Publicité
Black Friday !
Tous les Mauriciens ont tremblé le vendredi 1er novembre. Non parce qu’ils apprenaient que, matériellement, ils ne seraient plus en mesure d’accéder aux réseaux sociaux jusqu’au 11 novembre, mais surtout parce qu’ils ont ressenti jusque dans le plus profond de leurs entrailles cette peur légitime que le pays basculait dans la dictature et que leurs libertés fondamentales, en particulier la liberté d’expression et la liberté d’accès à l’information, qui sont garanties par l’article 3 de la Constitution, étaient confisquées. Pour tout patriote, il n’y a rien de glorieux d’avoir ce sentiment qu’on est placé dans le même panier que la Corée du Nord, la Chine, la Russie, l’Iran ou encore le Myanmar, des pays qui ne sont pas forcément connus pour être des parangons des vertus démocratiques.
Le plus inquiétant, c’était que la nouvelle de la suppression de l’accès aux réseaux sociaux ayant relayé les bandes sonores de «Missie Moustass» n’a été sue que grâce à un communiqué d’Emtel, l’un des fournisseurs d’accès à Internet, informant ses abonnés qu’elle a été enjointe par l’Information and Communication Technologies Authority (ICTA) d’appliquer le couperet. Bien entendu, ce traumatisme associé au fait d’être privés de leurs libertés n’est pas nouveau pour nos concitoyens. Pendant la pandémie, ils étaient privés de leur liberté de mouvement. Alors que les entreprises, notamment dans le secteur touristique, étaient dépossédées de leurs droits d’opérer, étant forcées d’assister impuissantes à l’effondrement de dizaines d’années de dur labeur. Mais, à l’époque, c’était un cas de force majeure ; une question de subsistance. Cela, on avait fini par l’accepter.
Revenons à ce black Friday ! C’était la pagaille ! La boîte de Pandore était ouverte. Dans le secteur privé, on a été prompt à condamner cette décision réfléchie ou irréfléchie de la part des autorités, arguant que la liberté économique est menacée et qu’un coup terrible était asséné à la réputation du pays en tant que destination propice pour les affaires. Dans la presse internationale, des médias sérieux comme Bloomberg, Reuters et Le Monde ne manquaient pas de relayer l’information.
L’argument du Premier ministre selon lequel sa décision était motivée par la nécessité de préserver la sécurité nationale face à une attaque cyber-terroriste n’a pas convaincu tout le monde. Dans la même foulée, les arrestations de Sherry Singh et de quatre de ses proches, dont un ancien journaliste, n’ayant guère le profil de geeks férus de technologie, sous le Prevention of Terrorism Act, a fait sourciller plus d’un. Certains observateurs ont eu le sentiment que c’étaient des boucs émissaires. D’ailleurs, le dossier de poursuite de la police s’appuyant non pas sur des preuves matérielles, mais sur des on-dit, dont les supposés confidences de Rakesh Gooljaury à Sherry Singh, n’était pas très solide. Fort heureusement, le bon sens, ou plutôt la perspective d’essuyer un revers en Cour suprême, a fait revenir les autorités à de meilleurs sentiments. La levée de l’interdiction de l’accès aux réseaux sociaux a fait respirer à nouveau la démocratie. Mais les meurtrissures sont profondes. Sur le plan des affaires, l’image de Maurice comme un pays sans histoire, respectueux des droits comme la libre entreprise, le droit de propriété et prônant l’ouverture a pris un sale coup.
Quand on parle de confiance, de transparence et de gouvernance, ce ne sont pas que de vains mots vides de substance. Ce sont les pierres angulaires sur lesquelles nous nous sommes appuyés pour bâtir notre réputation et progresser dans les classements internationaux sur le climat des affaires et la gouvernance. Ce sont ces reconnaissances, couplées à un environnement fiscal et réglementaire souple et attrayant, qui font que Maurice ait pu attirer des investissements directs étrangers de près Rs 16 milliards au premier semestre de 2024 et que les actifs transitant par notre centre financier international sont aujourd’hui calculés à plus de 700 milliards de dollars (plus de 40 fois le PIB du pays).
Avec ce blocage des réseaux sociaux, qui heureusement n’a duré qu’un peu plus de 24 heures, le risque politique dans le pays a basculé dans le rouge. C’est inquiétant ! La communauté internationale conclura peut-être à une erreur de parcours ou bien accordera du crédit à l’argument de menace à la sécurité nationale. C’est souhaitable ! Mais il y a aussi la crainte que les agences de notation comme Moody’s et S&P Global Ratings jugent que les problèmes de gouvernance au sein des institutions sont trop conséquents pour qu’ils passent l’éponge. Ainsi, une rétrogradation d’un cran de notre note souveraine de Baa3 à Ba1 pour Moody’s et de BBB- à BB+ pour S&P Global Ratings serait hautement dommageable pour le centre financier et aura un lourd impact sur notre capacité à attirer les investisseurs internationaux car les obligations mauriciennes basculeraient alors dans la catégorie «junk».
Mais on n’en est pas encore arrivé là. Jusqu’ici, beaucoup de tort a été fait à l’image du pays pendant cette campagne électorale. Après les élections générales, le gouvernement élu aura la lourde responsabilité de rétablir la confiance dans le pays.
Publicité
Les plus récents