dos au public, faisant… barrage à la fluidité de mouvements. Saluons enfin l’effet son et lumière pour montrer le passage d’un cyclone sur scène.