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Pravind or Ahmine ?
Mardi, les yeux des médias et de la nation étaient principalement braqués sur Clare Montgomery. Avec un CV aussi reluisant et des clients comme Pinochet ou le gouvernement suédois contre Julian Assange, c’était compréhensible. Que voulez-vous, c’est une personnalité. A l’ouverture du procès, elle a choisi d’être short but sweet – rien à voir avec sa taille – privilégiant une plaidoirie courte de deux heures. Sans charisme particulier, sans être théâtrale, la petite bonne femme nous a poussés à la qualifier de « lame de fond » (voir l’express du mercredi 13 janvier).
Montgomery a tellement tapé dans l’œil, qu’on aurait oublié que celui qui lui donnerait la réplique n’est autre que le meilleur procureur du monde (Rashid Ahmine a obtenu ce titre de l’Association Internationale des Procureurs en 2012). Lui c’est un autre style. Qu’importe si son discours va durer six heures entrecoupées d’une nuit de sommeil et d’une pause déjeuner. Juste pour brosser le contexte, avant de s’attaquer aux arguments de Montgomery, il prend une heure mardi, et une heure et demie mercredi.
Ahmine nous fait voyager sur le fleuve du Mississipi (son argumentaire tourne autour d’un conflit d’intérêt dans un contrat alloué dans cette partie des Etats-Unis), nous transporte à la cour française de cassation et atterrit à la section 13(2) de la POCA. Pour lui, Pravind Jugnauth ne pouvait pas ne pas savoir que sa signature sur le memo du ministère de la Santé impliquait un décaissement à MedPoint Ltd. Pas question d’invoquer un « administrative process ». « Nous parlons là de Rs 144 millions, my Lords, pas de Rs 100,000. Et ma consœur essaie de nous traîner sur le terrain de la procédure administrative ? A-t-il réfléchi une seule seconde ? Non My Lords, le mémo est arrivé et est reparti le même jour avec sa signature. »
Il répond aux arguments de Montgomery un à un : « intensity of interest », « indirect interest », « liability of offence », « breadth of the POCA ». Dans son élan, il se trompe sur la nature du document qu’a signé Pravind Jugnauth, poussant le chef juge à lui préciser qu’il ne s’agit pas d’une réévaluation mais d’une réallocation. « I’ll bear that in mind » répond-il et il parvient à recentrer ce document sans perdre le fil de sa pensée et de son grand oral. « He’s out for the kill » chuchote, un des nombreux avocats venus assister au procès, à l’oreille de son confrère. « Ahmine, le bourreau du barreau » dira un journaliste dans le couloir à la prochaine pause.
Montgomery prend des notes, montre son agacement quand Ahmine cite la mauvaise page d’un document, l’interrompt, se rassoit et prépare sa réplique. Au final elle demandera une heure pour répliquer. La lame de fond, Montgomery veut un combat intense avec le tsunami Ahmine.
Dans la salle, les pupils, les têtes d’affiche du barreau, les journalistes – les policiers qui ne s’endorment pas au point de tomber et d’interrompre l’audience – se régalent. C’est un procès de très haute facture, sans jeux de mots avec les honoraires de Montgomery.Après 12 heures d’intenses débats étalés sur deux jours, la dernière phrase qui a résonné dans cette salle d’audience fut celle de Keshoe Parsad Matadeen : « The judges have reserved their judgment » conclut le Chef juge.
En attendant, toute tentative de pronostiquer l’issu équivaudrait à transgresser le judiciaire. Ce n’est pas un match de foot, pas un jeu, même si Pravind Jugnauth, qui pour l’heure oscille entre la prison et le fauteuil de Premier ministre, semble lui jouer à quitte ou double.
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